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20.01.2006

François SENGA KUO, le poète 


Par Wilfried Mwenye


François Sengat-Kuo, né le 04 août 1931 à Douala est davantage connu comme homme politique et diplomate. Son Action dans la vie politique est énorme. Eminence grise de feue l’Union Nationale Camerounaise (UNC), Sengat-Kuo apparaît comme le faiseur de partis, ou mieux le rédacteur des textes fondamentaux des principaux partis politiques de notre pays. Opposant redoutable, il a toujours attiré par la politique et la culture dont son oeuvre poétique porte les marques. Militant furibond de l’Association des Etudiants d’Afrique noire en France( FEANF), c’est ainsi que le présente A. Fall dans le numéro 301 du 1er août 1983 du Magasine Afrique-Asie (P.26). Ce trait de caractère marque une bonne partie de sa poésie. Rédacteur à la revue Présence africaine, il y publie de nombreux articles. Les années cinquante marquées par les luttes révolutionnaires, lui imposent le pseudonyme de Francisco Nditsouna. Pseudonymes sous lequel parurent ses premiers écrits.

Se faufiler dans l’oeuvre poétique de Sengat-Kuo, c’est suivre l’itinéraire du Nègre asservi par la colonisation et qui, prenant conscience de sa servitude, aspire à se libérer par le truchement de la lutte. Fleurs de latérite dont le titre évocateur plonge le lecteur dans la zone intertropicale, apparaît d’abord comme un bouquet d’humeurs fait de rêves, de frustrations et de nostalgie. Mais le titre fait également songer à la poussière qui tapisse les chemins de nos contrées et qui, au moindre souffle, brouille la vue et fait suffoquer, les usagers pris au piège et sans protection, restent figés par la malheureuse circonstance. De son exil français, froid et grisailleux, l’auteur, par la magie du souvenir, nous délivre : « (…) toutes / en gerbes assemblées/ fleurs de mépris/ fleurs de haine/ fleurs de révolte/ fleurs d’Afrique/ fleurs jaillies des latérites/ Pour haut dans le vent/ porter vos pollens/libérateurs. » (2) Planche de treize poèmes où éclatent la colère et les frustrations du poète. Sentiments abondamment nourris par les idées et la mouvance des thèses en cours la Négritude triomphante, a droit de cité. Aussi l’univers du papier et de la plume est-il pour le jeune poète un exutoire où il crie son ras-le-bol et sa rancœur. Cependant, une telle démarche, pleine de fougue, pleine de hargne, laisse-t-elle suffisamment de lucidité et de recul au poète ? Ne conduit-elle pas à une sorte de dédouanement simpliste de la victime ? L’amnésie culturelle aidant ne débouche-t-on pas à une clamation naïve et servile de la négrité où la couleur, la race apparaissent désormais comme des valeurs refuges ? Voilà des questions qui habitent le lecteur d’aujourd’hui qui s’attardent sur les poèmes Ils sont venus et Ils m’ont dit. Comment pouvait-on bâtir un brillant avenir « ce soir là (où) comme toujours l’on dansait/ l’on riait » (3). La colonisation s’accompagne d’une dépréciation de l’échelle des valeurs et de l’Etre. Dorénavant au contact de nouveaux usages et règles, à la veille de la reconquête de soi, le colonisé s’interroge sur la démarche à suivre. Lui qui désormais est un être à la culture hybride. Il lui est difficile de concilier cet Etre dédoublé. Son esprit, tel un funambule, oscille par un mouvement de va-et-vient entre le nouvel qu’il aspire à devenir et l’ancien qu’il était et qu’il souhaite redécouvrir :


« Si je dois revenir Afrique (…)
Si je dois revenir boire à ta coupe (…)
Je voudrais de mon douloureux moi hybride
Extirper l’écharde de l’orgueilleuse Europe
Et clarifier Afrique
Clarifier la mémoire de mon sang » (4)

Puis le choix semble clair, la prise de conscience à travers ces vers :

On a blanchi ma cervelle
Mais mon âme est restée noire indomptée (…)
Eia pour la joie de vivre
Je ne renierai point ma négritude (5)

Mais paradoxalement, la fierté apparaît sous les traits les plus humiliants et l’on se demande pour quelle fin le poète les revendique !

