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Hebga tel qu’en lui-même (suite)

 
2. L’impact sur moi du petit séminaire. 3. Formation pour le sacerdoce au Grand Séminaire. 4. Trinité, Trinité, harmonie de ma vie ! 5. Pierre Meinrad Hebga : un Jésuite Africain


2. L’impact sur moi du petit séminaire

J’ai déjà dit que dès ma petite enfance j’avais été impressionné par les cérémonies du culte catholique, et que je jouais les prêtres célébrant la messe. L’entrée au petit séminaire ne fut qu’une question de temps. Mes parents furent ravis de ma décision et m’y encouragèrent. Il régnait dans cette institution une discipline de fer : 297 grand silence de 21h à 7h du matin, c’est-à-dire, jusqu’à la fin du petit déjeuner du lendemain. Durant les repas, nous mangions en silence pour écouter la lecture de la Pratique de la Perfection Chrétienne du P. Rodriguez, S.J, au petit déjeuner ; à midi c’était habituellement un roman, et le soir l’Imitation de Jésus-Christ.

Nous reçûmes une très solide formation en latin classique, si bien qu’en peu d’années plusieurs furent capables de lire Cicéron, César, Tite-Live et même Virgile aperto libro, à livre ouvert, c’est-à-dire sans dictionnaire. A chaque leçon de latin nous apprenions par coeur trois ou quatre versets du Nouveau testament. Le français aussi était à l’honneur ; par contre les mathématiques et les sciences en général étaient plutôt rudimentaires. Nous fûmes cependant quelques-uns, véritables rats de bibliothèque, à fouiner partout pour nous cultiver en grec, algèbre, géométrie avec l’aide d’aînés qui s’étaient donné une sérieuse information en ces domaines. La musique sacrée, en général, mais le chant grégorien en particulier étaient à l’honneur. Nous fûmes un certain nombre à apprendre à jouer de l’harmonium pour accompagner les offices et même exécuter, à notre niveau des morceaux de Bach, Händel, Beethoven, Mozart etc.
Les travaux manuels tenaient une place importante dans notre séminaire. Nous cultivions toutes sortes de légumes, surtout des haricots, et élevions poulets et petit bétail. La corvée d’eau et de bois était minutieusement répartie par classes, à tour de rôle. Ces activités fort utiles apportaient un appoint appréciable au budget assuré par les vicariats apostoliques. Il en sortit pourtant, en Mai 1943 un très grave incident. Trois de nos moutons s’étant égarés, le P. Directeur nous mit en demeure de les retrouver ou de nous voir privés de la sainte communion ! La révolte fut immédiate. Jean Zoa, alors élève de Première, parcourut les dortoirs, pour nous exhorter à boycotter la messe des spiritains et à refuser de manger la viande de boeuf que le Directeur faisait venir chaque Samedi de Yaoundé. Les Révérends Pères s’indignèrent. Dès le lundi matin, ils tinrent un tribunal qui soumit à un interrogatoire sévère tous les 80 élèves. Ils envoyèrent à nos évêques un rapport accablant pour ceux qu’avait entraînés notre meneur. On nous menaça des pires peines. Alors 36 d’entre nous entreprirent le voyage d’Akono à Yaoundé à pied (64 km) en une seule nuit, non sans avoir chanté le Salve Regina devant la grotte de Lourdes J’en fis partie. Le Vicaire apostolique, Mgr René Graffin, prit naturellement fait et cause pour son congénère et nous enjoignit de déguerpir sur le champ. A notre retour, 12 des 36 révolutionnaires 298 furent remerciés. Aux 24 autres, le Directeur imposa un confesseur qui ne donnait l’absolution qu’à ceux qui reconnaissaient avoir commis trois péchés mortels, savoir : le boycott de la sainte messe, le Salve Regina devant la grotte, “ au grand scandale des fidèles ”, le voyage de Yaoundé. Cette mascarade nous scandalisa profondément.

