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LA PRISE EN COMPTE DU MAGICO-RELIGIEUX DANS LES PROBLÉMATIQUES DE DÉVELOPPEMENT DURABLE : le cas du Ngondo chez les peuples Sawa du Cameroun

 
L`objet de notre communication est de montrer l`interaction qu`il y a entre la culture et le développement en Afrique noire.


Par Esoh Elamé, Docteur en géographie, Enseignant - Chercheur, Scuola Interateneo di Specializzazione degli insegnanti del Veneto, Université Cà Foscari de Venise, Italie, courriel : esoh_fr@yahoo.fr


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Résumé : L´objet de notre communication est de montrer l´interaction qu´il y a entre la culture et le développement en Afrique noire. Plus concrètement, en partant d´une pratique religieuse traditionnelle des peuples Sawa du Cameroun, nous allons mettre en évidence la nécessité de prendre en compte les biens culturels matériels et immatériels de type magico-religieux dans les problématiques de développement en Afrique subsaharienne.

Mots clés : Afrique noire, Développement durable, culture, religions traditionnelles africaines

Abstract : This paper attempts to present interaction between culture and development in Sub-Saharan Africa. More concretely, considering traditional religious practices of the Sawa people in Cameroon, we focus upon the necessity to take into consideration the magic religious material and immaterial cultural heritage in the development of the area.
Keywords: Subsaharian Africa, Sustainable development, culture, traditionnal African religion
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Le Cameroun est un pays de l´Afrique centrale ayant aujourd´hui une population de plus de 14,8 millions (1998) et une mosaïque impressionnante de 212 ethnies se côtoyant et continuant à véhiculer leurs langues et croyances traditionnelles. Parmi les communautés autochtones du Cameroun, on retrouve les peuples Sawa, terme regroupant un ensemble d´ethnies vivant le long du littoral camerounais pour qui l´eau imprègne très fortement leurs traditions et cultures. Pour ces peuples, les cours d´eau ont toujours joué un rôle important dans le façonnement de leurs pratiques cosmogoniques dont la plus significative est le Ngondo.

L´objet de notre propos est de montrer l´attachement du peuple Sawa au Ngondo, forme de religiosité traditionnelle et l´importance de prendre en compte cet aspect dans les politiques de développement durable. Pour illustrer cela, nous montrerons en quoi consiste la pratique spirituelle du Ngondo et comment à travers elle, les peuples Sawa s´approprient leur patrimoine aquatique en tant que biens culturels matériels et immatériels de type magico-religieux. Enfin, les fonctions socioculturelles du Ngondo nous interrogent sur sa pertinence dans le développement durable du littoral camerounais. Ce qui fait appel à un éventuel pilier culturel /interculturel du développement.

Nous signalons d´emblée que la définition de la culture que nous utilisons ici à savoir " l´ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances" fait référence aux travaux de certains auteurs notamment Panoff, Perrin (1973), Conférence Mondiale sur les politiques culturelles (Mexico, 1982), Déclaration universelle de l´Unesco sur la diversité culturelle (Paris, 2 novembre 2001).

A cela s´ajoute aussi les modes de vie, les savoir-faire techniques, économiques, artistiques et environnementaux, les modes d´organisation collectifs. A partir du moment où les groupes sociaux se construisent dans les relations qu´ils ont les uns des autres, ils ne relèvent donc pas d´une essence immuable. De ce fait, la culture des groupes sociaux n´est pas un phénomène figé mais un processus en constante évolution se définissant en fonction de ses caractéristiques propres et de ses relations avec celles d´autres groupes sociaux. Les cultures sont donc en perpétuelle construction et s´enrichissent mutuellement.