Du tréfonds de ma chair
Re-suscite mes douleurs abyssales
Jusqu’au cœur de l’Europe
De l’Europe barbare (…)
Fièrement je revendique
Pour ma large, large face d’ébène
Vos crachats
Pour mon dos dès l’aube courbé
Vos cravaches »


La haine longtemps macérée dans les larmes, explose et amène le jeune poète à se faire « fronde » pour l’engagement. Mais il souhaite avant se défaire de l’empire dévirilisant de la femme « Femme maintenant/ de mon cou retire tes longs bras de liane », car « le guerrier de jadis ne saurait rester à genoux » (6). Cette aspiration à la lutte vient buter sur de douloureux souvenirs qui remontent à l’enfance. C’est donc à une sorte d’exorcisation que le poète se livre dans la planche Heures rouges. Repartie en trois séquences (Une voix d’homme, Flaque de sang, Silence peuplé de voix) monologue revient abondamment sur les émeutes de septembre 1945 à Douala. Episode sanglant, marqué par un affrontement inégal qui opposait d’une part les indigènes abusés et misérables, qui ne réclamaient par le biais de la manifestation que de meilleures conditions de travail et une augmentation de leur solde ; et d’autre part, les colons imbus de leurs privilèges, emportés par la haine, l’égoïsme et le mépris. Sans hésitation, ces derniers recoururent à la grande artillerie pour venir à bout des manifestants armés de cailloux et de bâtons.

Heures rouges prend alors une connotation multiple si l’on se réfère à la symbolique chromatique qui, dans le texte, peut renvoyer à la colère, à la tension et au sang. Heures rouges peut aussi se saisir comme le temps de la révolution. Le contexte historique de cette époque nous autorise ce rapprochement : c’est l’ère des grandes luttes d’émancipation. Le monde sort à peine de la deuxième guerre mondiale. Les colonisés ayant participé à la grande guerre aux côtés de leurs « maîtres » soudains vulnérables, n’entendent plus se laisser marcher dessus. Aussi les événements de septembre 1945 sont-ils un des nombreux signes de la lutte révolutionnaire qui atteindra son point culminant en 1955 au Cameroun.


A la lutte armée, devait suivre la bataille culturelle. Collier de cauris traduit mieux cette volonté de retourner aux sources. Troisième recueil de Sengat-Kuo, Collier de cauris est un épanchement lyrique d’un haut symbolisme où la poésie imbibée de la mystique africaine laisse transparaître la maturation et l’aspiration à l’universalité. Reconduisant les thèmes jadis répugnés par les colons et les nègres évolués, Sengat-Kuo se les réapproprie pour chanter son affranchissement, pour en faire le socle de sa nouvelle condition :


Oh pencher sa tête crépue sur l’immensité de la mer
Offrir son corps noir au baptême de l’écume blanche
Traverser les livres comme un désert de pierres muettes
Emmurées dans l’éternelle surdité du silence (…)
Et le roulement du tam-tam qui n’en finit pas
Les mots sont des totems sous toutes les latitudes
Qui murmurent des secrets aux oreilles initiées (…)
Les sources chuchotent des chants cabalistiques (7)


Dans les précédents recueils, le sang apparaît comme le siège de la trahison, de l’aliénation (la mémoire du sang), parfois comme un gâchis de vie (flaque de sang). Il revêt ici un sens plus noble : c’est le réceptacle du vitalisme humain, le véhicule par excellence d’un legs, une feuille de route déployée aux confins des rêves et du futur. Le sang devient le lieu de mémoire que réactive le lien filial du totem :


A moi mes totems tous les totems de mon enfance
Vous donc qui dormez au coin de ma mémoire
Dans les globules de mon sang et les pigments de ma peau
Qui êtes de moi et de mes morts le pacte sacré (8)
Collier de cauris, c’est aussi la confession mêlée à la jubilation.

Contrition du moi aliéné :

Masque ô masque tutélaire de mon village
Je te salue comme le coq salue l’aurore
Et je confesse ma trahison d’enfant prodigue(9)

Et joie du moi retrouvé :

Mon éclat de rire tonnerre au milieu de leur fête
Je te découvre nombril sacré de mon être
Et ta beauté foudroie mon cœur de sa vérité d’homme(10)


Dans le recueil, la force suggestive est telle que Collier de cauris dans une acception bantoue, célèbre l’union individualisée dans un ensemble harmonieux qui vient conférer richesse et plénitude à qui saura s’imprégner du contenu du recueil dans sa totalité.