Je lisais beaucoup les auteurs classiques français, latins et bientôt grecs dans le texte. En ce qui concerne ces derniers, mes préférences allaient à Lucien (Dialogues des Morts), mais surtout à Saint Jean Chrysostome dont je pouvais réciter par coeur des pages entières tirées de ses homélies célèbres : Le retour de l’Évêque Flavien, La chute d’Europe. En classe de Seconde, j’écrivis une comédie satirique de centaines de vers alexandrins intitulée Franche grimace. Je me demande comment j’ai réussi à conserver ce manuscrit jusqu’à ce jour, alors que j’ai perdu mes compositions musicales, et mes notes personnelles sur les modulations dans le chant grégorien. Ou plutôt je le sais bien : ma pièce de théâtre et d’autres écrits précieux eurent la chance de ne point se trouver dans la valise que, recteur du collège Libermann et Supérieur régional des jésuites j’avais cachée dans le grenier. Lors d’un de mes voyages aux USA, un confrère qui ne me portait pas dans son coeur, brûla sciemment et lâchement mes photos de famille et mes notes de recherche. La chorale du séminaire m’avait recruté comme ténor. Plus tard, au Séminaire de Santa Chiara (Rome) je fus maintenu dans cette position. Mais entre les deux, au grand séminaire de Yaoundé, le P. Béda O.S.B, qui possédait un organe vocal extraordinaire, mais n’appréciait guère le mien, m’inscrivit dans la chorale Saint Roch Et pourtant nos voix n’étaient point aussi rauques que cela !

Bien que les cours donnés à Akono, en mathématiques et en sciences fussent des plus modestes, je m’y intéressai beaucoup. Je tentai même de réaliser, avec du matériel rudimentaire, un appareil électrique pour tracer des portées musicales. A ma grande déception, mon professeur de sciences, un spiritain français, loin de m’encourager, me lança d’un ton de défi : “Penses-tu faire mieux que les Blancs ?” Plus tard, mon professeur de première à qui j’avais présenté un poème sur Lourdes, travail dans lequel j’avais mis mon coeur, me le rendit avec un geste de dédain. Ce religieux, malgré des dehors de dévotion était profondément raciste. Ne nous donna-t-il pas comme consigne : “Il faut saluer les Blancs et les chefs !” En fait de sport, nous n’avions guère que la balle au pied, les concours de course et la promenade hebdomadaire. Je m’y adonnais avec 299 enthousiasme. La dévotion au Saint Sacrement, au Sacré-Coeur de Jésus et à la Sainte Vierge m’avait marqué dès mon bas âge, auprès de mes pieux parents. Le milieu du séminaire contribua à l’affermir.

3. Formation pour le sacerdoce au Grand Séminaire

Je suis entré, fin 1945 au Grand Séminaire de Mvolyé à Yaoundé. Cette institution, prise en charge par les PP. Bénédictins d’Engelberg (Suisse), avait alors pour Directeur le R.P. Vincent. Ces moines, recrutés par Mgr René Graffin, coadjuteur de Mgr François Vogt, lorsque les jésuites eurent décliné l’offre qui leur avait été faite, tinrent le séminaire pendant plus de 30 ans. Les séminaristes avaient des sentiments mêlés au sujet de leur compétence dans les sciences sacrées, et surtout leurs méthodes de gouvernement. Ils semblaient se complaire dans les retards aux ordres, voire dans les renvois, ce qui créait une atmosphère de malaise. Si bien que vers la fin des années 40, répondant aux rapports ramenés par son Visiteur Apostolique, le R.P Prouvost, Pie XII exigea des bons Pères la liste exhaustive des grands séminaristes remerciés depuis 1929, avec les motifs de leur renvoi. Il faut dire que la célèbre encyclique Rerum Ecclesiae, promulguée par le pape Pie XI, en 1926.en vue de la promotion du clergé indigène dans les territoires de la S.C. de la Propagande, et visant à préparer une hiérarchie autochtone, cette encyclique, dis-je ne fut pas populaire parmi les missionnaires. En Chine, le Délégué Apostolique, Mgr Celso Costantini se heurta à la résistance conjuguée des missionnaires et des colons qu’il finit par briser en cette même année 1926. En Afrique noire, ce fut une autre paire de manches ; J’ai lu, de mes yeux, une lettre à en-tête, écrite par Mgr Mathurin Le Mailloux, CCSp, Vicaire Apostolique de Douala et adressée à l’abbé Thomas Mongo qui devait devenir plus tard le premier évêque indigène de ce diocèse : “Nous n’avons pas besoin de beaucoup de prêtres indigènes ; un par an, cinquante en cinquante ans” C’est à la suite de l’action énergique du Saint-Siège que les Vicaires apostoliques du Cameroun se résignèrent enfin à envoyer des séminaristes à Rome : les abbés Jean Zoa et Vincent Owona en formèrent le premier contingent. Grand Séminaire. Je suis resté au séminaire de Yaoundé quelque trois ans, le temps de recevoir quelques rudiments de philosophie et de théologie. Les cours n’avaient rien de passionnant, du fait même que nos professeurs ne maîtrisaient pas le français, l’unique langue 300 d’enseignement. Je vécus dans cette institution un des épisodes les plus douloureux de ma vie. Ma mère étant morte à Edéa en Juillet 1948, les Bénédictins me refusèrent l’autorisation d’assister aux obsèques, sous prétexte que les ecclésiastiques doivent renoncer aux affaires de famille ! Attitude pleine d’inhumanité, à moins que notre Directeur manquât tout simplement de jugement. Je poursuivis en privé mes études de grec, et je commençai même à m’initier à l’hébreu. Je ne me souviens pas d’avoir lié de solides amitiés à cette époque. Le tribalisme régnait au séminaire, surtout de la part des Beti, sous l’instigation cynique de leur évêque français qui leur interdisait d’apprendre le basaa, le douala et toute autre langue que la leur : diviser pour régner ! Un jour le Vicaire apostolique de Yaoundé ouvrit sa conférence par cette apostrophe pour le moins insolite : “Nègres, noirs, indigènes, ou comme vous voulez qu’on vous appelle”…Nous fûmes ahuris. Je reçus la tonsure des mains de ce missionnaire raciste, mais heureusement pas les ordres mineurs qui devaient m’être conférés à Rome en 1950. En Août 1948, le Diocèse de Douala me fit admettre au Séminaire pontifical français.