Les peuples Sawa du Cameroun


Le terme Sawa regroupe tous les habitants de la région côtière du Cameroun (Fig. 1). C´est un ensemble de peuples ayant des origines bantoues et partageant un même héritage historique radicalement marqué par certaines valeurs notamment le modèle et l´esprit familial, l´hospitalité, le partage, la solidarité, les pratiques langagières orales et gestuelles, etc. Les peuples Sawa ont donc une armature culturelle commune où s´enchevêtrent similarités linguistiques, rites, codes et pratiques religieuses semblables. Pour ce qui est de l´occupation spatiale, les Sawa se subdivisent en deux grandes composantes. Le premier groupe est constitué de ceux qu´on peut considérer comme les premières nations de la région côtière camerounaise. Il s´agit particulièrement des Bakoko, les Bassa des régions autour de Douala, Edéa et Yabassi et également d´autres groupes ethniques à savoir les Ndokpenda, Yabassi, Yingui, Mbang, Bandem, Yadimba, Yakalak, Njuki, Yansoki, Bonamateke, Yabea, Ndonga, Adie,Yasuki, Ndokbiakat, entre autres. Le deuxième groupe se compose d´un ensemble de peuples ayant un même ancêtre fondateur. Ce sont notamment les Douala, les Bombedi, les Bokumba, les Bakota et les Bose Minié.


Les aspects cosmogoniques des peuples Sawa


Comme tous les peuples de l´Afrique subsaharienne, les peuples Sawa ont un sens profond de la cosmogonie. Cela se retrouve dans leurs pratiques spirituelles qui font référence à ce qu´on appelle habituellement Religions Traditionnelles Africaines (RTA), entre autres objet de plusieurs études (L. - V. Thomas et R. Luneau.,1981- Mulago G. C., 1980 - Stamm A.,1995). Mulago (1980) définit justement les Religions Traditionnelles Africaines comme un " ensemble culturel des idées, sentiments et rites basé sur : la croyance à deux mondes, visible et invisible ; la croyance au caractère communautaire et hiérarchique de ces deux mondes; l´interaction entre les deux mondes ; la transcendance du monde invisible n´entravant pas son immanence; la croyance en un Etre Suprême, Créateur, Père de tout ce qui existe". Chez les Sawa, la religiosité africaine se matérialise par le "Jengu " dans sa forme actualisée du Ngondo. Elle n´est qu´un ensemble d´actions et d´attitudes, agissant sur le mode de vie et de pensée des Sawa, leur permettant de perpétuer les croyances et rituels ancestraux en tant que véritables expressions et symboles culturels. Le fait d´être riverain des cours d´eaux a amené les peuples Sawa à développer des pratiques religieuses fortement liées aux forces naturelles aquatiques. Ils considèrent leur patrimoine aquatique un bien culturel et spirituel abritant leur divinité du nom de Jengu. Des sources orales, le Jengu, appelé aussi communément "Mami Water" ou " esprit de l´eau " par les non initiés, est la mère des eaux. Reconnu dans la tradition comme une divinité hybride, le Jengu est une représentation mystique de la toute puissance des esprits de l´eau qui depuis de trois siècles, font partie intégrante de la vie des peuples Sawa. C´est un être aquatique, difforme par rapport aux humains et indissociable de l´eau. Les codes culturels, la manière dont un sawa initié appréhende le monde, part d´une observation de son environnement aquatique. Les aspects cosmogoniques des Sawa se manifestent donc par le Jengu donnant lieu à des expressions culturelles particulières les distinguant des autres ethnies camerounaises, qui ont, eux aussi leurs pratiques spirituelles traditionnelles.


Chez le peuple Batanga, le Jengu vit dans le fleuve côtier Lobé et prend sa source dans le massif du Ntem au centre du parc national de Campo Ma´an. Le fleuve Lobé de part ses chutes " les chutes de la Lobé ", se caractérise par un ensemble de petits bras qui progressent en une série de petites cascades sur une distance de 1 km avant de se jeter directement dans l´océan en plusieurs chutes dont la plus haute mesure près de 15 m. Les chutes de la Lobé représentent pour les Batangas un symbole fort de croyance. C´est le lieu culturel d´intronisation de leur Roi. Il y séjourne pendant une durée déterminée tout en suivant des rites précis afin de recevoir les bénédictions des esprits et des ancêtres fondateurs. C´est également le lieu des invocations des esprits de l´eau pour des raisons aussi bien thérapeutiques que de protection par exemple. Comme on peut le constater, le Jengu procure un sentiment d´identité et de non rupture avec les ancêtres fondateurs. On est alors amené à conclure que la perception par les Sawa de leur patrimoine aquatique, n´est que celui d´un monde où le visible et l´invisible se côtoient dans une approche symbiotique.


