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La Vérité sur le Comité Révolutionare (Suite). OU EN EST LA REVOLUTION CAMEROUNAISE? Ndeh Ntumazah et Mongo Beti

 
OU EN EST LA REVOLUTION CAMEROUNAISE? Ndeh Ntumazah et Mongo Beti Interview du camarade Ndeh Ntumazah, l`un des signataires du texte reproduit ci-dessus, recueillie à Londres le 26 octobre 1981


OU EN EST LA REVOLUTION CAMEROUNAISE?
Ndeh Ntumazah et Mongo Beti


Interview du camarade Ndeh Ntumazah, l´un des signataires du texte reproduit ci-dessus,
recueillie à Londres le 26 octobre 1981


© Peuples Noirs Peuples Africains no. 25 (1982) 48-66

Mongo Beti. – Camarade Ntumazah, je me propose de publier dans « Peuples noirs-Peuples africains » le texte fameux mais mal diffusé intitulé « La vérité sur le C.R. », dont tu es cosignataire. J´aimerais te demander de joindre à la reproduction de ce texte qui date de 1963 un commentaire, des remarques, des observations, bref tout ce qui est de nature soit à l´actualiser soit à le compléter. Ainsi, avant que nous commencions à enregistrer, tu m´as parlé des responsabilités du camarade Jean-Martin Tchaptchet, un des fondateurs du Comité Révolutionnaire (C.R.) – qui s´en est séparé depuis – dans l´assassinat de Félix-Roland Moumié, président de l´U.P.C., par les services secrets français. Peux-tu à nouveau redire ta conviction sur ce sujet à l´intention des lecteurs de la revue ?


Ndeh Ntumazah. – Avant le départ de Moumié pour Genève, la direction de l´U.P.C. avait invité Tchaptchet à aller à Genève pour vivre avec Moumié pendant son séjour dans cette ville. Tchaptchet arrive à Genève. Bechtel aussi arrive à Genève. Bechtel invite Moumié un soir à dîner ainsi que Tchaptchet. Tous les trois se retrouvent dans un restaurant à Genève et mangent. Moumié quitte momentanément la table pour aller aux toilettes et [PAGE 49] quand il revient des toilettes, il goûte le vin qui est dans son verre, et il a la sensation que le vin est amer; il se dit donc qu´il y a quelque chose d´étrange dans son vin. Il décide alors de mettre fin à son dîner et de rentrer à son hôtel avec Tchaptchet. Une fois dans son hôtel, il boit beaucoup de lait et d´eau.



Mongo Beti. – Il se sent déjà mal, il souffre ?


Ndeh Ntumazah. – Oui, il souffre; il tombe malade, on appelle donc un docteur. Tchaptchet, au lieu de rester au chevet de Moumié, prend ses bagages et rentre en France. Tchaptchet connaît bien l´adresse du bureau de l´U.P.C. à Conakry ainsi que l´adresse du bureau de l´U.P.C. à Accra. Il sait aussi très bien où je me trouve alors moi-même. Or Tchaptchet n´a alerté personne. C´est tout juste au moment où les journaux suisses et les journaux du monde entier ont commencé à parler de la maladie de Moumié, et alors qu´il était déjà dans le coma que Tchaptchet est revenu en Suisse. Il faut dire que la police suisse le soupçonnait déjà; la police suisse savait qu´il était l´une des deux personnes qui avaient mangé avec Moumié. Et au moment où la police suisse avait commencé à chercher les deux personnes qui avaient dîné avec Moumié, Tchaptchet avait quitté la Suisse. Bechtel aussi avait quitté la Suisse. Mais Tchaptchet revient seul en Suisse; il est arrêté par la police, interrogé et gardé à vue pendant quelque temps. C´est Ouandié qui est intervenu pour que la police suisse libère Tchaptchet.



Mongo Beti. – Et quelle raison invoque Ouandié pour faire libérer Tchaptchet ?


Ndeh Ntumazah. – C´est là un point qui n´a pas été éclairci. Il demeure néanmoins que, en tant que garde du corps de Moumié, normalement, le devoir de Tchaptchet était de rester aux côtés du leader au moment où celui-ci est tombé malade et d´alerter le plus vite possible les compagnons de Moumié et surtout la direction de l´U.P.C. Cela Tchaptchet ne l´a jamais fait.


Voici donc le corps de Moumié ramené à Conakry. Peu après les Tchaptchet, Woungly, Ndoh Michel quittent Paris et arrivent à Accra. A Accra la direction de l´U.P.C. leur confie la responsabilité du secrétariat administratif. Mais pendant leur séjour à Accra, le Comité Révolutionnaire est né au moment où Kingué, chef effectif [PAGE 50] de l´U.P.C. à l´extérieur à l´époque, était arrêté et détenu dans des conditions que beaucoup de gens ne connaissent pas. Cette arrestation avait été opérée après un attentat dirigé contre Kingué et moi. Dans la maison où la bombe a explosé, se trouvait une pièce où quelques instants auparavant j´étais en train de faire une réunion avec Kingué, Fosso, Marthe Ouandié, Marthe Moumié, Ekwalla, et beaucoup d´autres camarades. Et si nous n´avons pas tous été tués, c´est parce que, accablés de fatigue, nous venions d´arrêter la réunion. Or le Comité Révolutionnaire naît précisément alors que la colonie camerounaise à Accra est en butte aux arrestations. Pourquoi ? Parce que, quoique N´Krumah ait demandé à Woungly d´ordonner à Kingué de remettre toutes les armes se trouvant en possession de l´U.P.C. à la police ghanéenne, Woungli-Massaga n´a jamais transmis cet ordre. De sorte que, après l´explosion d´une bombe chez moi, le gouvernement ghanéen dut ordonner l´arrestation des Camerounais afin de récupérer toutes les armes qui se trouvaient en leur possession. Alors que tous les Camerounais sont ainsi détenus, trois seulement d´entre eux sont libérés, dont Woungli-Massaga et Tchaptchet. Une semaine après, leur Comité Révolutionnaire était créé, alors qu´ils n´avaient fait aucune démarche pour faire libérer leurs camarades. Et quelques semaines après, voilà qu´ils entament une campagne contre Kingué lui-même, pour l´accuser d´être un traître, et disant que leur seul chef, c´est Ouandié; car ils savent très bien que Ouandié n´étant plus là ne peut pas les désavouer. Leur campagne est donc dirigée essentiellement contre Kingué et moi. Leur argument était que nous sommes des militants fatigués, incapables de rien faire de bon. Il est cependant à remarquer que, de tous les autres membres du bureau administratif qu´ils ont fait figurer dans leur Comité Révolutionnaire, seuls Ndongo Diyé et Njiawé Nicanor ont accepté de se rallier; les autres, tels que Fosso, qui se trouvait à Conakry, Ekwalla Robert, Osendé Afana, ont refusé de collaborer avec eux, ainsi que d´autres d´ailleurs.