Université. Je fis mon inscription à l’Université Pontificale Grégorienne, fondée et tenue par les jésuites. Tous les cours, leçons et devoirs étaient donnés en latin. Cela ne nous posait aucun problème. A l’occasion de mon Baccalauréat en théologie, une médaille d’or Bene merenti, me fut décernée de la part de Pie XII. Me croira qui voudra : le P. Préfet des Études et Répétiteur au Séminaire me suggéra de laisser un séminariste français recevoir, en mon nom, la médaille d’or des mains du cardinal Préfet, devant les caméras de la télévision. Je répondis sèchement que son compatriote n’avait qu’à décrocher la sienne. Le Recteur Magnifique de la Grégorienne était alors le P. Dezza, futur cardinal. Mes professeurs de théologie furent, entre autres, les PP. Charles. Boyer, Sébastien Tromp, Timothée Zappelena, Maurice Flick, Pierre Albellan jésuite espagnol qui parlait un latin châtié et presque classique. Je m’intéressai vivement à l’histoire de l’art, recevant des cours magistraux à la faculté, et faisant la pratique dans les visites des forums, églises, pinacothèques, musées sous la direction de guides attitrés. Plus tard je pus moi-même faire le guide avec l’agrément du Touring Club d’Italie. Il faut dire qu’après six mois de séjour dans ce pays, je m’exprimais assez correctement en italien, si bien que la paroisse San Lorenzo in Damaso me recruta pour la catéchèse des enfants. Je continuai à cultiver la musique, chantant toujours comme ténor, et me faisant initier à l’orgue par un jeune jésuite hollandais. Je comptais parmi mes meilleurs amis deux 301•séminaristes espagnols Montalvillo et Ortiz, un Américain Austin Vaughan qui devint plus tard évêque et Recteur de la Catholic University of America, à Washington, deux Français Albert Charbonnier et Jean
Le Roux, mais surtout un Allemand Hans Guntther Denninger du diocèse de Limburg. J’allai lui rendre visite un jour chez ses parents, et ce fut pour moi l’occasion de rencontrer le P.Halbing, ancien missionnaire pallotin au Cameroun qui avait béni le mariage de mes parents. Avec les uns et les autres je pratiquais leurs diverses langues, sauf l’espagnol. Hans Denninger réussit même plus tard à me faire entendre un cours du célèbre historien de la philosophie, Herr Professor Dr Hirschberger de la Goethe Universität de Francfort. Le même ami composa pour moi un petit discours en allemand que je lus aux moniales du célèbre monastère Sainte Hildegarde de Einbingen s/le Rhin. L’abbesse, Frau Fortunata Fischer, une convertie du protestantisme, parlait couramment latin !