Le culte du Ngondo


Le culte du Ngondo dans sa posture d´assemblée traditionnelle réunissant l´ensemble des peuples de la région côtière du Cameroun, depuis maintenant trois siècles, a toujours symbolisé comme priorité depuis ses origines, le rapport des Sawa au cosmos, à Dieu (Nyambé). Il contribue à la réconciliation entre les peuples Sawa et les esprits tout en conservant aussi une fonction politique et administrative de gestion de l´espace géographique des peuples Sawa. Pris sous cet angle, le Ngondo est toujours apparu comme le cadre privilégié dans lequel sont abordés, discutés et solutionnés sur le fondement des traditions Sawa, tous les problèmes que ses membres estiment essentiels pour leur épanouissement socioculturel, politique et économique. Héritage religieux traditionnel faisant partie du patrimoine culturel matériel et immatériel1 , le Ngondo se compose d´une société secrète, d´un culte et d´un système de croyance ancien, hérité des ancêtres fondateurs. Il est au centre plusieurs rites, à vocation spirituelle ou thérapeutique, non exclusifs les uns des autres et auxquels participent un grand nombre de Sawa. Le culte de Ngondo ne se fait pas dans n´importe quelle condition, mais dans le cadre de cérémonies précises discrètes se concluant par une fête annuelle. De nos jours, les festivités magico-religieuses et culturelles du Ngondo se déroulent le premier week-end de décembre et durent une semaine. Le choix du mois de décembre n´est pas occasionnel : période d´étiage, décembre incarne le début de la saison sèche et donc la période la plus propice à la navigation légère, favorable à la rencontre d´une part entre les peuples Sawa et d´autre part entre ces derniers et leurs divinités. C´est aussi le moment de l´année où la mer et les baies du Wouri, patrimoine fluvial des Doualas, se remplissaient autrefois de crevettes servant de base à plusieurs menus typiques Sawa.

La tenue du Ngondo est annoncée à l´avance depuis la ville de Douala par des messages sacrés tambourinés. Comme le veut la tradition, ces messages sont ensuite relayés par d´autres tam-tams dans toutes les collectivités territoriales Sawa. Dans chaque localité, l´annonce est décodée et traduite aux populations par des initiés à la communication orale ethnique à travers un langage populaire où se moulent paraboles et phrases sacrées. Ce discours des communicateurs publics est appelé dans la tradition "Dikalo", et est toujours accompagné de sons de clochette en fer ou bronze. Le point culminant des pratiques spirituelles du Ngondo est le rituel de la "messe des eaux" se célébrant à Douala, sur les berges du Wouri, où ont lieu les veillées, les initiations, les réunions spirituelles ou thérapeutiques, les entretiens particuliers, les assemblées générales. Ce lieu incarne d´une certaine manière l´émanation parfaite de Jengu. Le but de la messe est de mettre en communion les peuples Sawa avec leurs divinités. La messe des eaux se caractérise par deux moments importants. Le premier temps fort concerne la veillée du rite de "la messe des eaux". Tout au long de la journée de la veillée spéciale, on assiste au battement du tam-tam des officiants pour rappeler et indiquer aux autochtones Sawa l´heure et le lieu de la veillée solennelle du Ngondo. La cérémonie est ouverte à toutes les couches de la population Sawa sans discrimination aucune de sexe, d´âge et de statut social et a nécessairement lieu dans le territoire d´un des clans Dualas. La veillée est un moment important de méditation spirituelle, où s´entremêlent prières ritualisées et plusieurs actions, guidées par la musique, danse et chants spirituels sous la coordination des patriarches et chefs de cérémonies. Les prières et invocations se font prioritairement par l´utilisation cadencée de langage chanté communément appelé "Ngosso" dans ses versions Mukukumé2 et chants d´évocation publique comme l´Essewe3 . La veillée est aussi une occasion pour les chefs traditionnels de se retirer dans un sanctuaire pour délibérer à huis clos sur certaines questions concernant l´avenir des peuples Sawa.


Sur ce point, il convient de souligner que la délibération à huis clos est aussi l´occasion pour les chefs traditionnels de renouveler leur serment avec les divinités des eaux dans le respect des principes fondateurs qui sous-tendent le Ngondo. Au cours de ce huis clos, sont également arrêtées des décisions capitales sur l´organisation cérémonielle de la grande fête du lendemain.


