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Ruben UM NYOBE, Le Problème national Kamerunais , Paris , L’Harmattan, 1984, 443 Pages.

 
le gouvernement camerounais estimait que la diffusion des écrits de ce mort était « de nature à troubler l’ordre public » du pays pour lequel il avait été assassiné. C’est ainsi que le Ministre de l’époque, MENGUEME, édicta une mesure interdisant la


« Parmi les mille manières de spolier un peuple de sa mémoire, figure celle qui consiste à disqualifier ses luttes en leur affectant des significations différentes de celles dont elles se réclament elles-mêmes »[i]. Rien mieux que la dramatique chevauchée de l’Histoire du Cameroun, n’illustre toute la justesse et la pertinence de cette remarque d’Achille Mbembe dans l’introduction du Problème National Kamerunais . Ce livre rapporte le témoignage d’un homme - Ruben UM NYOBE, secrétaire général de l’UPC et chef historique du mouvement nationaliste au Cameroun – qui, assassiné le 13 septembre 1958 dans la région insurgée de la Sanaga-Maritime, fut prestement mis en terre à Eséka, par l’ administration coloniale française . Pour s’être opposé sans compromission au pouvoir colonial et à ses intérêts locaux , des mesures punitives parmi les plus sévères furent prises   a son encontre. Ainsi, ordonna-t-on que son corps fût enfoui dans un bloc de béton massif et sa tombe abandonnée à la broussaille, dans l’anonymat le plus total.


             Longtemps après l’indépendance du Cameroun, la possession des écrits de cet homme ou de ses photographies , l’évocation de son nom et tout ce qui pouvait rappeler son existence à la mémoire des hommes restèrent frappés d’ interdit par la censure d’Etat et punis comme des actes de subversion. Condamnés sans procès et bannis du prétoire, UM NYOBE et les autres leaders nationalistes de l’UPC (Félix MOUMIE, Ernest OUANDIE, Abel KINGUE, OSSENDE AFANA, etc.) ne devaient être évoqués que pour être immédiatement disqualifiés comme des « sanguinaires aigris » qui, ayant mis le pays « à feu et à sang », avaient finalement eu le sort qu’ils méritaient, victimes de leur propre « haine » et de leur « nihilisme ».


C’est dans un tel contexte, où la refabrication de l’Histoire du Cameroun par l’Etat post-colonial semblait avoir définitivement triomphé, que Achille MBEMBE tente une première collecte des écrits de Ruben Um Nyobè, dispersés sur trois continents ( Afrique , Europe et Asie), qu’il publie aux éditions l’Harmattan, en 1984, sous le titre : Le Problème national kamerounais. L’ouvrage , en rassemblant une partie des écrits de Ruben UM NYOBE datant des années 1950, redonne enfin la parole à ceux que l’on pourrait qualifier – provisoirement – de vaincus de l’histoire, par l’une de leurs voix les plus autorisées. « Le plus célèbre des  « héros maudits » de la décolonisation africaine » refait donc ainsi irruption sur la scène pour donner lui-même sa version des faits.


Outre la nécessité scientifique d’écrire l’histoire en confrontant les sources d’origines diverses, la publication posthume des écrits de Um Nyobè participe aussi de l’entreprise militante   d’un chercheur, désireux de restituer au peuple camerounais des pages parmi les plus riches et les plus déterminantes d’une histoire inachevée, celle de la nation camerounaise. Restituer son histoire, ainsi que sa mémoire collective au peuple camerounais  en « ressuscitant » une pensée qui fut longtemps étouffée par l’ostracisme et maintenue dans l’oubli, quand elle n’était pas tout uniment tronquée ou pillée, tel semble être le projet qui a présidé à la re- mise à jour de ces écrits.


Au cœur du procès de la réunification et de l’indépendance.

De tous les territoires d’ Afrique noire francophone anciennement dominés par la France , le Cameroun a été le seul où la revendication d’indépendance (d’une part) et son déni (d’autre part) ont dû recourir à la violence des armes pour solder le contentieux. « Au terme de quelle démarche cela a-t-il pu se produire ? A quels mouvements , acteurs et forces sociales faut-il en attribuer les responsabilités ? Quelle furent celles, spécifiques, du gouvernement français et de ses représentants et appuis locaux ? Par quels artifices est-on arrivé au fait que l’indépendance soit octroyée aux groupes politiques qui en avaient combattu le principe et les modalités de réalisation ? Quels sont les facteurs qui expliquent la mise « hors-la-loi », la répression et la défaite du mouvement nationaliste au Cameroun ? » [ii] . Voila un ensemble de questions sur lesquelles les écrits de UM NYOBE jettent un éclairage nouveau . Les fables officielles, les fictions échafaudées et longtemps entretenues sur cette période de notre histoire récente, entraient alors, par le fait même, en agonie.