Ordination sacerdotale. J’ai égaré mon mémoire de licence en théologie rédigé naturellement en latin. Il portait sur la doctrine eucharistique de l’évêque Sérapion de Thmuis. Ce fut la seule fois de ma vie que je pris pour thème de recherche quelque chose qui ne fût point africain. Mon évêque, Mgr Bonneau de Douala m’envoya successivement les dimissoriales pour les Ordres mineurs, dont l’exorcistat reçus dans la basilique des XII Apôtres, le sous-diaconat et le diaconat dans d’autres églises, et enfin la prêtrise à Saint Jean de Latran. Un incident grave faillit me faire renoncer à recevoir ce dernier Ordre. Mgr Marcel Lefèbvre, alors Délégué Apostolique pour l’Afrique Française et Madagascar, avait été invité par le Recteur du Séminaire Français pour parler aux Ordinands. C’était vers la fin de 1951. Le prélat nous tint un long discours politique colonialiste, alors que, ordinands, nous nous attendions à une vibrante exhortation spirituelle. “A Madagascar, ricana-t-il, on en a descendu 80 à 100 000. Ça leur apprendra à se révolter contre la France… Au Cameroun français, là où il y avait autrefois un gendarme, il y en a maintenant cinq. Et lorsque nos parachutistes font leurs exercices, les indigènes s’écrient : quels sont ces blancs qui tombent du ciel accrochés à leurs parapluies ?” Tout fut de la même veine. La plupart des séminaristes furent profondément choqués. Pour nous, Africains, Malgaches ou Asiatiques, nous fûmes atterrés. Au repas qui suivit, le Recteur donna le Deo Gratias ! c’est-à-dire le colloquium ou permission de causer. Un silence glacial lui répondit. Les jeunes ecclésiastiques exigèrent même, après le départ du futur schismatique et excommunié, une “conférence de réparation envers nos confrères outragés.” Le P. 302•Delaire, Préfet de discipline, s’exécuta volontiers. Profondément traumatisé, je m’ouvris à mon directeur spirituel, le P. Antoine Neumeyer, Cssp, pour lui dire mon désarroi : je ne pouvais pas entrer dans un ordre sacerdotal dominé par des évêques colonialistes qui prêchaient la France au lieu de Jésus-Christ. L’on m’envoya au bord de la Méditerranée pour me changer les idées. Un matin, ouvrant au hasard ma bible, je tombai sur le passage de la première lettre aux Corinthiens où l’Apôtre exhortait les fidèles à s’attacher non à Paul, à Céphas ou à quelque autre mortel, mais au Christ qui avait été crucifié pour eux. Dieu m’avait répondu : il m’appelait au sacerdoce pour un ministère spécial auprès de mes congénères humiliés, exploités massacrés par des impérialistes avec la bénédiction des Lefèbvre et autres adeptes de l’Action Française, au nom de La Civilisation Chrétienne. Dans mon journal spirituel, je lis au Mardi 18 Décembre 1951 : “Je ressens en mon âme une immense tristesse. Je me demande quel est le rôle providentiel des nègres dans la création, et quel est leur destin. Dès ma première messe, j’offrirai au Seigneur les ignominies de ma race, et je lui demanderai l’amour sincère de tous les hommes. Il faudrait, si l’on ne se soumettait pas à un plan crucifiant mais bienveillant de Dieu, s’abandonner à une philosophie de haine courtoise, et d’amer scepticisme, ou travailler à la révolution universelle…Chaque fois que ces pensées m’enflamment, mon coeur bat à se rompre : ‘concaluit cor meum intra me, et in meditatione mea exardescet ignis : mon coeur brûlait au-dedans de moi ; un feu intérieur me consumait”. (Ps.39, 4)…. Cependant je sais que Dieu est bon, que mon devoir sacerdotal est d’annoncer son amour et sa paix, l’année de la rédemption pour les esclaves nègres.