Mongo Beti. – Attends, camarade. Donc, si je comprends bien, ils avaient inscrit les noms de ces récalcitrants sur la liste des membres de leur Comité Révolutionnaire sans les consulter ?
[PAGE 51]


Ndeh Ntumazah. – Sans les consulter.


Mongo Beti. – Il s´agit donc en somme d´un coup de force. Eux prétendent que le C.R. est né d´un congrès qui s´est tenu sous maquis.


Ndeh Ntumazah. – Si c´est vrai, ils n´ont donc pas pu participer à ce congrès puisqu´ils n´étaient pas au maquis, mais à Accra. Dans ces conditions, comment se fait-il que le seul représentant de l´intérieur élu membre du Comité Révolutionnaire soit Ouandié, alors que tous les autres membres du C.R. sont des militants de l´extérieur ? D´autre part, selon les statuts du mouvement, il ne fallait pas seulement être membre d´un comité de base pour être admis au congrès de l´U.P.C., il fallait aussi être délégué d´un comité régional. Or tous ces gens-là n´appartenaient ni à un comité de base ni à un comité régional de l´U.P.C. Nicanor, par exemple, représentait l´U.P.C. au Maroc, mais il n´était ni président d´un comité de base ni président d´un comité régional de l´U.P.C. Il ne pouvait donc avoir aucun mandat. Suivant les statuts, être délégué à un congrès de l´U.P.C. était impossible pour eux. Ils pouvaient venir à un congrès de l´U.P.C. comme membres du secrétariat de l´U.P.C., mais pas comme délégués de l´U.P.C. Sans compter que, toujours selon les statuts, un congrès de l´U.P.C. ne pouvait être convoqué que par le bureau politique de l´U.P.C., et le bureau politique de l´U.P.C. à l´époque c´était Ouandié, Kingué, Yapp Emmanuel, qui vivait encore, Kamen Sakio – et Kamen Sakio était à l´extérieur; il était à l´époque en Egypte, au Caire. Or Kamen Sakio, membre du bureau politique, qui n´était pas enfermé, qui n´était pas au Cameroun, qui était à l´époque à l´extérieur, n´a même pas été contacté, et ne figure pas parmi les membres du C.R. Autres exemples : Ekwalla Robert était un important responsable de l´U.P.C. et aussi responsable des syndicats; il était à l´extérieur en tant que responsable des syndicats. Or il ne connaissait rien de cette convocation d´un congrès. Fosso François en tant que secrétaire général de la Jeunesse vivait à l´extérieur. Lui non plus ne connaissait rien de la convocation de ce congrès. Ngembus William, président de la Jeunesse, élu, après la trahison de Mayi Matip, au Congrès de Kumba, au Cameroun occidental, à la tête d´un nouveau bureau, résidait à Accra, et pourtant il n´a rien su de la convocation [PAGE 52] d´un congrès, et, bien entendu, n´a pas été élu membre du Comité Révolutionnaire.



Mongo Beti. – Tout à l´heure, avant que nous commencions l´enregistrement, tu me disais que les Camerounais ont beaucoup perdu avec cette affaire du C.R. On le voit parfaitement aujourd´hui, c´est-à-dire que, vingt ans plus tard, cette histoire continue à paralyser les Camerounais dans la mesure où elle absorbe une partie considérable de l´énergie qu´ils devraient consacrer à la lutte; parce qu´elle n´avait jamais vraiment été éclaircie, elle inspirait des soupçons tenaces, créait une atmosphère de démoralisation. Mais n´y a-t-il pas d´autres conséquences néfastes du putsch d´où est né le C.R. en 1962 à Accra ? et peux-tu nous en montrer quelques-unes concrètement ?