Le poème 1er janvier 1960, quant à lui, s’érige comme un repère. C’est le signe de l’indépendance politique du Cameroun sous administration française et, partant, le début d’une série d’indépendances en Afrique et singulièrement en Afrique francophone. L’ancien temps est perçu dans l’esprit du poète comme une « ombre qui s’effiloche/ éclate en de multiples lambeaux » C’est avec enthousiasme qu’il accueille la nouvelle période qui vient repousser les « morsures d’un hiver venu d’autres cieux » (11). Une certaine ambiguïté vient cependant teinter cet élan jubilatoire quand dans la ferveur euphorique il s’inquiète : « Et mi surgi là pour mordre aux fruits d’un arbre dont j’ignore la profondeur des racines » (12) . En partant du principe que l’indépendance du Cameroun est l’aboutissement du combat amorcé par l’UPC (Union des Populations du Cameroun), cette préoccupation de Sengat-Kuo, n’est ni fortuite, ni opportune. Durant son séjour parisien, nous révèle Mongo Beti, François Sengat-Kuo n’a pas fait partie de l’UPC (13) malgré la sympathie avérée qu’il avait pour ce parti. Son Opposition au régime Ahidjo ne faisait pas mystère. Mais comment comprendre qu’un opposant de son envergure soit par la suite devenu la pierre d’achoppement de ce régime, l’idéologue de l’UNC ?

La compréhension d’un tel revirement passe sans doute par la lecture du phénomène de la colonisation. Ce système e son corollaire de frustration, d’aliénation et d’humiliation ayant formé les structures mentales, a développé chez le colonisé mieux que chez quiconque, l’instinct de conservation. Est-ce par hasard que le poème « ils m’ont dit » chute par ces mots: Pourtant je suis une hydre à mille têtes après que le poète se soit livré au dévoilement des sévices par lui subis. Cette hydre à mille têtes serait peut-être l’hydre de Cerne dotée de sept têtes repoussant au fur et à mesure qu’on les tranchait.

L’oeuvre poétique de Sengat-Kuo, considéré par R. Philombe « le premier théoricien de la poésie néo-camerounaise » (14), est une série de clichés du Blanc vis à vis du Noirs, du Nord vis-à-vis du Blanc d’une part, et du Noir vis à vis de lui-même d’autre part, avec ses combats intérieurs et externes. Sa démarche libératrice au travers de l’auto-analyse qui se perçoit d’abord de manière brouillée au travers des deux premiers recueils, puis très nettement dans Colliers de cauris. C’est le canal par lequel le poète jadis colonisé choisit de se reconnecter pacifiquement avec son passé. Un passé qu’il assume désormais, qui est une exhortation à l’endroit de ses semblables :


Venez boire à la coupe de mes voix uniques
Où pétille le lait des légendes anciennes
Les sortilèges qui font les peuples libres. (15)


1. Poète, membre de la Ronde des Poètes, étudie l’histoire à Yaoundé I
2. F. Sengat-Kuo, ‘Liminaire’ in Fleurs de latérite, CLE, Yaoundé, 1971, P.16
3. Ils sont venus, in Fleurs de latérite, P. 11
4. La mémoire du sang, Fleurs de latérite, P. 14
5. Fidélité, Id, p16
6. Je veux être une fronde, id, P. 21
7. Les mots sont des totems, in Colliers de cauris, Présence africaine, Paris, 1970
8. Les mots sont des totems, idem
9. Au masque, id
10. Au masque, id
11. 1er janvier 1960, id
12. Les mots sont des totems, id
13. Nécrologie, Mongo Beti for ever, in La Nouvelle Expression, édition spéciale du 09 octobre 2001, p.8
14. In R. Philombe, Le Livre camerounais et ses auteurs, Yaoundé, Semences africaines, 1984, p. 187
15. 1er janvier 1960, in Collier de cauris.
 
 
Source : Africultures 



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Extrait de son livre

Le document que voici n’est pas, comme on pourrait s’y attendre, un essai d’évaluation de mon expérience comme secrétaire politique du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc).