Je suis le vase des bontés de Dieu, c’est à moi de consoler mes frères et non pas d’irriter leurs maux. Je suis le sacrement du Coeur très doux de Jésus, l’ange de la paix. ” Je fis ce jour-là une Prière à Dieu sur le sort des nègres. Pour ne pas trop m’étendre, je n’en transcrirai que quelques lignes. “Mon Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, Trinité éclatante…regardez avec miséricorde la race nègre, et que sonne pour elle l’heure de la rédemption de l’âme et du corps ! Suscitez des milliers de prêtres, de religieux et religieuses parmi cette race pour vous offrir l’hostie de notre âme noire, avec les richesses particulières dont vous l’avez dotée”. Le 21 Décembre 1951, 6 e et dernier jour de la retraite des ordinands au presbytérat, j’écrivis dans mon journal : “Aujourd’hui j’ai fait ma dernière communion de diacre. Dieu m’a inondé de consolations pendant l’action de grâces. J’ai chanté l’éblouissante Trinité, répétant sans cesse avec suavité : O Beata Trinitas ! …Je vous adore, je vous admire et vous aime. Je veux être dissous pour être une poussière de louange. Je hais mes péchés parce qu’ils ont été un attentat à votre gloire. Je veux faire votre volonté même s’il m’en coûte…En me conférant le sacerdoce demain, vous me communiquerez une puissance divine, mais vous ne me donnerez rien qui dépasse le don du baptême ou de la Pénitence, par lequel j’ai reçu en moi l’éclatante Trinité. Je vous aime, ô Beata Trinitas ! “ samedi 22 décembre, dès 7h du matin, j’ai pris ma petite valise, et en avant pour Saint Jean de Latran… La basilique est froide et pleine de courants d’air aussi ai-je beaucoup souffert de mes rhumatismes, mais lorsque j’ai entendu “ Accedant qui ordinandi sunt presbyteri : Meinradus Hebga ” mes douleurs ont diminué. Pendant l’imposition des mains, et durant la préface consécratoire, j’ai multiplié les actes de charité et de contrition, bénissant la Trinité sainte, et endossant la pureté de Marie Immaculée, pour préparer l’arrivée de l’Esprit-Saint. J’ai magnifié Dieu, la Trinité bienheureuse, dont les voies sont insondables, qui m’a discerné dès le sein de ma mère, au coeur de l’Afrique équatoriale, pour me consacrer prêtre à St Jean de Latran, par le ministère du cardinal Micara, vicaire du Pontife suprême ! Jean Zoa m’assistait pour la concélébration ; Denninger Hans est venu aussi et semble être resté longtemps : cela m’a consolé. Dimanche 23 Décembre, j’ai célébré ma première messe à Sainte Marie Majeure, à la Santa Culla, autel de la Confession, sous l’autel papal. Hans Denninger m’a aimablement assisté et a même eu la gentillesse de me prêter son calice. Il y avait plusieurs élèves du Séminaire Français, ainsi que Julio Montavillo, Ortiz, Austin Vaughan. Pendant toute la journée, j’ai senti une grande attirance vers l’intérieur, mêlée d’une grande douceur. J’ai longtemps savouré les délices du corps et du sang de Jésus, répétant indéfiniment avec consolation : Seigneur, que ton corps et ton sang que j’ai pris, adhèrent profondément à mon être ! Seigneur, je vous offre mon sacerdoce et mon ministère, avec ses hauts et ses bas, ainsi que ses chutes peut-être ! ” Après ce texte authentique de mon journal, je ne sais s’il convient de dire maintenant, que depuis 50 ans de célébration eucharistique, j’ai pratiquement toujours fait une action de grâces trinitaire, assez souvent baignée de consolations et de larmes. Mon image d’ordination porte au verso : O Beata Trinitas !