Tout avait commencé lorsqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale , le profond désir de liberté qui toujours avait agiter les peuples de cette contrée d’Afrique - ponctuant toute l’histoire coloniale de révoltes violemment réprimées - trouva son expression achevée sous la forme d’un vaste mouvement anticolonialiste porté par l’Union des Populations du Cameroun (UPC). Unification immédiate des deux Cameroun (respectivement sous administration française et britannique), fixation d’un délai pour l’indépendance et non intégration du territoire dans L’Union française étaient, aux yeux des nationalistes camerounais, les préalables sans lesquels l’ objectif primordial de «  grouper et d’unir les camerounais en vue de leur évolution plus rapide et de l’élévation de leur standard de vie  » que s’assignait ce parti ne pouvait être atteint. L’on sait, en effet, que les affres du système colonial - au rang desquels le portage , la discrimination raciale, les travaux forcés, l’indigénat - avaient constitué un ferment important dans le processus de maturation du mouvement nationaliste.


Les écrits de Ruben Um Nyobè montrent bien comment l’UPC sut porter les espérances des Camerounais de cette époque et comment son secrétaire général se fit leur porte-parole honnête, radical et intransigeant. Il donna à la revendication d’indépendance, les contours d’un vaste procès non seulement politique , mais aussi culturel. Sa prédication politique s’enracinait dans le vécu des gens simples de son temps ; et c’est à partir de leurs difficultés quotidiennes qu’il dévoilait la culpabilité du régime colonial. « Les colonialistes ne veulent pas admettre qu’un Noir soit l’égal d’un Blanc, écrivait-il alors. Cette conception se manifeste dans le domaine social, dans l’ échelle des salaires, dans le traitement médical, dans le logement , dans la justice , et, hélas, à l’église. […] La doctrine coloniale n’a jamais cessé de proclamer que le Blanc est un être supérieur et que le Noir, spécialement, ne possède que des capacités limitées et que sa peau n’est pas capable d’assimiler les choses supérieures. Bien que les faits se soient maintes fois inscrits en faux contre cette prétention, les colonialistes ne veulent point y renoncer. C’est pour cette raison qu’ils affirment que l’accession à l’indépendance dans un pays comme le Kamerun plongerait le pays dans l’anarchie et la ruine » [iii] .


Après avoir ainsi dévoilé la culpabilité et le caractère pernicieux de l’ordre colonial,   Um Nyobè en prescrivait la cure radicale : l’unification du territoire Kamerunais et son indépendance. L’indépendance et la souveraineté nationale étaient, à ses yeux, « un droit naturel et indivisible pour tous les peuples du monde, il n’appartient à aucun pays de les « contingenter » comme une faveur à l’égard d’un peuple qui en a été privé par la force, comme c’est le cas ici  »[iv].


C’est cette vérité , si évidente à ses yeux, qu’il porta aux populations des coins les plus reculés du pays ; « se déplaçant de village en village et dans les centres urbains, à pied, en train, ou juché sur un camion. » Il la proclama également hors des frontières du « Kamerun » : à Paris, aux étudiants camerounais étudiant en France, ou en conférence avec des intellectuels tels que Allioune Diop, ou Jean Paul Sartre dans la grande salle des Sociétés Savantes de la capitale française. Il se rendit également à trois reprises aux Nations Unies, à New York , pour y défendre les idéaux de réunification et d’indépendance, mandaté par l’UPC et par plusieurs autres organisations épousant les mêmes vues. Au Cameroun, le taux d’alphabétisation relativement faible, à cette époque, et la diversité linguistique ne constituaient pas un frein à la vulgarisation de son message  : il s’exprimait aussi bien en bassa, qu’en boulou, en éwondo, en duala, en pidgin et en français. Les témoignages, écrits et oraux sont unanimes à reconnaître qu’il s’acquitta de ses responsabilités de leader avant-gardiste avec une abnégation, une sincérité et une intégrité que ses ennemis mêmes furent contraints de lui reconnaître. Sa dévotion à la cause nationaliste et son acharnement à défendre les intérêts des opprimés lui valurent le pseudonyme de « Mpodol » . En langue bassa, « celui qui porte la voix de », « traduit les choix de », « défend la cause de ».