Quel que soit l’intérêt que peut avoir une telle évaluation, je considère néanmoins, que le moment n’est pas encore venu de dire quelle part de responsabilité j’ai assumée ou non pendant les cinq années décisives parce que les premières, de l’existence de ce parti où j’ai occupé cette fonction.

Ce livre est un simple recueil de documents que j’ai jugé utile dans les circonstances actuelles de porter, réunis ensemble et classés par ordre chronologique, à la connaissance des militants du Rdpc et, au-delà, du grand public.
Ces documents, encore publiés à ce jour, ont ponctué la marche du Rdpc au cours de la période allant du congrès de Bamenda en mars 1985 au congrès de Yaoundé en juin 1990.

La question qui viendra, sans doute, à l’esprit du lecteur est celle de savoir pourquoi avoir décidé, maintenant, de publier des textes dont ce n’était pas la destination première ? La réponse en est simple : parce que cette publication permet, en rendant compte des efforts persévérants déployés, mais constamment contrariés, pour rester fidèle aux perspectives ouvertes au congrès de Bamenda, de lever un certain malentendu avec l’opinion et surtout d’éclairer les militants sur la situation réelle de leur parti et les amener à réfléchir sérieusement aux réformes nécessaires s’ils veulent voir celui-ci continuer à jouer un rôle positif dans le pays.

D’abord à lever un malentendu

Le Cameroun connaît depuis la crise du bicéphalisme, une ère de changements. Face à celle-ci, comme cela arrive dans toutes les périodes similaires de l’histoire des peuples, les Camerounais se seraient divisés en deux catégories : d’une part les progressistes qui agissent dans le sens du changement, et d’autre part, ceux qui souhaitent maintenir le statu quo et que l’on qualifie de conservateurs.
Avec une certaine surprise et, pourquoi ne pas le dire, une certaine amertume, j’ai constaté que j’ai été allègrement classé parmi les conservateurs sans que l’on se soit véritablement donné la peine de s’informer sur mes positions réelles sur les problèmes du parti et de la nation.
A la réflexion, et avec le recul que donne le temps, il me semble que ce malentendu trouve son explication dans les trois faits suivants :

- Le premier, c’est la durée dans les responsabilités publiques. Pour avoir occupé des fonctions importantes dans l’ancien comme dans le nouveau régime, au lieu de procéder à une évaluation des services rendus à la nation qui expliquerait peut-être cette longévité dans la vie publique, il s’est avéré plus facile de me considérer comme “ un baron “ qui a su, avec habileté défendre des situations acquises, voire des avantages acquis. Outre le fait qu’il est vérifiable que, au cours de ma carrière, je n’ai jamais bénéficié d’un privilège particulier, ni en termes d’avantages matériels ni en termes de pouvoir réel, on ne s’est pas aperçu que le Renouveau a été l’oeuvre, non des prétendus “ rénovateurs “ qui en ignorent l’origine, mais bien de ceux-là même qui, parce qu’ils avaient connu l’ancien régime, avec ses forces et ses faiblesses, pouvaient, avec souplesse, le transformer de l’intérieur.

- Le second, c’est l’interprétation erronée voire délibérément tendancieuse donnée à l’une des rares déclarations que j’ai faites au cours d’un séminaire tenu à Douala, peu avant le congrès de Bamenda. A cette occasion, dans l’intention de conserver au parti la maîtrise du changement en cours, j’avais affirmé que “ les hommes du Renouveau ne sont pas nécessairement des hommes nouveaux “ mais ceux qui, anciens ou nouveaux, sont sincèrement acquis à ses objectifs.
Je ne sais comment cette phrase a pu être comprise comme une volonté de ma part de faire échec à la dynamique du changement dont j’étais l’un des promoteurs. Son examen attentif montre pourtant clairement que l’idée que j’ai voulu exprimer est que, pour être un homme du Renouveau, il ne suffisait pas d’être seulement un homme nouveau et que les anciens pouvaient tout autant y prétendre, la condition nécessaire et suffisante pour les uns comme pour les autres étant d’être acquis au changement. Cette question demeure d’actualité aujourd’hui que les Camerounais sont de nouveau confrontés à des choix fondamentaux.