Ndeh Ntumazah. – Oui, depuis la création du soi-disant C.R., si l´on observe bien les activités de cet organisme, on s´aperçoit qu´elles n´ont pas pour but la libération du Cameroun. Prends les activités du C.R. au Congo Brazzaville; ces activités étaient des aventures. Comment peut-on débarquer dans une province du Cameroun et engager la guerre alors qu´on sait pertinemment qu´à ce moment-là le parti n´existe pas dans cette province ? Si on observe le nombre de cadres de l´U.P.C. massacrés pendant ces événements à la frontière du Congo-Brazzaville, on comprend que c´était là une aventure véritablement criminelle. On ne fait pas la révolution en engageant la guerre sans avoir au préalable organisé la masse. Cela revient à se comporter comme un mercenaire. On voit donc que cette aventure était conçue pour éliminer de quelque façon certains cadres. Woungli-Massaga lui-même en était, mais lui il est sorti sain et sauf. En revanche que de cadres y ont laissé leur vie, et parmi eux des docteurs. D´autre part, la zizanie n´a pas tardé au sein même du Comité Révolutionnaire, Woungli et Ndoh se sont mis à lutter contre Nicanor Njiawué, contre Ndongo Diyé, etc. et les ont expulsés. De très nombreux membres qui au début composaient le Comité Révolutionnaire, combien reste-t-il ? Deux. Au début, ils étaient: Tchaptchet, Woungli, Kingué, Ouandié (du moins le prétendait-on), Ndoh Michel, Osendé Afana, Fosso François, Ekwalla Robert, Ndongo Diyé, Nicanor Njiawué. Telle est du moins la liste qu´ils ont publiée. Difficile à vérifier [PAGE 53] puisque, comme je l´ai dit tout à l´heure, beaucoup de ces camarades étaient absents d´Accra au moment de la constitution du C.R. et qu´on ne les a pas consultés. Ils étaient donc huit à l´extérieur. Or on a tout de suite expulsé Kingué après une violente campagne contre lui, Fosso n´a jamais accepté de collaborer avec eux, ni Ekwalla, ni Osendé Afana. Voyons ceux qui ont collaboré un temps avec eux : Ndongo Diyé s´est rallié à la dictature néo-coloniale d´Ahidjo; Tchaptchet aussi s´est rallié, il était pourtant secrétaire du Comité Révolutionnaire. Tchepda, qui était un membre actif, et aussi secrétaire du C.R., est rentré au pays. Le Dr Tchokokam, qui était au secrétariat du C.R. lui aussi, est maintenant au Cameroun. On voit là une évolution extrêmement suspecte. Mais la chose la plus importante, à mon avis, c´est encore de revenir aux événements de Genève en insistant sur la connivence de Tchaptchet et de Bechtel, l´agent des services secrets français qui a assassiné Moumié. Il est remarquable que, après l´empoissonnement de Moumié, les deux personnages aient quitté en même temps Genève. Aujourd´hui encore Bechtel reste fidèle à sa mission. Et Tchaptchet aussi : en effet, jusqu´à ce jour Tchaptchet n´a jamais rien dit. On n´a vu nulle part aucune déclaration de Tchaptchet pour dénoncer ce crime ou pour éclaircir l´affaire.



Mongo Beti. – Bechtel a été arrêté il y a environ sept ou huit ans, en Belgique où il se cachait après son crime, parce qu´il était recherché par la police helvétique. Il avait 80 ans à ce moment-là. Il a été extradé par la Belgique, jusqu´en Suisse. La Suisse a fait semblant d´organiser un procès, puis finalement, il y a un an à peu près, Bechtel a bénéficié d´un non-lieu, un tribunal suisse ayant estimé qu´on ne voyait pas très bien quel mobile aurait poussé le gouvernement français à souhaiter le meurtre de Moumié et Bechtel à l´exécuter. Bien entendu la justice suisse avait subi les pressions d´Ahidjo, la Suisse ayant au Cameroun de très considérables intérêts; et naturellement aussi les pressions du gouvernement français qui a toujours tenté d´éviter que son rôle dans les affaires camerounaises soit connu du grand public. Or, au même moment paraissait à Paris un livre intitulé
S.D.E.C.E. Service 7[1] qui est un peu l´histoire d´un [PAGE 54] fameux espion français, Le Roy-Finville, connu surtout depuis l´affaire Ben-Barka. Or, dans ce livre, Le Roy-Finville aujourd´hui à la retraite avoue sans se gêner que Bechtel, résident du S.D.E.C.E. à Genève, a tué Moumié. En somme c´est un haut responsable de l´espionnage français qui raconte lui-même, spontanément, comment un espion français a assassiné Moumié à Genève.


Ndeh Ntumazah. – C´est donc la preuve que Moumié a été assassiné par la France. Et comment se fait-il qu´un membre de l´U.P.C. qui était à Genève avec Moumié au moment où celui-ci a été assassiné par la France soit maintenant au Cameroun et ne dise rien ?


D´autre part, pourquoi la France a-t-elle assassiné Moumié ? Parce que, dit-on, Moumié était contre la France. Ceci doit être tout à fait clair dans l´esprit de vos lecteurs : l´U.P.C. n´a jamais pris position contre la France en tant que pays, ou en tant que peuple. L´U.P.C. était contre un système qui a été rejeté par la France elle-même, le colonialisme : si les Français ont lutté contre Pétain sous l´occupation allemande, ils doivent comprendre que le peuple camerounais, lui aussi, sous la direction de l´U.P.C., ait lutté et lutte pour se débarrasser du colonialisme français, et qu´elle le ferait contre le colonialisme de quelque pays que ce soit. Les upécistes lutteront toujours contre le colonialisme en tant que système. L´U.P.C. combat donc un système dont chacun sait qu´il ne permet pas aux colonisés de se développer. Le problème n´est pas d´être pour ou contre la France. Rien ne permet de dire que, une fois indépendants, nous n´aurons pas de relations commerciales, économiques et culturelles avec la France. Personne ne peut mettre fin à ce genre de relations.