L’éthique politique et l’éducation des masses constituaient, aux Yeux de Mpodol, des qualités indispensables au succès de la lutte. Aussi prescrivait-il à toutes les cellules du parti, même après son interdiction, d’entretenir « un contact permanent avec la masse et éduquer celle-ci sur les problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels ». L’immoralité et l’ignorance ne pouvaient que retarder la fin du régime coloniale qui était, d’après lui, dans « l’ordre des choses », le désordre résidant dans sa continuation . comme le souligne Achille Mbembe dans son introduction, la notion de « vérité politique » chez Um Nyobè semble se confondre avec celle de « juste cause ». Dès lors, estimait-il, une cause juste n’a pas besoin d’armes pour triompher. Elle doit triompher presque d’elle-même, parce qu’elle est juste ; et à condition qu’elle soit menée sans compromission. C’est ainsi que l’éthique occupa une place centrale dans sa pratique politique. Il désavoua par exemple Houphouet Boigny lorsque celui-ci prostitua, en 1950, les nobles idéaux du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) au profit de quelques intérêts égoïstes. Faisant irruption dans le champ de la théologie, il confondit les responsables des églises locales – l’église catholique surtout - ouvertement hostiles à l’indépendance et adjuvants de l’administration coloniale, en réinterprétant la bible comme l’histoire de l’engagement de Dieu en faveur de la libération des opprimés.


Au delà de la fascination que Mpodol exerça (et continu d’exercer) sur ses partisans et de la haine mortelle que ses ennemis lui vouèrent, personne ne pourrait valablement contester le fait que l’homme imprima une marque indélébile à l’histoire politique et culturelle de son pays. Qui était donc cet homme que l’« on vint de loin pour voir et écouter[v]», cette « énigme pour les puissants » qui, disait-on, « ne se faisait pas acheter, même à prix d’or » ?  Que sait-on d’autre de ce « héros maudit » dont on voulut raturer le souvenir, après qu’en son temps, son nom se fût « répandu dans les villes et les villages » ? après que, « dans les quartiers populaires de New-Bell en 1956, et dans les maquis et les villages fortifiés [les enfants eurent] chanter les louanges » de  ce  « maquisard »? 


 Elève indocile, fonctionnaire éclectique et syndicaliste de la première heure

Né vers 1913 à Song Mpèk, petit village près de Bumnyebèl, dans l’actuel département du Nyong-et-Kelle, d’une union entre Nyobè Nsounga et Ngo Um Nonos. Um reçoit une éducation rigoureuse, à cheval entre les cosmogonies bassa auxquelles son père est initié, et la morale chrétienne, reçue dans les écoles de la Mission Presbytérienne américaine (MPA). Après l’obtention de son certificat d’études primaires à l’école du village de Makay en 1924, il enseigne pendant deux ans dans les écoles missionnaires protestantes au terme desquels il est reçu au concours d’admission à l’Ecole Normale de Fulassi. Certaines sources font état de ce qu’il s’accommodait fort mal de la discipline rigide  imposée aux élèves dans cette institution. A cause de son esprit sans cesse raisonneur et contradicteur à souhait, il se serait retrouvé à la tête d’une protestation organisée dans cette école par les élèves contre la piètre qualité des repas de la cantine. Traduit au conseil de discipline et finalement exclu avant le terme de sa formation pour cause d’indocilité, il présente l’examen final comme candidat libre et obtient son parchemin de moniteur.


Après avoir obtenu l’admission au concours des commis des services civils et financiers, Ruben quitte en 1935 le service de l’enseignement des missions protestantes qu’il avait réintégré à l’issue de sa formation à Fulassi. Mu par un appétit immodéré de connaissances, comme l’attesteront plus tard les rapports des autorités administratives et policières, « homme intelligent », recherchant « par lui-même une culture supérieure », il s’attelle à une formation personnelle qui lui vaut, en 1939, de passer avec succès les épreuves de la première partie du baccalauréat. 