- Le troisième et dernier fait, qui est aussi sans doute le plus important, c’est la discrétion dont j’ai fait preuve tout au long de ma vie publique et en particulier, en tant que secrétaire politique du Rdpc. Cette discrétion résulte du devoir de réserve que m’imposaient mes fonctions et, en ce qui concerne le Rdpc, du respect de la discipline du parti.

Je conviens que l’observateur superficiel et peu scrupuleux pouvait ainsi confondre la position exprimée en raison de mes fonctions et ma position personnelle en tant que citoyen dans telle ou telle circonstance.
C’est le lieu de s’étonner que la presse nationale, jouissant désormais d’une certaine liberté d’informer et de s’exprimer, ne fasse pas d’avantage d’effort pour côtoyer les acteurs politiques, pour les connaître d’abord et ensuite pour mieux traduire leurs pensées et leurs actions.

Elle pourrait ainsi s’apercevoir qu’il peut y avoir des nuances, voire des différences, entre une position “institutionnelle” et une position individuelle et, en ce qui concerne le Rdpc, se rendre compte que l’unanimité apparente peut cacher de profondes divergences de vues.
C’est aussi la raison pour laquelle, évitant un plaidoyer pro-domo, j’ai préféré réunir ces documents dans cet ouvrage pour qu’ils portent d’eux-mêmes un certain témoignage – incomplet certes, mais authentique (puisqu’ils n’ont pas été écrits pour cela) – de ce que j’aurais, si les circonstances avaient été favorables, voulu réaliser en tant que secrétaire politique du Rdpc.

Ainsi, ceux qui me connaissent de longue date et ceux qui ont été amenés à me faire confiance sur la base de mes convictions seront-ils assurés en constatant que je n’ai cessé, tout au long de ma carrière politique, d’être fidèle à moi-même et aux idéaux que j’ai défendus depuis ma jeunesse estudiantine : élargir sans cesse, en tenant compte des circonstances, les espaces de liberté et de dignité.

Ensuite à éclairer les militants du Rdpc

La fin de mon mandat de secrétaire politique du Rdpc a coïncidé, au congrès ordinaire de Yaoundé, avec l’annonce de l’éventualité de l’instauration au Cameroun d’une ère de concurrence politique. Cette éventualité est devenue une réalité puisque le Rdpc n’est plus seul dans l’arène politique mais se trouve confronté à de nombreux partis de l’opposition.
Deux questions, dès lors, se posent aux militants du Rdpc : ont-ils des raisons suffisantes de lui rester fidèles ? Quelles sont les réformes que nécessite la nouvelle situation pour que le Rdpc continue de jouer un rôle important dans la vie nationale ?

Si la question de la fidélité au Rdpc se pose à la conscience des militants, c’est sans doute parce que, pendant les cinq années écoulées, le parti n’a pas fonctionné de façon satisfaisante et convaincante. En effet, les objectifs assignés au Rdpc au congrès de Bamenda peuvent se résumer de la manière suivante :
- Etre un parti de rassemblement réunissant en son sein toutes les sensibilités politiques nationales afin de réduire les divisions nées de la lutte pour l’indépendance et de réaliser ainsi une réconciliation nationale et une unité d’action, sinon de pensée, autour d’objectifs communs qui sont :
- Etre, en plus de ses tâches politiques normales d’encadrement et de mobilisation, un instrument d’action économique, sociale et culturelle pour mieux coller aux réalités nationales et être véritablement mieux à l’écoute des préoccupations quotidiennes du peuple ;
- Promouvoir une politique de libéralisation et de démocratisation de la vie publique, d’abord en son sein, ensuite à l’échelle de la nation, de manière à être le laboratoire d’une démocratie fondée sur le débat d’idées, le choix libre des dirigeants sur la base d’élections pluralistes et le respect des libertés et des droits fondamentaux de l’homme ;
- Promouvoir une société de libéralisme communautaire reposant principalement sur des valeurs de rigueur et de moralisation des comportements, un Etat de droit mais suffisamment fort pour assurer efficacement ses missions, une économie libérale favorisant l’initiative créatrice individuelle et une justice sociale prônant la solidarité et la participation de tous à la création et au bénéfice des richesses nationales.
Ces objectifs ne semblent pas, dans l’ensemble, avoir été systématiquement poursuivis.