Le deuxième temps fort concerne le jour de la messe des eaux. En effet, le grand prêtre descend dans les profondeurs du fleuve Wouri pour immerger le vase sacré et rencontrer les divinités pour les interroger sur l´avenir des peuples Sawa. Les divinités répondent aux interrogations du peuple en remplissant le vase de fruits de mer. Il revient aux grands patriarches et aux prêtres de décrypter le message des divinités et le transmettre à la population. C´est dans la lecture de ce que les divinités habitant le fleuve envoient aux populations que le Ngondo tire sa puissance de culte du passé, faisant un trait d´union entre le monde visible et invisible. La célébration de ce moment particulier est fêtée par une belle course traditionnelle de pirogue.


Le Ngondo en tant que forme de religion traditionnelle africaine, est omniprésent dans la vie quotidienne car il incarne la culture chez les peuples Sawa. Il ne constitue pas seulement le moment des festivités. C´est un processus accompagnant chaque Sawa de la naissance à la mort et son contenu est précieux pour l´édification de l´identité de l´individu. C´est ainsi que le Ngondo fait corps avec les coutumes locales, et n´est pas visible sous forme d´église au sens sociologique du terme. Sa perception externe se symbolise surtout par plusieurs éléments matériels et immatériels et notamment aussi par le patrimoine aquatique des autochtones. Ce dernier d´une part reflète les repères historiques qui jalonnent l´itinéraire des peuples Sawa dans les terres camerounaises et d´autre part représente le lieu où s´opèrent leurs croyances en un monde invisible peuplé de divinités. Précisons également le fait que l´ensemble des biens culturels immatériels des Sawa se traduisant en des spécificités gastronomiques, musicales, vestimentaires et linguistiques pour ne citer que ceux là, ont un lien étroit avec l´environnement aquatique les abritant depuis des générations.


Quelle interaction entre les pratiques culturelles du Ngondo et le développement du littoral camerounais?


L´attachement des Sawa aux cultes des ancêtres à travers le Ngondo, a des aspects positifs qu´il convient de souligner. De fait, il existe une relation particulière entre le Ngondo et l´eau. L´eau est perçue ici comme un élément rituel, purificateur et donc sacré. Ainsi, doit-on commencer par donner acte que si l´eau a une dimension écologique, sociale et économique dans toutes les cultures humaines, dans certaines elle revêt même une dimension culturelle. L´intérêt des Sawa à considérer l´eau un patrimoine culturel correspond fort bien à d´autres expériences en Afrique notamment chez les peuples riverains de cours d´eau au Bénin, Togo, et Nigeria pour ne citer que ceux là où il existe des pratiques magico-religieuses liées à l´eau. Dans la même direction, de nombreuses études montrent également l´intérêt culturel que les noirs africains accordent à certains biens naturels tels les forêts, les montagnes, les animaux, etc. C´est particulièrement le cas des bois sacrés (Mogba.,1999, Esoh Elamé.,2003, Jonas Ibo.,2005, Kokou et al.,2005, Kokou et Sokpon.,2006). Toutefois, à la lumière de nombreux travaux (Pascal JP et Induchoodan.,1998, Swamy et al.,2003, Unnikrishnan.,1995), on constate que tous les continents sont concernés par la question des sites sacrés et de manière spécifique l´Afrique.


Mais si certains groupes sociaux pour des raisons qui leur sont propres, ont pu donner une dimension culturelle à certains biens que nous considérons aujourd´hui écologiques, pourquoi ne pas en tenir compte dans les politiques de développement? Il nous faut bien convenir que le développement est aujourd´hui universalisé. Mais cette mondialisation du développement n´est autre que la victoire d´un certain type de représentation du monde. Cette universalité de fond du développement ne peut donc pas ignorer la question de la reconnaissance des groupes sociaux et des savoirs dont ils sont porteurs.

La reconnaissance passe d´abord par la connaissance et pour cela, il incombe aux décideurs de passer à l´action en promouvant des politiques de valorisation des savoirs faire locaux. Les décideurs gagneraient à être conscients qu´ils peuvent " ...tirer des enseignements des savoirs populaires pour parvenir à une gestion raisonnée de la nature " (Friedberg.,1997, p 6).