4. Trinité, Trinité, harmonie de ma vie !

Je demeurai à Rome trois ou quatre mois encore, célébrant des messes dans les différentes basiliques, les catacombes, et surtout enseignant le catéchisme à des enfants pauvres dans les Grottes de Caracalla, avec l’aide financière et personnelle de Mgr Montini, alors Substitut à la Secrétairerie d’Etat et futur Paul VI La comtesse Salvatori me coopta parmi les prêtres qui exerçaient le ministère des sacrements dans une basilique mineure, pour les pauvres déguenillés qu’elle faisait laver, habiller, catéchiser et confesser. Le Vicariat de Rome nous avait donné la juridiction pour deux semaines.
Prêtre diocésain. Ordonné prêtre à 23 ans et 9 mois, je rentrai dans mon pays et fus affecté à la paroisse rurale de Botmakak, dans le Nyong et Kelle. J’étais maigrelet, mais de santé assez robuste et grand marcheur à pied devant l’Éternel. Le dimanche qui suivit mon arrivée, mon curé, l’abbé Paul Mbadi me présenta aux fidèles textuellement en ces termes : “ Voilà un jeune prêtre qui a fait ses études à Rome. Il ne sait rien, c’est pourquoi l’évêque me l’a envoyé pour que je lui enseigne le ministère.” Le premier vicaire, les jeunes et les fidèles en général m’accueillirent avec beaucoup de sympathie. J’avais créé une chorale à laquelle j’enseignais les chants polyphoniques en latin de Palestrina et autres maîtres italiens, les langues vulgaires n’étant pas encore permises à cette époque Dès le début je protestai contre le traitement désinvolte infligé par le curé à nos compatriotes alors qu’il était attentionné sinon obséquieux envers les Européens, commerçants, forestiers et surtout administrateurs coloniaux. Cela fut vite connu et me rendit populaire à mon insu. Certains couples se préparant au sacrement de mariage déclarèrent que leur union serait bénie par le jeune prêtre ou par personne. Ces propos ne me faisaient pas gagner des points auprès de mon chef. Et de fait son rapport sur moi à l’évêque fut plutôt salé. Après seulement dix mois de séjour, il demanda et obtint mon déplacement. Il convient de signaler que j’exerçai deux fois, avec succès, et comme par hasard le ministère de la délivrance. Je prononçai sur un adolescent devenu subitement muet pour avoir tenté d’acquérir le pouvoir de donner des coups de poing mortels, les exorcismes du baptême, et il recouvra aussitôt la parole, son infirmité avait déjà duré huit jours. Une jeune femme, persuadée, après le verdict redoutable d’une sorcière, qu’elle mourrait prochainement lors de son cinquième accouchement, se présenta à l’imposition des mains : elle fut rassurée, et je l’ai revue plus de 30 ans après cette séance de prière.

L’évêque m’envoya chez un autre prêtre aîné, l’abbé Oscar Aoué, curé de Japoma à 15km de Douala. Je fus nommé directeur de l’école primaire, et l’on me confia plusieurs postes de brousse. Aidé par un jeune homme dynamique, Rémy, je lançais deux mois plus tard un groupe de Coeurs vaillants, et un autre d’Ames vaillantes. Contrairement à la paroisse de Botmakak dont le presbytère avait été construit en matériaux durables, celle de Japoma ne nous offrait qu’une longue baraque à l’équipement rudimentaire. Il y eut bientôt des histoires : le curé trouvait que son jeune vicaire était trop bruyant avec sa chorale, ses Coeurs vaillants et tous ces admirateurs et admiratrices qui me rendaient visite plus qu’à mon tour. Les discussions furent parfois très vives, et moins d’un an après mon arrivée, je dus refaire mes valises.
J’allais omettre de signaler qu’avant même mon retour au Cameroun, deux Supérieurs de mission catholique, le P. Jean Carret de Kribi, et le P. Aébi d’Edéa, avaient averti l’évêque que je serais persona non grata chez eux ! C’est dire ! L’évêque me donna une dernière chance, cette fois chez mon cousin, l’abbé Nicolas Ntamag, à Ndogbélè. C’était en 1954. Les fidèles de Japoma résistèrent à l’ordre de transfert : en mon absence, ils s’emparèrent de mes valises et les cachèrent au domicile de l’un d’eux. Le vicaire général, le R.P. Coudray, crut que j’étais de connivence avec ces gens, et me menaça de sanctions canoniques. Je lui fis comprendre qu’il me connaissait mal ; qu’il n’était pas dans mes habitudes de me cacher pour dire, même à un prélat ce que je pensais.

Pour couper court à tout malentendu, je décidai de partir à pied à Douala. Mes amis, jeunes et adultes m’accompagnèrent en grand nombre jusqu’à destination, en chantant. A Ndogbélè, les choses n’allèrent pas trop mal, mais le fondateur et directeur du collège Libermann, le P. Boulanger, scolastique spiritain, me réclame en 1956 pour enseigner l’histoire en 4 e . Voulant se faire ermite, il prie l’évêque de lui trouver des remplaçants. Les Eudistes font un petit tour et puis s’en vont. A leur tour, les Dominicains tentent une expérience et déclinent l’offre. C’est alors que le P. Ravier, provincial jésuite de Lyon, vient rencontrer Mgr Bonneau et accepte le collège. Une nouvelle ère va commencer.