L’absence apparente d’une volonté politique ferme de les réaliser, à travers un programme d’action clair dans chacun des domaines considérés, à créé le sentiment désagréable et démobilisant d’un déphasage entre le discours et l’action.

En effet, rien n’a été fait pour réaliser et organiser le Rdpc en parti de rassemblement des sensibilités, ce qui appelait une amnistie générale et inconditionnelle des condamnations et poursuites pour raisons politiques et une structuration de ces sensibilités en tendances en vue d’animer un véritable débat en son sein.
Aucun effort n’a été non plus accompli malgré les études faites à ce sujet, pour permettre au Rdpc d’encadrer et d’animer les militants engagés dans des actions concrètes pour le développement économique, social et culturel.
Par ailleurs, de nombreux militants doivent certainement encore s’interroger sur ce qu’est la société de libéralisme communautaire. En décourageant la tenue d’un colloque sur la mise en oeuvre pratique de celle-ci on a même, dans l’esprit des militants, fait naître le doute que le libéralisme communautaire soit encore le projet de société du Rdpc.

Seul l’objectif de libéralisation et de démocratisation semble, en partie, échapper à ce constat regrettable. Dans ce domaine, en effet, on peut légitimement se féliciter du témoignage de libéralisation de la vie publique que constitue l’éclosion de nombreux journaux privés et la promulgation d’une législation plus respectueuse des libertés publiques et des Droits de l’Homme ainsi que du témoignage de démocratisation que sont les élections à candidatures multiples au sein du Rdpc et dans la nation et la législation sur les associations et les partis politiques qui a rendu effectif le multipartisme.

Toutefois, cette satisfaction devient toute relative dès qu’on prend en compte l’insuffisance de certains aspects des législations ci-dessous évoquées, notamment en matière de liberté d’expression, le fait que la démocratisation aurait acquis une réalité moins formelle et plus concrète si, au sein du parti et de la nation, le débat politique avait pu être animé par des sensibilités reconnues et les élections constituer un choix politique entre elles et, enfin, le fait que l’instauration du multipartisme, au lieu d’être l’aboutissement d’un processus préparé au sein du parti, conformément aux décisions du congrès de Bamenda, se soit réalisée de manière justement “ précipité “ sous la pression de “ l’extérieur “.

Cet état de choses, étonnant pour l’observateur extérieur, s’explique par un certain nombre de faiblesses dans l’organisation et le fonctionnement du Rdpc. Ces faiblesses sont naturellement évoquées, avec plus ou moins de clarté, dans les limites que permet un parti unique, dans les documents rassemblés ici. Je les résumerai succinctement pour faciliter la compréhension des militants, qui se doivent de les connaître, afin d’y remédier éventuellement. Elles sont principalement au nombre de trois.
D’abord, une conception erronée de la séparation de l’Etat et du parti qui a finalement abouti à une marginalisation réduisant celui-ci au rôle peu honorable de sapeur-pompier ou, au mieux, à celui de porte-voix ou de faire-valoir. En effet, la Constitution du Cameroun, qui a toujours reconnu le multipartisme, n’a jamais conféré au parti unique de fait qu’était le Rdpc, le statut d’une institution d’Etat. Il va donc de soi que le parti, association privée, même s’il concourt à l’expression du suffrage, est normalement subordonné à l’Etat, en tant que nation organisée. Le problème est tout autre en ce qui concerne le gouvernement. Celui-ci, quelque soit le système politique, démocratique ou non, multipartiste ou non, est l’instrument par lequel l’Etat, à un moment de l’histoire, met en oeuvre le programme politique des forces qui, par voie d’élection ou par toute autre voie, ont conquis et exercent le pouvoir d’Etat. Il ne peut donc pas y avoir séparation, du moins sur le plan politique, entre le parti au pouvoir et le gouvernement, encore moins primauté du gouvernement sur le parti dont il émane. Le fait que ce problème n’ait pas été posé en des termes justes a conduit à déposséder le Rdpc de son droit de regard, non seulement sur l’initiation et la définition de la politique du gouvernement, mais aussi sur la réalisation de celle-ci.