Peu avant, Um Nyobè avait amorcé une carrière administrative dont le premier poste d’affectation avait été la direction des finances de Yaoundé. Il se retrouve plus tard à Edéa, puis à  Ngaoundéré. Dans sa brève carrière de fonctionnaire (environ 15ans), il laissa à sa hiérarchie l’image d’un travailleur infatigable et méticuleux. Pendant son séjour à Yaoundé, on le vit s’investir dans des activités sportives (où il était très apprécié comme arbitre), ou encore chanter avec la chorale protestante. A Edéa, sa rigueur et sa méticulosité furent particulièrement mises en exergue lorsqu’il assuma simultanément, pendant deux ans, des charges de greffier à la Justice de Paix à Edéa, de secrétaire à la Justice (à la fois à Ngambé et à Babimbi),  de juge d’instruction, de secrétaire du courrier et même dactylographe de bureau. Mais en septembre 1954, Um Nyobè est finalement révoqué de la fonction publique à cause de sa dévotion totale à la cause nationale. Cela faisait en effet quelques années qu’il retournait avec succès l’arme de  l’affectation disciplinaire et fantaisiste contre l’administration coloniale en sollicitant sans cesse des mises en disponibilité pour se consacrer à temps plein à son sacerdoce politique duquel on tentait veinement de l’éloigner.


A Yaoundé, Um avait assidûment fréquenté le cercle d’études sociales et syndicales initiés par Gaston Donnat et quelques autres militants français de la C.G.T., avec d’autres Camerounais tels que Charles Assalé, André Fouda ou Jacques Ngom. C’est donc tout naturellement qu’il se consacre au syndicalisme dès 1944, notamment à travers l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC). A la même époque, il milite dans la Jeunesse Camerounaise Française (JEUCAFRA), mais surtout le Rassemblement Camerounais (RACAM) qu’il semble avoir considéré comme l’ancêtre de l’UPC..


            C’est donc principalement par la passerelle du syndicalisme que Um Nyobè entre  en politique. L’UPC, donc il deviendra le secrétaire général est créée le 10 avril 1948. La mobilité et les voyages dont il s’accommoda très tôt,  au gré de ses études et de sa carrière de fonctionnaire, l’y avaient également préparé en lui donnant une bonne connaissance de son pays et de ses hommes. Lorsqu’en 1955, l’administration française compris que les tentatives de corruptions, les trucages électoraux et les intimidations avaient définitivement échoué à empêcher l’expansion et l’influence de l’UPC, elle provoqua des émeutes, dans divers centres urbains du pays, qu’elle imputa à l’UPC. Le prétexte était ainsi trouvé pour dissoudre le mouvement et déclarer ses leaders hors la loi. Ruben Um Nyobè trouve refuge dans la foret de Boumnyébel, sa région natale où il constitue un « maquis » plus studieux que militaire, écrivant beaucoup et lisant autant qu’il peut. C’est dans ce refuge qu’il sera traqué et finalement abattu le 13 septembre 1958, par un soldat tchadien d’origine sara, un certain Paul ABDOULAYE. Um Nyobè portait alors, ce samedi, une serviette pleine de documents qui, dit-on, ne le quittait jamais. Il ne possédait aucune arme et n’avait jamais voulu être gardé. Toujours est-il que ce sinistre samedi, l’histoire du Cameroun bascula.


Comment taire le mort ? 

La puissance de l’écriture réside généralement dans le refus d’anéantissement qu’à travers elle, l’acte de parler oppose à la dictature du temps et à l’oubli. Par elle, on peut dire une parole qui continue de parler, longtemps après soi. L’écriture  devient ainsi un testament; la trace  d’une relation souvent alternative de l’histoire, qui s’inscrit en faux contre la loi d’airain qui veut que l’histoire soit toujours écrite par les vainqueurs. Tel est assurément Le Problème National Kamerunais : un testament pour la postérité. Afin que nul n’oublie les blessures (encore béantes pour certaines),  les humiliations, les souffrances inouies et  les persécutions que des hommes ont accepté d’endurer pour que nous, qui n’étions pas encore, puissions hériter  de quelque chose – nous aussi. Afin que nous sous souvenions qu’ici même, chez nous, des gens sont allés jusqu’au sacrifice ultime pour que nous, qui n’étions pas encore, puissions vivre pleinement. Pour que nous ayons une histoire à raconter. Une histoire de dignité.