Ce qui n´est toujours pas le cas en Afrique noire comme le démontre de nombreux projets de développement. Nous convenons avec Friedberg (1997) qu´il est " nécessaire de comprendre comment les savoirs populaires se construisent et s´organisent, comment ils rendent compte de la façon dont la réalité est perçue, conçue et vécue dans chaque société ". En ce sens, la pertinence socioculturelle du Ngondo chez les Sawa et les savoirs populaires dont ils sont porteurs dans le domaine de la gestion de l´eau sont insaisissables pour le profane. Il va de soi que la valorisation des savoirs et pratiques magico-religieuses dans la gestion durable du patrimoine aquatique du littoral camerounais ainsi que de tous les projets de développement qui en découlent s´avère non seulement utile mais efficace pour la préservation de la diversité biologique et culturelle.


Aborder les questions de développement du littoral camerounais en prenant en compte le Ngondo à travers d´une part les savoirs techniques et locaux et d´autre part les modes de pensée et de percevoir le territoire, favorise la participation, le débat public, et donc la démocratie. Dans le cas du Cameroun, il existe pourtant la loi-cadre n°96/12 du 5 août 1996 relative à la gestion de l´environnement. Selon l´article 9 de cette loi, " les décisions concernant l´environnement doivent être prises après concertation avec les secteurs d´activité ou les groupes concernés, ou après débat public lorsqu´elles ont une portée générale ". Au stade actuel d´application de la loi-cadre, on constate plutôt qu´en dehors du secteur forestier où des tentatives d´application existent (Lescuyer.,2005, Oyono.,2005, Djeumo.,2001), tel n´est pas le cas dans les autres problématiques environnementales.

Toujours concernant l´interaction entre pratiques culturelles du Ngondo et développement, on note que le patrimoine culturel immatériel des Sawa caractérisé par des traditions et expressions orales, des évènements festifs, des connaissances et pratiques sur la nature et l´univers en référence à l´eau, ne sont pas valorisées sur le plan économique, environnemental et social. Concrètement, une reconnaissance du Ngondo aurait pu se matérialiser par des mesures efficaces, simples et viables. Sur le plan économique par exemple, une interaction entre Ngondo et tourisme culturel durable aurait pu être développée tout comme la promotion des techniques de pêche traditionnelle, l´artisanat Sawa, la valorisation économique des habitudes alimentaires Sawa à travers le développement des produits du terroir, etc. Sur le plan social, la reconnaissance du Ngondo pourrait jouer un rôle clé dans la lutte contre la pauvreté à travers la mise en place de microprojets de développement local permettant la sauvegarde et la promotion des biens culturels Sawa, l´utilisation des langues Sawa dans les actions de renforcement des capacités afin de toucher un nombre important de personnes, le renforcement de la solidarité ethnique dans la lutte contre la pauvreté, etc. Sur le plan écologique, le Ngondo peut servir de limon dans la sensibilisation des populations aux problèmes environnementaux à travers l´utilisation de ses biens culturels immatériels. En outre, le Ngondo adhère à toute politique environnementale visant au respect et à la protection des sites sacrés. Ce qui n´est pas encore le cas actuellement. A cet effet, l´Etat a tout intérêt à mettre en place des actions concrètes pour la protection des sanctuaires, lieux de culte et de tout objet et bien culturel immatériel du Ngondo. Une journée de célébration de la fête du Ngondo reconnue officiellement comme c´est le cas pour les religions chrétiennes et l´Islam au Cameroun, et applicable uniquement dans l´espace géographique côtière serait une action louable et de respect pour les traditions des peuples Sawa.

L´introduction, dans les programmes scolaires des villes du littoral, d´activités pédagogiques de sensibilisation et de diffusion des fondements éthiques et valeurs du Ngondo dans le cadre de l´éducation interculturelle pour un développement durable, en collaboration avec les élites traditionnelles, peut aussi constituer une action pertinente de conservation des valeurs traditionnelles.