Les Français devraient se souvenir de l´histoire des Etats-Unis, ayant été le meilleur soutien de ce pays dans son combat contre les Anglais et pour son indépendance. Ce fut une guerre longue et cruelle; aujourd´hui pourtant les Anglais sont de loin les meilleurs alliés des Etats-Unis. Donc à supposer même que d´autres pays veuillent nous aider à lutter contre le colonialisme français, cela ne veut pas dire que, après notre libération, nous n´aurons pas de lien avec la France. Il y a beaucoup de produits chez nous dont les Français ont besoin; pourquoi dédaignerions-nous un tel marché pour ces produits ? [PAGE 55] Mais nous prendrons notre décision librement, sans pression venant de l´extérieur. Après son indépendance, le Cameroun veut pouvoir décider librement où vendre, où acheter, quoi vendre, quoi acheter. Dans quelle quantité on doit vendre. Qu´est-ce qu´on doit importer. Au profit de quelles couches sociales. Bref le Cameroun doit avoir le droit de choisir, droit de choisir qui est toujours usurpé par le colonialisme.



Mongo Beti. – J´espère qu´avec les révélations que tu as bien voulu me faire aujourd´hui à Londres, l´abcès dont je parlais tout à l´heure, celui que constitue le Comité Révolutionnaire, sera enfin débridé et que les Camerounais vont maintenant, sachant ce qui s´est passé et qui est responsable de ces événements, sortir de cette paralysie. Rien de plus paralysant en effet que la situation qui prévalait jusqu´ici : les gens se posaient des questions, doutaient. Fallait-il ou non travailler avec le C.R. ? Où était la légitimité de l´U.P.C. ? Avec les informations dont ils vont maintenant pouvoir disposer, je suppose que les Camerounais vont enfin avoir le courage de décider par eux-mêmes. Passons donc à un autre point : j´aimerais maintenant savoir comment tu vois l´avenir de la révolution camerounaise. Quelle décision penses-tu que les Camerounais devraient prendre maintenant pour repartir de plus belle ?


Ndeh Ntumazah. – La première chose, c´est ce que les Camerounais doivent savoir : le Cameroun n´a jamais été libéré. Cela, tout Camerounais doit bien le savoir. L´indépendance du Cameroun n´a jamais été acquise. Il faut bien se rappeler que la France a signé avec Ahidjo des accords militaires à une époque où le Cameroun n´était pas juridiquement un Etat indépendant, c´est-à-dire en 1959, au moment où la France était la seule autorité internationale reconnue au Cameroun. Car s´il y avait alors un gouvernement responsable au Cameroun, c´était le gouvernement français au regard du droit international. En somme cet accord a été signé entre la France et la France. Dans quel but ? Pour mettre fin au statut international du Cameroun, et organiser ainsi, à l´abri de toute curiosité inamicale venant de l´extérieur, les conditions requises pour la recolonisation de notre pays. Voici par exemple une anecdote significative : à un moment donné, il fallut présenter devant l´Assemblée [PAGE 56] générale des Nations Unies une résolution établissant qu´il n´y avait pas nécessité de procéder à des élections libres au Cameroun avant la proclamation de l´indépendance. Eh bien, ce sont les Etats-Unis qui durent se charger de présenter cette résolution, tous les autres pays membres s´étant dérobés l´un après l´autre. Les Anglais et les Français avaient cherché en vain, en dehors de leurs amis, un pays même fantoche, comme le Libéria de l´époque ou l´Ethiopie du Négus, pour se charger de cette présentation. Ceci prouve que c´était bien un complot ourdi par les pays impérialistes occidentaux de ne pas laisser le Cameroun devenir indépendant. Si l´indépendance du Cameroun n´a jamais été acquise, c´est parce que l´occident s´y opposait. Pour quelles raisons ?


L´Occident a dit : « Il ne faut pas faire des élections au Cameroun avant l´indépendance sous le contrôle des Nations Unies, comme cela a été fait au Togo, parce que, au Cameroun, les communistes l´emporteraient et s´empareraient du pouvoir. » Quel étrange raisonnement ! Mais surtout quelle immoralité dans l´art de tromper l´opinion internationale! Nombreux sont les pays européens qui sont beaucoup plus près du communisme que le Cameroun. Non seulement le communisme est une idéologie qui est née chez eux, mais certains d´entre eux, je pense à la France et à l´Italie par exemple, abritent des partis communistes puissants. A-t-on jamais privé les Français et les Italiens du droit de choisir leurs députés au cours d´élections libres, en arguant que les communistes pourraient y prendre le pouvoir ? Ce n´était évidemment pas la vraie raison. La vraie raison, la voici : on savait bien que le Cameroun est un pays très riche, possédant de grandes quantités de matières premières; la France a voulu simplement confisquer ces matières premières au profit exclusif de sa prospérité. Le cas du pétrole, dissimulé à l´époque, est connu maintenant. Quant à l´or de Bétaré-Oya, on nous dit aujourd´hui qu´il est épuisé mais combien de Camerounais se doutaient qu´on exploitait des mines d´or chez eux ? Toutes ces richesses sont aujoud´hui en cours de pillage et les quelques rares retombées que laisse ce pillage, le seul homme qui en profite, c´est Ahidjo avec sa petite clique. Les Camerounais doivent donc aujourd´hui encore poursuivre la lutte pour conquérir l´indépendance réelle de leur [PAGE 57] pays. Et pour que cette lutte puisse se poursuivre, les Camerounais doivent élaborer une plate-forme où tous les patriotes sincères doivent pouvoir se rencontrer afin de mener ensemble la lutte pour l´indépendance réelle. Et cette lutte pour l´indépendance réelle n´est pas une lutte dirigée contre un peuple. Les Français eux-mêmes ont bien lutté pour avoir le droit de se débarrasser des Allemands; les Américains l´ont fait pour se débarrasser du colonisateur anglais. La Grande-Bretagne elle-même a bien montré pendant la dernière guerre qu´elle ne pouvait pas accepter l´idée qu´un autre peuple vienne la coloniser.