            C’est cette histoire – notre précieux héritage – que la censure d’Etat à essayé, pendant longtemps, d’enterrer sous les décombres de l’ostracisme, de la falsification et du mensonge. Après sa parution en 1984, Le Problème National kamerunais tomba sous le coup des ordonnances de 1962 portant répression de la « subversion ». En plus claire, le gouvernement camerounais estimait, 26 ans après la mort de Ruben  UM Nyobè, que la diffusion des écrits de ce mort était « de nature à troubler l’ordre public » du pays pour lequel il avait été assassiné. C’est ainsi que le Ministre de l’Administration territoriale de l’époque, Jean-Marcel MENGUEME, édicta une mesure interdisant la détention, la vente ou la diffusion du livre. Achille Mbembe racontera plus tard que des exemplaires du livre furent saisis au Cameroun et quelques autres furent brûlés, tandis qu’il était lui-même convoqué par les services de renseignement. Signalons au passage que si Le Problème national kamerunais a bénéficié, en 1990, de l’abrogation des lois contre « la subversion », le livre demeure curieusement introuvable dans les librairies du pays. Dans aucune bibliothèque non plus, il n’est mis à la disposition du public…    


Au-delà de la rencontre - nécessairement conflictuelle - entre toute volonté d’exister en tant que soi et les intérêts de « l’autre  », la singulière histoire de Ruben Um Nyobè et de ses « reliques » peut donc, à certains égards, se lire comme une métaphore de la guerre que l’Afrique mène, depuis quelques siècles, contre elle-même. Une guerre contre sa propre émancipation qu’elle recherche et   saborde en même temps. C’est ainsi qu’au Cameroun, nous pouvons prétendre œuvrer pour l’édification d’une nation, tout en niant ses narrations fondatrices, et en nous efforçant d’ériger en anti-modèles ceux qui payèrent de leur vie le prix de cette utopie nationale.


 En mettant les écrits de Um Nyobè à la disposition du Public, Achille Mbembe apportait une pièce à conviction trop gênante à la restitution de la vérité historique qui affirme qu’au soir de l’ordre colonial, l’administration française entrepris d’éliminer les nationalistes camerounais de la scène politique et confia l’indépendance à ses clients locaux, ceux là même qui en avaient combattu le principe. C’est pourquoi l’Etat post-colonial peine à se reconnaître dans l’ histoire de Um Nyobè et de ces compagnons, et hésite à se réapproprier leur legs. Car le pouvoir post-colonial, tel que nous le subissons, naît de l’échec du projet nationaliste de l’UPC et est l’incarnation même de cet échec.[vi]  


  Joseph Achille Mbembe, l’homme qui aura fait parler le mort, rendant du même coup la parole à tous les morts de la décolonisation du Cameroun, est un historien et politologue camerounais. Né en 1957, il est âgé de 27 ans lorsqu’il rassemble et publie ces écrits. Il poursuivait alors des études d’histoire et de sciences politiques en France, après une maîtrise en histoire obtenue à l’Université de Yaoundé. Cinq ans plus tard, en 1989, il faisait éditer les Ecrits sous maquis du même Um Nyobè, toujours aux éditions l’Harmattan. Il est l’auteur de plusieurs autres ouvrages : Les Jeunes et l’Ordre Politique en Afrique Noire (l’Harmattan, 1986) ; Afriques Indociles. Pouvoirs et Etat en Société postcoloniale, (Paris, Karthala, 1988) ;  Le Politique par le bas en Afrique Noire – avec  J.-F. Bayart et Comi Toulabor (Karthala, 1992) ; La naissance du Maquis dans le Sud Cameroun (1920-1960), (Karthala, 1996) ; De la Postcolonie. Essai sur l’Imagination politique dans l’Afrique contemporaine, (Karthala, 2000) ; Johannesburg : The Elusive Metropolis – avec Sara Nuttal (Duke University Press, 2004). Après avoir enseigné à Colombia University, New York, et à l’Université de Pennsylvanie, à Philadelphie, Achille Mbembe à été Secrétaire exécutif de Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales (Codesria), à Dakar jusqu’en 2000. Il est actuellement professeur d’histoire et de sciences politiques à l’Université de Witwatersrand, Johannesburg, Afrique du Sud et à l’Université de Californie ; directeur de recherches au Witwatersrand Institute for Social and Economic research (Wiser).



Alain B. Ngono / Yves Mintoogue.    


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[i] Cf. Ruben Um Nyobè, Le Problème national kamerunais, Paris, L’Harmattan, 1984, P.9.

[ii] Ibid, P.9.

[iii] Ibid, P.23.

[iv] Ibid, P. 390.

[v] Les Citations de ce paragraphe sont tirés du  Problème national kamerunais, op. cit, P.29.

[vi] Nous nous référons évidemment ici à l’UPC des années 1950 ; à ne pas confondre avec les UPC actuelles.

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