5. Pierre Meinrad Hebga : un Jésuite Africain

Les premiers religieux de la Compagnie que j’ai rencontrés en 1947 à Yaoundé, étaient venus du Congo Belge. J’échangeai quelque peu avec eux, mais ce ne fut pas mon premier contact avec la spiritualité ignatienne. Le lecteur se rappelle peut-être qu’au Petit séminaire d’Akono, l’on nous lisait à table les Traités de la Perfection Chrétienne du P. Rodriguez. Nous étions frappés par la lourde solennité du style, et prétendant le mimer, nous répétions : “ Que quoique, lorsque le Supérieur vous reprend… ” En 1947, j’éprouvai le désir d’entrer dans la Compagnie. de Jésus. En même temps, ma dévotion envers la Vierge de Lourdes m’inclinait vers la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée. Le P. Plumey, Supérieur de la première équipe missionnaire de cet Institut au Nord Cameroun, arriva dans notre pays en 1947 et m’impressionna beaucoup : il passait des glaces polaires aux chaleurs de l’Afrique équatoriale ! Il faut savoir qu’à cette époque, la consigne du Vatican était d’empêcher systématiquement les Congrégations et Ordres religieux de recruter des séminaristes. Ces derniers, même non incardinés, ne pouvaient entrer dans un noviciat qu’après un minimum de trois années de ministère dans leur diocèse.

En 1950, je m’ouvris de mon désir à mon évêque, Mgr Bonneau, mais c’est son successeur, Mgr Thomas Mongo qui m’autorisa à partir, en 1957. Le provincial de Lyon, le RP Ravier avait répondu positivement à ma demande écrite, mais le Gouverneur du Congo Belge, Pétillon m’ayant refusé l’entrée au noviciat de Kikwit, sous prétexte que les Camerounais avaient un virus politique, je fus admis au noviciat de La Baume Sainte Marie, dans les Bouches du Rhône. Le P. Maître, Jacques de Boulogne, ingénieur des Mines et ancien officier de l’armée française durant la seconde guerre mondiale, était un homme austère, spirituel et très exigeant. Le silence était rigoureux. Nous changions de chambre tous les 15 jours de peur de nous y attacher. Le Père nous présentait chaque année le catalogue des instruments de pénitence confectionnés par les carmélites, et nous faisions notre choix : cilices, disciplines, chaînettes pour les hanches ou les chevilles, et autres gadgets du genre.

Les deux grandes retraites furent une expérience spirituelle déterminante pour ma vie religieuse et sacerdotale. Les Exercices Spirituels sont un livre plutôt austère sinon aride, mais expliqués, ou plutôt donnés par quelqu’un qui les vit, ils deviennent une lumière et un délice. Ils me passionnèrent, et je pense, sauf erreur, en avoir tiré une connaissance plus personnelle et plus fervente de Jésus-Christ, une dévotion sentie au Père bienheureux et bien-aimé, comme je l’appelle depuis lors, et une ouverture spéciale au Saint-Esprit, ouverture qui allait m’amener à lancer quelque 20 ans plus tard le groupe de prière charismatique Ephphata, Ouvre-toi ! Je goûtais aussi beaucoup La Spiritualité de la Compagnie de Jésus du P. de Guibert, Le Chronicon du P. Jérôme Nadal, Le Récit du Pèlerin, les biographies des jésuites écrites avec ferveur et humour par le P. Brodrick. Mes saints préférés furent et demeurent Marie Immaculée, St Ignace, St François-Xavier, St François d’Assise, Ste Thérèse d’Avila, St Philippe Néri, Ste Brigitte de Suède, St Antoine de Padoue (qui n’a jamais cessé de me faire retrouver les objets perdus !) et bien d’autres encore. Lors de la seconde grande retraite, il y eut un épisode assez épicé : dans la pinède, nous déambulions en méditant sur l’enfer, lorsqu’une grande fille blonde, aux guêtres cirées, nous apostropha : “Messieurs, n’avez-vous pas vu passer mon cheval ? ” D’un même geste, nous nous signâmes et primes la fuite. Notre “admoniteur ” expliqua au P. Maître que le diable, déguisé en jeune fille était venu nous tenter. Le P. de Boulogne ne goûta que médiocrement toute cette histoire et nous mit en garde contre le penchant à tempérer la rigueur du silence. Comme un chacun, je connus des périodes de consolation intense et de désolation sévère. Prêtre, je fus souvent envoyé à des ministères dans telle ou telle paroisse d’Aix-en-Provence. Ainsi je fis partie de l’équipe qui faisait la catéchèse aux Pinchinats, à des enfants caractériels.