Nous voulons avoir le même droit de choisir nos dirigeants. Si nous avons insisté à l´O.N.U. en 1959 pour que des élections libres se déroulent préalablement à la proclamation de l´indépendance, c´était pour permettre aux Camerounais de choisir eux-mêmes leurs leaders, ainsi que les mouvements qui doivent les diriger. C´était pour que ces mouvements puissent présenter leur programme au peuple et laisser le choix au peuple. Et c´est ainsi que cela se passe en Occident. Nous ne demandons pas autre chose. Nous ne demandons que de bénéficier des conditions ordinaires de l´exercice des droits démocratiques, conditions qui permettent à un peuple de choisir librement ses dirigeants, et de les laisser tomber demain comme on vient de le faire en France. Nous demandons qu´un tel droit puisse s´exercer librement chez nous aussi.



Mongo Beti. – Donc, au stade où nous sommes, ce que tu préconises, c´est des élections libres au Cameroun.


Ndeh Ntumazah. – Oui, mais nous savons bien que personne là-bas, ne va accepter d´organiser de telles élections. Ahidjo n´ignore pas le verdict qui sortirait des urnes. Mais alors que faire quand nous savons bien qu´Ahidjo ne va pas permettre l´organisation d´élections libres ? La France non plus ne permettra pas l´organisation de telles élections, sachant très bien aussi pour sa part quel en serait le résultat. Mais alors que faire dans ces conditions ? Cela, c´est le problème que les Camerounais doivent avoir la possibilité, en se réunissant, de discuter. Car pour soigner le malade, il faut l´examiner; on a examiné le malade; on a vu que la maladie est plus grave qu´avant, que le Cameroun n´est pas en voie de guérison, loin s´en faut. Bien, il faut quand même qu´il guérisse. [PAGE 58] Comment faire ? S´il était possible d´organiser des élections afin que les Camerounais choisissent eux-mêmes leurs leaders, ce serait la solution idéale. Mais si les conditions requises pour l´organisation d´élections libres ne peuvent être réunies, alors il appartient aux Camerounais d´examiner ce qu´ils doivent faire pour mettre fin à ce cancer.



Mongo Beti. – Autrement dit, tu préconises une sorte de table ronde, une table ronde de toutes les factions camerounaises actuelles, de quelque idéologie qu´elles se réclament, en dehors bien entendu de la faction d´Ahidjo, évidemment, qui s´est mise elle-même hors du giron national en se livrant à une effusion frénétique du sang camerounais. Est-ce bien cela ?


Ndeh Ntumazah – C´est normal. La seule garantie que nous devons exiger d´un Camerounais c´est de reconnaître qu´il est camerounais. Et, s´il se reconnaît comme Camerounais, de dire s´il est pour ou contre le régime actuel. Question d´idéologie, là il s´agit des programmes qu´on va présenter au peuple pour lui permettre de choisir. Si quelqu´un se dit aujourd´hui communiste ou capitaliste, comment fera-t-il pour que le peuple camerounais soit à même de choisir son capitalisme ou son communisme ? Car le principe fondamental est que le peuple camerounais doit avoir la possibilité de choisir. Or le seul moment où les partis peuvent présenter leur programme au peuple camerounais et demander à celui-ci de se prononcer, c´est quand on aura mis fin à cette dictature imposée au peuple camerounais. Suppose des Camerounais aujourd´hui refusant de collaborer avec d´autres Camerounais pour des raisons idéologiques, eh bien tant pis pour eux ! car on ne voit pas alors comment le peuple camerounais connaîtra leur idéologie. La seule façon pour les différentes factions de faire connaître leur idéologie au peuple camerounais, c´est de la lui proposer une fois que la dictature actuelle aura été éliminée. Donc, à l´heure actuelle, c´est sur une plate-forme de libération nationale que toutes les factions camerounaises doivent s´unir, dans le but d´en finir avec le cancer de la dictature d´Ahidjo.



Mongo Beti. – Par conséquent tu penses que, malgré ses mérites historiques (abstraction faite de ses divisions actuelles, car il faut bien reconnaître qu´il y a plusieurs
[PAGE 59] U.P.C. actuellement), l´U.P.C. ne s´impose pas comme le mouvement qui détient automatiquement le leadership de cette table ronde des factions opposées à la dictature d´Ahidjo.


Ndeh Ntumazah. – L´U.P C. n´a jamais prétendu être le seul mouvement qui peut libérer le Cameroun. Jamais. La preuve, c´est que le Premier président de l´U.P.C. était un chef traditionnel, et cela au moment où des gens comme les Um, Ouandié, Moumié, Kingué étaient là. Ces derniers savaient bien que cet homme était un chef traditionnel; ils ne lui ont pas demandé d´abandonner sa chefferie. Je veux dire que s´il se trouve des gens aujourd´hui pour prétendre que l´U.P.C. seule peut diriger la révolution camerounaise, ils ne sont pas fidèles à la pensée des fondateurs du mouvement. L´U.P.C. a toujours tenté de collaborer avec tous les Camerounais, y compris les chefs de l´Eglise, les chefs traditionnels, les syndicalistes, les ouvriers, les employés, avec tous en somme. L´U.P.C. n´a jamais tenté de défendre les intérêts d´une classe, d´un groupe de Camerounais, à l´exclusion des autres. L´U.P.C. a toujours essayé de collaborer avec toutes les forces qui s´opposent au système du colonialisme direct ou indirect. Donc je souhaiterais que les Camerounais élaborent une plate-forme à partir de laquelle ils puissent continuer à lutter, comme l´U.P.C. l´a toujours fait, en collaborant avec tous ceux qui souhaitent sincèrement un changement au Cameroun. Le changement ne peut en effet avoir lieu au Cameroun sans la collaboration des Camerounais. Il n´est pas question d´organiser une armée à l´extérieur pour envahir le Cameroun; de même aucun pays extérieur ne peut libérer le Cameroun à la place des Camerounais. Le Cameroun doit être libéré par les Camerounais eux-mêmes. Il faut donc étudier les moyens qui conditionnent la libération du Cameroun par les Camerounais eux-mêmes; car la libération ne viendra pas du Ciel, elle viendra d´eux-mêmes.