Dans le même cadre, il serait souhaitable de mettre en place des mesures incitatives visant à encourager les collectivités territoriales à faire l´inventaire de leurs biens culturels pour leur conservation. Un tel inventaire permet: de repérer les biens culturels aquatiques du littoral camerounais devant être sauvegardés le plus rapidement possible sous peine de disparaître; d´aménager les sites remarquables ayant un intérêt historique et ethnologique. Il est aussi important pour l´Etat d´exiger que soient systématiquement pris en compte les aspects culturels dans toutes les questions d´aménagement du territoire et de développement local. A cet effet, un nouveau cahier des charges des études d´impact sur l´environnement intégrant la dimension culturelle est à encourager.

L´une des questions épineuses de l´avenir du Ngondo au Cameroun concerne les conditions actuelles du fleuve Wouri qui subit une pollution importante due à l´étalement urbain et au processus d´industrialisation incontrôlée de Douala. A cela, il faut ajouter la pression migratoire interne et externe, et aussi le fait que le seul port terminal maritime d´envergure internationale du Cameroun se trouve à Douala dans le fleuve Wouri. Or pour les populations Sawa, certains espaces du fleuve Wouri sont sacrés car on y rencontre plusieurs sanctuaires, des lieux de cultes et cimetières marins. Il s´agit plus exactement d´espaces ayant par le passé, abrité les cérémonies magico-religieuses du Ngondo. Ces espaces sacrés rencontrés dans le Wouri ne sont pas aujourd´hui respectés à cause d´une exploitation exclusivement commerciale du fleuve par l´Etat. Ils subissent en outre une très forte pollution. La réhabilitation du fleuve Wouri passe par un programme d´actions exemplaires, assurant la mise en oeuvre cohérente d´opérations tenant compte de la "culture de l´eau" des autochtones et de leurs conceptions anthropologiques du fleuve. Ainsi, la prise de conscience, engageant l´Etat et les populations autochtones pour une véritable expérience de démocratie participative permettant d´élaborer un schéma d´aménagement et de gestion des eaux, est désormais incontournable. La démarche de contrat de rivière conçue dans une approche interculturelle est une réponse au besoin d´évoluer vers une gestion concertée de l´eau.


Quelques réflexions critiques et conclusion


Le peu ou manque de visibilité accordée au Ngondo dans les politiques de développement du littoral camerounais peut aussi prendre ses origines à la manière dont la conceptualisation actuelle du développement durable avec ses trois piliers (efficacité économique, solidarité sociale, responsabilité écologique) a été faite. Il s´agit en effet d´une conceptualisation qui n´a décidément pas pris en compte le culturel comme clé du développement. "Le culturel n´a pas sa place. On ne reconnaît pas le fait que le développement durable n´est pas seulement entravé par les effets de l´interaction entre environnement et économie, mais aussi par les interactions systématiques entre environnement et culture, et entre économie et culture" (Esoh.,2004). D´une manière générale, il n´y a pas " une prise en compte systématique de la diversité culturelle et de l´interculturel à tous les niveaux d´intervention des politiques de développement " (Esoh.,2004). En effet, il n´est quasiment jamais question de considérer les éléments culturel et interculturel quand on aborde les questions environnementales et de développement telles l´eau, les déchets, la qualité de l´air, le bruit, la santé, l´éducation, etc.