Tâche qui n’était pas de tout repos, car il fallait une récréation toutes les dix minutes, sinon les catéchistes recevaient des projectiles (stylos, livres etc.) en plein visage. Nos expériments étaient rudes : toilette de cadavres de cancéreux à l’hôpital St Joseph de Lyon, pèlerinages de mendicité à travers les régions pour endurer quolibets et d’humiliations. Pour ma part, je servis deux mois à la cuisine, et durant cette période, nous vivions à l’écart des autres novices, et nous devions rester debout toute la journée, sauf pendant les repas ! De mes conovices, je me souviens encore de B. Coumau, J. de Longeaux, G. Marangos et Akepsimas, Demeulnaere, de Rauglaudre junior et d’autres encore dont un bon nombre ont quitté la Compagnie.

Au Philosophat de Vals Près Le Puy. Je passai un peu plus d’un an et demi dans ce scolasticat pour développer mes connaissances en philosophie. Je m’intéressai surtout à la philosophie des sciences, sous l’égide de maîtres compétents, notamment du P. Pierre Palayer qui enseignait la biophilosophie, du P. Christian d’Armagnac qui nous initia à la philosophie de la physique et des mathématiques, mais surtout à la théorie einsteinienne de la relativité restreinte. Comme il parlait souvent du “quasi dialogue de l’homme et de l’univers”, et qu’il avait perdu une jambe à la guerre, les cruels scolastiques surnommèrent ce spécialiste de Teilhard de Chardin, le “quasi bipède”. Maurice Fournier était un boute-en-train ! il sollicita de Paris Match des numéros de leur revue pour les malades de l’hôpital. On lui en envoya un plein camion et le scolasticat fut encombré. Une autre fois, un professeur lui ayant reproché de ne pas réveiller son voisin assoupi, Maurice lança : “Ce n’est pas moi qui l’ai endormi !” Le Recteur, le R.P. Philippe Ricard, spécialiste de Fichte, enseignait la philosophie morale, et était consulteur, tant de la Province de Toulouse dite La Sainte Province, que de plusieurs instances de la Compagnie à Paris. Il avait eu jadis, pour camarade à la Sorbonne Simone de Beauvoir. C’est lui qui reçut mes premiers voeux en 1959.

Etudes à Paris. Les jésuites oeuvrant au Cameroun étaient maintenant passés de la Province de Lyon à celle de Paris. Mon Provincial, le R.P Durand-Viel, à qui j’avais exprimé le désir d’aller préparer une thèse de théologie spirituelle à Clamart, et de me spécialiser dans l’apostolat des exercices spirituels, m’envoya plutôt à la Sorbonne, pour y prendre un diplôme en philosophie et aller enseigner au collège Libermann. J’étais basé à Vanves, dans la maison appelée L’Action Populaire. Je devais prendre le métro le matin pour me rendre à Paris, et ne rentrais que le soir. Comme je déjeunais à la Rue de Grenelle, j’eus l’occasion d’y rencontrer le P. de Tonquedec, S.J, exorciste officiel du diocèse de Paris. Il recevait beaucoup, mais déclara plus tard qu’il n’avait que rarement rencontré des cas de possession diabolique. A l’époque, en France, la licence d’enseignement comprenait 4 Certificats imposés par la faculté. On l’obtenait en deux ou trois ans. Par un privilège inouï, je fus autorisé à l’achever en moins de deux ans, ce qui m’obligea à un travail intense. J’étais aussi inscrit en licence de Sciences sociales à l’Institut Catholique, et je suivais des cours d’histoire et philosophie de la physique et des mathématiques à l’Institut des Sciences et Techniques, où enseignaient notamment les Professeurs Taton et Tonnelat. Pour faire pleine mesure, je fréquentais un Cours supérieur d’italien et d’anglais.

A suivre

Pierre Meinrad Hebga

Source: la dialectique de la foi et de la raison. Hommage à pierre Meinrad Hebga, édition terroir, 2007

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