Je suis prêt à collaborer avec les compatriotes sincères. L´U.P.C., ce n´est pas seulement un problème de sigle : U, P et C; c´est surtout un programme. Et le programme de l´U.P.C., c´est : liberté pour les Camerounais. Liberté de chaque personne physique, liberté d´écrire ce qu´on voit, liberté de collaborer avec les autres forces du monde, [PAGE 60] droit de bénéficier du développement de la technologie et de la science, droit pour le peuple camerounais de mener aussi une vie heureuse. C´est cela que l´U.P.C. a toujours recherché. Quand nous disons que l´indépendance du Cameroun n´est pas acquise, il convient de voir ce que cela signifie concrètement. Ainsi combien de Camerounais vivent une vie heureuse, mise à part une petite poignée de citadins ? Or la majorité des Camerounais vivent encore dans les villages dans des conditions exécrables. Ceux qui viennent dans les hôpitaux de la ville, il faut voir comment ils y sont traités. Comme des animaux. Les gens doivent venir à l´hôpital avec leur drap de lit, ils doivent acheter leurs médicaments. Mais que deviennent ceux qui n´ont pas les moyens de se procurer un drap de lit ? et ceux qui n´ont pas les moyens de se procurer des médicaments ? La mort seule les attend. Et les Camerounais qu´on force à cultiver le café ou le cacao que les firmes d´import-export leur achètent à des prix dérisoires, au moment où on les contraint à ne plus cultiver le macabo, le plantain et autres cultures vivrières ? Si bien que, aujourd´hui, les Camerounais doivent importer les denrées qu´ils exportaient hier. Or nous savons bien que cette situation ne pourra pas changer sans que la dictature d´Ahidjo ait été renversée.



Mongo Beti. – Je vais me permettre de te poser une question en quelque sorte subsidiaire maintenant, dont je ne suis d´ailleurs pas sûr de pouvoir publier la réponse qu´elle aura suscitée; car elle risque d´être l´aspect le moins intéressant de l´interview. C´est en quelque sorte une question folklorique. Voilà. Le gouvernement vient de changer à Paris; alors au lieu d´un gouvernement de droite, il paraît que la France a maintenant un président de gauche, un gouvernement de gauche et un parlement de gauche, du moins en ce qui concerne l´Assemblée nationale, qui est un peu la Chambre Basse là-bas. Ces gens-là, je veux dire la gauche, ont fait pendant leur campagne électorale beaucoup de discours démagogiques en faveur des droits de l´homme en Afrique francophone, contre les méthodes sanglantes des roitelets nègres. Or depuis qu´ils sont au pouvoir, on s´aperçoit qu´au fond leur politique reste la même que celle de Giscard d´Estaing. Alors qu´est-ce que tu penses
[PAGE 61] de ce soi-disant changement qui vient d´intervenir à Paris ?


Ndeh Ntumazah. – Oui, le changement qui vient de se produire en France a été une bonne chose pour les Français. Le peuple français a eu le droit de choisir librement entre Mitterrand et Giscard d´Estaing. Il a choisi à l´heure actuelle Mitterrand. Ce choix, que nous soyons pour ou contre, c´est le choix du peuple français. Il a eu cette liberté nous devons la respecter. Ce que nous demandons, c´est que ce peuple français qui a bénéficié du droit de choisir librement ses dirigeants nous soutienne afin que nous aussi nous ayons la possibilité de nous exprimer librement, de choisir librement. La France a ses intérêts, et quel que soit l´homme choisi par le peuple français pour diriger la France, nul ne doute que celui-ci devra en premier lieu défendre les intérêts français, et non les intérêts camerounais. Or nous ne demandons pas au peuple français de se substituer à nous et de lutter à notre place pour l´indépendance du Cameroun; car les Camerounais eux-mêmes peuvent aussi choisir leurs dirigeants, comme le peuple français vient de choisir les siens. Ce droit, nous ne l´avons pas, nous Camerounais; c´est pourquoi nous réclamons le soutien de toutes les couches progressistes du peuple français pour l´avoir et l´exercer.