A l´heure de la mondialisation et de la diabolisation de l´autre, malgré les travaux et les initiatives réalisées par certaines institutions internationales telles l´Unesco4 , la Francophonie, pour montrer les interactions entre culture et développement, il arrive encore que dans le cadre des politiques et projets de développement, la culture de certaines communautés soit niée, désavouée, et sous-estimée. L´exemple pris ici avec le Ngondo, correspond à bien d´autres explicités dans la littérature scientifique. Contentons-nous d´illustrer le cas du projet pétrolier et d´oléoduc Tchad - Cameroun traversant le territoire camerounais sur environ 880 km pour la réalisation du pipeline servant de structure d´acheminement du pétrole tchadien est un cas très intéressant sur cet aspect. Il s´agit d´un projet d´une valeur totale de 3,7 milliards de US dollars dont le consortium promoteur est constitué des sociétés pétrolières Exxon (US), Chevron (US) et Pétronas (Malaisie). Le projet a été classé à risque élevé par la Banque Mondiale qui a tout de même donné son avis favorable pour sa réalisation lors de sa session du 06 Juin 2000. En dehors des risques néfastes du projet (CED/FoE, Milieudefensie.,2001), pour les populations locales et pour l´environnement dénoncés par des ONG nationales et internationales, et les différents rapports d´évaluation indépendants, notamment la paupérisation des communautés forestières, la destruction de forêts et écosystèmes fragiles, les risques pour l´économie et l´écologie du littoral camerounais, la corruption, les violations des droits de l´homme, la menace pour la sécurité alimentaire, l´épidémie du SIDA, ce qui est aussi important à souligner c´est le peu de considérations accordées aux patrimoine culturel. En effet, le pipeline traverse de nombreux villages, comprenant des zones expropriées aux populations autochtones et déboisées pour faire passer l´Oléoduc. Ce sont des zones comprenant le patrimoine culturel des populations locales se composant en priorité de sites sacrés notamment anciens villages, bois sacrés, sépultures, fleuves sacrés, forêts theurapeutiques et de pratiques ancestrales liées à des savoir-faire dans les domaines de la chasse, la pêche, l´orpaillage, l´agriculture et l´élevage qui n´ont pas été véritablement pris en compte dans la mise en oeuvre du projet.

Les impacts négatifs du pipeline dans les sites sacrés de certains peuples Sawa sont de plus en plus soulignés. C´est le cas du fleuve Lobé, site sacré des Batangas. Aujourd´hui, ce site est à risque pour deux principales raisons : la première concerne la déforestation accélérée et incontrôlée dont il est objet ; la deuxième raison concerne la menace dont représente le projet de pipeline Tchad Cameroun avec son terminal pétrolier tout proche de ce site fluvial sacré. En effet, la protection traditionnelle grâce à laquelle le site conserve jusqu´alors son intégrité ne peut rien faire quant aux risques liés aux marais noires.


Ces situations de bâillonnement et d´oubli du culturel dans les problématiques de développement et de protection de la nature créent des conditions de résistance nuisant au développement. Dans bien des cas, les communautés désavouent les actions réalisées car elles ne s´y reconnaissent pas, créant ainsi un certain repli identitaire. Parfois, les projets de développement encouragent l´homogénéisation culturelle au mépris des cultures locales. Le développement, pour qu´il soit durable, ne peut pas se faire sur la base d´un renoncement total de soi parce que l´homme est générateur et porteur de culture. Un développement qui appauvrit culturellement l´humain, n´est pas durable car il prive les générations à venir de leur héritage historique et ancestral. La tradition est un vivier dans lequel tout individu puise sa vitalité et tout développement qui se veut durable devrait en tenir compte. Mais les traditions ne sont pas immuables. Elles ont besoin d´être remises en question. Dans le cas du Ngondo, le tout n´est pas qu´il soit systématiquement pris en compte dans les problématiques de développement. Il faut également que les peuples Sawa puissent adapter leurs traditions au contexte actuel de manière à les rendre plus fécondes et plus ouvertes au changement tout en conservant leurs spécificités.


Le développement durable est appelé à aider les cultures à s´adapter au temps, sinon elles courent le risque de devenir un frein au bien-être des individus qui en sont porteurs. La culture doit se conformer aux exigences des temps modernes tout en gardant ses valeurs cardinales profondément ancrées dans les repères historiques qui jalonnent l´itinéraire des humains qui la portent. Il incombe prioritairement aux autochtones d´assumer ce rôle en réfléchissant sur la manière dont il est possible de valoriser leurs savoirs locaux. Dans le cas du Ngondo, il est important que ce dernier soit préservé du risque d´enfermement afin qu´il ne soit figé dans le temps et l´espace et dans l´autocélébration. Pour cela, c´est d´abord par la volonté des peuples Sawa à résister contre l´impérialisme culturel en s´auto-organisant pour récupérer, valoriser et conserver leur patrimoine culturel qu´on pourra espérer transmettre de générations en générations une représentation magico-religieuse de l´environnement aquatique du littoral camerounais dans la mesure où il alimente la mémoire et fonde l´identité. Tout ceci passe par une volonté d´ouverture, de modernité à l´africaine du Ngondo. La mobilisation des Sawa pour le Ngondo procurera aux populations un sentiment d´identité et de continuité, recréant en permanence une interaction entre leur environnement aquatique et leur histoire. Tout ceci est conforme aux exigences du développement durable et permet de promouvoir le respect de la diversité culturelle.