Ensuite, une absence totale de démocratie interne. Les textes fondamentaux du Rdpc montrent un tel déséquilibre dans la répartition des compétences entre ses organes dirigeants que les décisions peuvent être prises à un seul niveau, sans participation des autres. C’est, en fait, ce qui arrive dans la majorité des cas d’autant plus aisément que les organes dirigeants se réunissent peu, la primauté de l’Etat conduisant à penser que la politique de la nation se définit ailleurs, le parti n’étant appelé qu’à appliquer docilement celle-ci et à s’occuper modestement de l’intendance.

Enfin, un manque de volonté politique qui se serait manifesté dans la réalisation d’un programme d’action dans les domaines politique, économique, social et culturel. Sans doute, a-t-on confondu l’existence d’un projet de société, objectif final poursuivi par un parti, avec un programme qui, étalé dans le temps et l’espace, périodiquement, indique les objectifs concrets d’un parti et les moyens qu’il entend mettre en oeuvre. Ce manque de volonté politique et de programmation de l’action, jumelé aux deux premières faiblesses, a conduit, tant au niveau du parti que du gouvernement, à une action discontinue et peu cohérente. Un des exemples le plus saisissant de ce manque de volonté politique et de ses conséquences dans la conduite des affaires publiques, est précisément la mise en oeuvre de la politique de libéralisation et de démocratisation arrêtée au congrès de Bamenda. Ayant eu le privilège, avant presque tout le monde, de pressentir la nécessité de cette libéralisation et de cette démocratisation, nous avons finalement, pour avoir procédé trop lentement à leur réalisation, donné l’impression de l’avoir fait, contraints et forcés par les événements et les forces extérieures.

Enfin à réfléchir aux réformes nécessaires

Face à ces graves faiblesses, les militants du Rdpc peuvent-ils continuer à croire à leur parti et surtout à croire à sa capacité de jouer, dans le nouveau contexte qui se dessine, un rôle important ? Les raisons de croire et de rester fidèle au Rdpc existent et sont nombreuses. A titre d’exemple : le projet de société du Rdpc, à ce jour, demeure, comparé aux textes connus des nouveaux partis, le plus complet et le plus convainquant par sa globalité, son humanisme et son souci de justice sociale ; le Rdpc initiateur de la libéralisation et de la démocratisation, peut légitimement, en concertation avec les autres forces sociales, continuer l’oeuvre commencée ; le Rdpc est, jusqu’à nouvel avis le parti ayant une implantation véritablement nationale et disposant de structures et de moyens d’action efficaces ; enfin le Rdpc dispose de nombreux cadres politiques et de militants bénéficiant d’une longue expérience de la vie de parti et de l’action politique militante.

Si ces raisons sont suffisantes pour justifier la fidélité au Rdpc, il n’en reste pas moins vrai que celui-ci doit s’il veut continuer à jouer efficacement son rôle dans la nation, subir de profondes réformes. Du reste, le congrès de juin 1990, qui a ouvert la voie à la concurrence, l’avait compris et l’avait demandé. Ces réformes doivent, à mon avis, viser :
- à réorganiser le Rdpc, non seulement pour alléger ses structures en général et rationaliser leur fonctionnement, mais aussi rendre démocratique la prise de décision au sein de ses organes dirigeants, y compris des décisions relatives à la constitution de ceux-ci ;
- à définir les modalités d’une stratégie d’action efficace comprenant notamment un programme d’action cohérent étalé dans le temps et l’espace et la coordination des activités du gouvernement et du parti si celui-ci demeure au pouvoir ;
- à définir les moyens à mettre en oeuvre dans le cadre de cette stratégie pour réaliser le programme du parti et atteindre les objectifs du projet de société de libéralisme communautaire.

Que conclure ? Le Rdpc aurait sans doute évité bon nombre de difficultés qu’il connaît aujourd’hui s’il avait fonctionné de manière plus démocratique et si certaines des suggestions contenues dans les documents rassemblés dans ce livre avaient pu recevoir l’attention qu’elles méritaient. Un an après le congrès de Yaoundé, on peut se demander, les résolutions du congrès tardant à être appliquées, si les dirigeants ont conscience de l’urgente nécessité des réformes évoquées. Mon voeu ardent est que les responsables du moment travaillent dans de meilleures conditions et soient à la hauteur de la tâche que les circonstances nouvelles imposent au Rdpc.

A suivre...

 

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