Nationaliserons-nous alors automatiquement les intérêts français ? Quelqu´un m´a posé cette question l´autre jour, alors que nous parlions des nationalisations qui sont en cours actuellement en France. Aucun dirigeant ne nationalise de grandes entreprises pour le seul plaisir de nationaliser. C´est vrai pour la France, c´est vrai aussi pour le Cameroun. On nationalise une entreprise parce qu´on pense que de cette façon elle sera mise plus efficacement au service du peuple. La décision de nationaliser ou de ne pas nationaliser, ce sera la décision du peuple camerounais. Et ces nationalisations ne peuvent intervenir qu´au moment où toutes les conditions requises pour le faire seront remplies. Je dis donc, pour conclure, que les événements de France sont intéressants, mais les Camerounais doivent quand même se dire que ces gens-là qui sont élus ont été élus par les Français pour défendre les intérêts de la France en priorité. Mais la France doit savoir aussi que, en soutenant chez nous [PAGE 62] une dictature anti-populaire, elle compromet les intérêts du peuple français. Le peuple camerounais sait en effet pertinemment que cette dictature ne se maintient qu´avec le soutien de la France; de la sorte, le jour où cette dictature sera éliminée, car chacun sait bien que cette dictature sera éliminée un jour, la nouvelle situation entraînera nécessairement la remise en cause des relations entre la France et le Cameroun indépendant. Or, les intérêts français seraient mieux protégés si le peuple camerounais choisit lui-même ses leaders. Car il faut que le peuple camerounais ait le droit de choisir ses dirigeants et, éventuellement, de les écarter s´ils ne travaillent pas dans l´intérêt de la nation camerounaise. Or, si la France nous soutient dans ce sens, elle défend les intérêts français. Si la France continue à soutenir les actuelles marionnettes camerounaises au pouvoir à Yaoundé, c´est-à-dire des gens corrompus, qui volent l´argent des Camerounais pour le mettre dans des banques à l´extérieur, pour construire des maisons partout dans le monde, si la France continue à soutenir ce vol, à collaborer avec les voleurs, eh bien la France œuvre alors contre ses propres intérêts. La meilleure façon pour la France de protéger les intérêts du peuple français au Cameroun, c´est de soutenir les efforts de ceux qui veulent instaurer une véritable démocratie au Cameroun, c´est de reconnaître au peuple camerounais le droit de choisir librement ses dirigeants.



Mongo Beti. – Avant d´en terminer, je voudrais quand même encore te poser une petite question. Tu m´as confié tout à l´heure avant que nous commencions à enregistrer que le dictateur Ahidjo allait t´envoyer des émissaires et même qu´il avait déjà délégué des gens auprès de toi. Selon toi dans quel but, après tout ce qui s´est passé, Ahidjo ose-t-il t´envoyer des émissaires ?


Ndeh Ntumazah. – C´est simple : que cherche Ahidjo ? Il cherche à me faire rentrer au Cameroun. Je sais pourquoi Ahidjo cherche à tout prix à me faire rentrer au Cameroun. Si j´étais au Cameroun, je ne pourrais plus parler comme je te parle en ce moment. Pour me fermer la bouche, soit en m´assassinant soit en me mettant dans une prison, ou par tout autre moyen, il faut que je sois entre ses mains. Car je suis dangereux pour Ahidjo aussi longtemps que je suis hors du Cameroun. J´ai demandé, aux gens qu´Ahidjo m´a envoyés ici pourquoi Ahidjo [PAGE 63] avait arrêté mon père et l´avait gardé en détention pendant quatre années pour le libérer dans un état tel que ce vieil homme est mort quelques jours seulement après sa sortie de prison. Après mon départ du Cameroun, Ahidjo fit arrêter mon père; quand il le fit libérer, mon père était dans un tel état d´épuisement que, comme je viens de te dire, il mourut quelques jours seulement après sa libération. Mon père, qui avait été arrêté en 1962, est donc mort en 1966, après quatre longues années de détention. Or mon père ne savait rien de la politique; la seule chose qu´il savait c´est que je suis son fils. Si mon père fut arrêté, tous les autres membres de ma famille furent maltraités y compris les enfants de mon frère et les enfants de ma sœur. Aujourd´hui encore personne n´habite dans ma maison. Les gendarmes ont emporté portes et fenêtres au cours des innombrables fouilles qu´ils y ont opérées. Or ce même Ahidjo qui a maltraité ma famille veut aujourd´hui que je revienne au Cameroun. Et je sais pourquoi il veut que je rentre. Il voudrait que je n´aie plus aucune possibilité de parler aux Camerounais, de leur faire connaître leur histoire qu´ils ignorent très souvent. C´est quand même Ahidjo qui a poussé le Maroc à m´expulser, qui s´est démené pour que les Anglais me refusent leur hospitalité, et aujourd´hui il me demande de revenir au Cameroun! Or, après mon départ du Cameroun, Ahidjo m´a fait condamner à mort en 1962. Mais il n´en parle pas. Peut-être se figure-t-il que je ne suis pas au courant de cette condamnation à mort. Il faut savoir qu´à ce jour cette condamnation à mort n´a pas été abrogée. J´avais un ami, Mulélé, qui était rentré, lui, dans son pays, le Zaïre; on sait ce qui lui est arrivé.



Mongo Beti. – Oui, le lendemain, il était fusillé à l´aube, sur l´ordre de Mobutu. On s´en souvient.


Ndeh Ntumazah. – Oui, mais tant qu´il a été à l´extérieur, on lui disait les mêmes belles paroles que le Cameroun Ahidjo me tient maintenant. Or Ahidjo sait que, non seulement Mulélé était un vaillant combattant de la libération de l´Afrique mais que c´était aussi un de mes amis.



Mongo Beti. – Très bien. Est-ce que j´ai oublié un thème, un point qui te tient particulièrement à cœur et à propos duquel tu souhaiterais faire une déclaration ?