Cependant, la rénovation des cultures ne peut que se faire à travers un processus interculturel. Nous pensons d´ailleurs, que la responsabilité interculturelle (Esoh Elamé.,2004), peut être considérée comme le quatrième pilier du développement durable. Ainsi, les coutumes, les traditions, les pratiques religieuses, les questions liées à la paix, au dialogue entre les peuples, à la diversité culturelle, à l´immigration, au racisme sont dorénavant, considérées comme des problématiques de développement au même titre que les questions économiques, sociales et écologiques. Par déduction, la responsabilité interculturelle nous renvoie à interpréter, comprendre et apporter des solutions aux questions sociales, écologiques et économiques de nos sociétés en tenant compte du culturel et en se positionnant dans une approche de communication et d´échanges entre communautés. La négation des identités culturelles dans le processus de développement au fil des temps crée un espace d´actions où la conception de la vie sociale se structure dans une logique de redondances d´où n´émerge que la civilisation occidentale. La question de fond émergeant de ce travail est celle de s´interroger sur le rôle de la culture dans le développement de l´Afrique. C´est une question qui reste ouverte et mérite une plus grande attention dans la recherche et les politiques de développement.

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Référence


1. Voir la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l´UNESCO du 17 octobre 2003 et plus particulièrement son article 2. La définition qui émane de la Convention définit le patrimoine culturel immatériel en termes plus abstraits comme étant les pratiques, représentations, expressions, ainsi que les connaissances et savoir-faire que des communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Les instruments, objets, artefacts et espaces culturels associés aux manifestations du patrimoine culturel immatériel, font également partie du patrimoine culturel immatériel.


2. Le Mukukume est une composition musicale à partir d´un psaume traditionnel. Il est chanté de manière monotone par un groupe de chanteurs, initié aux langages du Jengu. Il peut être exécuté de manière incantatoire lorsqu´il s´agit d´invocation lors de rites magiques.


3. Ce sont des chants ritualisés sur l´histoire du peuple Sawa et sur leurs pratiques spirituelles. L´Essewe rituel est essentiellement lyrique. Il comporte un certain nombre de séquences faisant référence à des faits mythiques et historiques connus des initiés. L´Essewe est rythmé par : - une clochette en fer forgé sans battant et à manche droit appelé le " Muken " ; une claquette de bambous appelée les "Mbaka " ; et un hochet en rotin appelé de " Musai ". A coté de l´Essewe ritualisé, on a aussi l´Essewe pour les non initiés, qui est un ensemble de chansons populaires contre l´injustice sociale, les discriminations.


4. Déclaration des principes de la coopération culturelle (UNESCO, 4 novembre 1966), (http://ww.unhchr.ch/french/html/menu3/b/n_decl_fr.htm), Recommandation 1134 relative aux droits des minorités (Conseil de l´Europe / 1er/ oct 1990)
(http://assembly.coe.int/Documents/AdoptedText/ta90/frec1134.htm) - Déclaration sur les droits de l´homme qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent (AG ONU - 13 décembre 1985)
(http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/o_nonnat_fr.htm) - Convention 169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants (OIT - 27 juin 1989)
(http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/62_fr.htm) - Recommandation 1134 relative aux droits des minorités (Conseil de l´Europe - 1er octobre 1990) - (http://assembly.coe.int/Documents/AdoptedText/ta90/frec1134.htm) - Résolution 232 sur l´autonomie, les minorités, les nationalismes et l´Union Européenne (Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l´Europe - mars 1992)
(http://www.coe.int/T/F/Cplre/_9._Bulletin/Bulletin_2_1992.asp) - Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses ou linguistiques (AG ONU - décembre 1992)
(http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/d_minori_fr.htm) - Projet de déclaration des droits des peuples autochtones (ONU - août 1993)
(http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/0/33463c8fd3d6cd0bc1256b42005aed1f?Opendocument)



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