Ndeh Ntumazah. – Le seul point important vraiment, [PAGE 64] c´est que je fais appel à tous les Camerounais pour qu´ils se réunissent. Tous les Camerounais sincères, les Camerounais qui n´ont pas trahi, les Camerounais qui ne sont pas au service de l´étranger, qu´ils soient d´un sexe ou de l´autre, doivent maintenant essayer d´examiner le problème posé par leur pays, pour chercher comment mettre fin à la situation actuelle. Cela, c´est le problème qui est brûlant aujourd´hui. Il ne faut jamais perdre de vue que des Camerounais meurent, des Camerounais tombent tous les jours. Des Camerounais sont détenus dans des conditions abominables. On parle des camps de concentration du Cameroun. Le Cameroun tout entier est aujourd´hui un camp de concentration. Les gens n´ont pas le droit de s´exprimer. Les gens n´ont pas le droit de se déplacer. Les gens n´ont pas de quoi survivre. Les conditions dans les hôpitaux sont inimaginables de même que les conditions dans les établissements d´enseignement. La culture camerounaise est littéralement exterminée. On est en train d´imposer une culture étrangère aux Camerounais. Ahidjo aujourd´hui désigne nos compatriotes du Nord-Cameroun du nom de Kirdis, – un terme inventé par les Foulbés d´Osman dan Fodio, au moment de sa conquête du Nord- Cameroun, pour justifier l´esclavage auquel ils allaient soumettre les populations indigènes. L´esclavage existe encore chez nous. Il est inconcevable de laisser subsister de telles mœurs. C´est, comme je viens de dire, une question qui est brûlante. On ne peut pas permettre que cela continue. Cette situation, les Camerounais doivent se réunir pour l´examiner et décider de ce qui doit être fait pour y mettre fin. C´est le sens de mon appel aux Camerounais aujourd´hui.


Peu m´importe de qui on se réclame, de Ruben Um Nyobé, de Félix-Roland Moumié, d´Abel Kingué, d´Ernest Ouandié, d´Osendé Afana, ou de tout autre quel qu´il soit; je dis que la seule vraie façon de pleurer Um Nyobé, la seule vraie façon de Pleurer Moumié, la seule vraie façon de pleurer Kingué, la seule vraie façon de pleurer Ouandié, la seule vraie façon de pleurer Osendé Afana, la seule vraie façon de pleurer tous les nôtres qui sont tombés, c´est de reprendre le flambeau, de continuer la lutte; c´est de faire tout pour mettre enfin un terme à la barbare oppression qui écrase notre pays. Ensuite, nous pourrons commencer à résoudre les autres problèmes [PAGE 65]. Ainsi pourrons-nous par exemple commencer à écrire l´histoire véritable du Cameroun. Il y a des Camerounais qui font leurs études au Cameroun sans connaître l´histoire de leur pays. Combien de Camerounais savent réellement comment leur pays a été créé; quand on dit que le Cameroun actuel est une création de l´extérieur, on ne croit pas si bien dire. Le Cameroun est un pays qui a été souvent amputé au bénéfice de ses voisins. C´est la Pologne de l´Afrique Centrale.


De quoi un Camerounais peut-il être fier alors que son pays est occupé ? Nous avons un Pétain. Les Français eux-mêmes firent tout sous l´occupation allemande pour se débarrasser de celui qui collaborait avec l´ennemi du peuple français. Nous avons aussi un homme chez nous, une équipe chez nous qui collabore avec les ennemis du peuple camerounais, qui s´est mis au service de l´étranger, qui extermine les Camerounais. Des criminels sont au pouvoir chez nous. Ces criminels doivent être punis. Si cela ne peut se faire en ce moment, c´est parce qu´ils sont soutenus par des puissances étrangères.


Pour réussir à les renverser, nous devons nous organiser. Cela, c´est le problème de l´heure, je veux dire la réorganisation des Camerounais. Il faut examiner ensemble la situation et adopter la stratégie et la méthode de travail qui vont accélérer la chute de la tyrannie au Cameroun.



Ndeh Ntumazah et Mongo Beti


*
*  *
Seul survivant parmi les cinq premiers dirigeants de la révolution camerounaise, Ndeh Ntumazah doit être considéré comme l´unique dépositaire à l´heure actuelle de la légitimité non seulement du One Cameroon´s Movement, dont il est le président sans interruption depuis la naissance de cette organisation au Cameroun sous administration britannique, mais aussi de l´Union des Populations du Cameroun (U.P.C.), l´organisation qui combattit seule, les armes à la main, la colonisation française, mais qui fut écartée du pouvoir et même de la scène politique camerounaise par une machiavélique stratégie de la baodaïsation appliquée par le général de Gaulle à partir de 1958 et dont les Camerounais vivent encore les effets désastreux dans leur chair autant que dans leur âme aujourd´hui.

Certes le One Cameroon´s Movement n´a jamais fusionné avec l´U.P.C., conservant jalousement sa spécificité. [PAGE 66] Dans la pratique pourtant, Ndeh Ntumazah a toujours partagé toutes les responsabilités des dirigeants historiques de l´U.P.C., et il est de notoriété publique qu´il bénéficia toujours de leur confiance expressément formulée. Ainsi, pendant les débats occasionnés à l´O.N.U. par la réunification des deux Camerouns (anglophone et francophone), Ndeh Ntumazah fut le porte-parole dûment investi de l´U.P.C. en même temps que du One Cameroon´s Movement. D´autre part, ainsi qu´il nous l´apprend incidemment dans son interview, pendant l´exil d´Accra, c´est-à-dire durant cinq ans, il fut étroitement associé, selon tous les témoignages, à la direction de l´U.P.C., se trouvant ainsi au coude-à-coude avec les premiers leaders aujourd´hui disparus : Moumié, Kingué, Ouandié – Um Nyobé étant mort dans le maquis en 1958 et Osendé Afana appartenant à une génération plus jeune.

Ces précisions nous ont paru indispensables, nos lecteurs sachant déjà que la légitimité au sein du Mouvement révolutionnaire camerounais a été âprement disputée ces vingt dernières années dans la confusion, l´aventurisme et l´intimidation stalinienne.


N.D.L.R.


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