Le problème Bamiléké: la marque déposée du régime Biya (Quelle: - 04.08.2008)
En 1996, lorsque Charles Ateba Eyene était encore étudiant avec moi à l’université de Yaoundé, il faisait savoir à qui voulait l’entendre que «Les Bamilékés ne paient pas les impôts».

Après la sortie du livret du ministre Jacques Fame Ndongo sur les réalisations du Renouveau dans la province du Sud, lequel visait à contrecarrer les vérités que Charles Ateba Eyene a consignées dans son livre «Les Paradoxes du pays organisateur : Élites productrices ou prédatrices : le cas de la province du Sud-Cameroun à l`ère Biya (1982-2007)», voici que l’hebdomadaire parisien Jeune Afrique (N° 2481 du 27 juillet au 2 août 2008) emboite le pas au bruyant ministre du Sud en prenant le parti du régime Biya.

>>>> La fabrication d’une bourgeoisie Béti

En 1996, lorsque que Charles Ateba Eyene était encore étudiant avec moi à l’université de Yaoundé, il faisait savoir à qui voulait l’entendre que «Les Bamilékés ne paient pas les impôts». Une façon pour lui, militant de la jeunesse du RDPC, de participer au discours idéologique du régime selon lequel le problème du Cameroun, ce sont les Bamilékés, et ainsi soutenir à sa manière l’idée de la création d’une bourgeoisie économique Béti.

La création de cette bourgeoisie Béti avait été au cœur des débats du RDPC et de l’association Essingan lors de la prise du pouvoir de Biya en 1982. Il était alors question de créer de nouveaux riches dans la province du Centre-Sud pour concurrencer les bourgeois Bamilékés. Le développement de la province du Sud (Construction des écoles, des universités, des hôpitaux de références, des autoroutes, etc.) n’était donc pas au cœur de la politique du Renouveau. Si la question du développement du Sud avait été une préoccupation de Paul Biya, il y a longtemps que sa province natale serait un El Dorado, et le prochain président du Cameroun aurait un travail de moins sur sa table.

C’est là la naïveté dont fait montre Charles Ateba Eyené lorsque, devant le constat d’échec des élites prédatrices du Sud, fabriquées de toutes pièces par le régime, il fait croire dans son livre que le président est innocent dans la chute de sa propre province natale (et de tout le Cameroun) et que seules les élites nommées par lui en sont responsables. Ce que Ateba Eyene ignore, ou feint d’ignorer, c’est que le président, qui est par ailleurs, lui-même, une élite du Sud, n’avait jamais nommé cette pléthore de ministres originaires de sa région afin que ceux-ci développent cette province.

Non ! Il les avait nommés et les a toujours nommés afin de répondre à leurs ambitions de devenir aussi riches que les prétendus riches bourgeois Bamilékés. On connaît la suite : détournements des fonds publics, corruption, fermeture des banques, etc. Le mérite d’Ateba Eyene, en tant que bon militant de la jeunesse du RDPC, réside cependant dans la correction de ses propres erreurs du passé et dans un repositionnement qui lui permet de devenir un véritable éclaireur de la société. Il déclare à cet effet : «Au lieu de demander la nomination des ministres et des DG, il faut exiger la construction des routes, des hôpitaux et des écoles. » Cette proposition-conclusion de son ouvrage sonne comme un appel au démontage de l’idéologie première du RDPC. Et la sortie bruyante de Fame Ndongo ne se comprend que par rapport à la peur que ce dernier affiche en face de l’éventualité de la fin de cette idéologie tribale des élites.

>>>> La grave erreur de Jeune Afrique

L’erreur la plus grave que Jeune Afrique ait commise a consisté à présenter, dans son numéro 2481 du 27 juillet au 2 août 2008, les Bamilékés comme un peuple qui doit son succès économique «au président Ahidjo qui, au début des années 1960, encouragea la formation d’une bourgeoisie dans cette communauté en échange de l’abandon des luttes dans le maquis de l’Upc. C’est de cette alliance que les André Sohaing, Joseph Kadji Defosso et autres Victor Fotso tirèrent leur réussite».


Cette affirmation légitime plutôt la thèse de la fabrication des élites bourgeoises Béti soutenue par Jacques Fame Ndongo en renvoyant aux calendes grecques celle de la construction des routes, des universités et des hôpitaux, prônée par Charles Ateba Eyene. En effet, ce que signifie cette affirmation de Jeune Afrique est simple: si c’est le président Ahidjo qui a fabriqué les bourgeois Bamilékés (thèse construite par le RDPC pour asseoir son idéologie), il revient au président Biya de fabriquer, lui aussi, ses propres élites bourgeoises. On n’est pas loin de penser à une connivence entre Jeune Afrique et le pouvoir en place à Yaoundé. Seulement, ce que cette affirmation ne laisse pas voir, c’est que Ahidjo aurait fabriqué sa bourgeoisie dans une ethnie autre que la sienne alors que la fabrication de la bourgeoisie du Renouveau présente des relents de tribalisme.


Toutefois, il convient de mentionner que l’affirmation de Jeune Afrique est erronée. Le président Ahidjo n’a jamais confectionné une bourgeoisie Bamiléké. Il ne pouvait pas œuvrer à l’émergence d’une élite pouvant devenir un contrepoids à son pouvoir exécutif, à moins d’avoir mené sa guerre au pays Bamiléké par pur plaisir. Il avait plutôt une vision nationale dans la gestion des affaires de la république et s’assurait que chaque province participe, selon ses potentialités, à la floraison de son concept de développement autocentré.

>>>>> Les Bamilékés veulent accéder au pouvoir

La trouvaille la plus nonchalante et la plus dangereuse du régime RDPC en 26 ans de règne est celle qui consiste à dire : «Les Bamilékés veulent le pouvoir». Les Bamilékés, tels que présentés ici, ne sont pas un parti politique, mais une ethnie. La question est donc de savoir s’il existe au Cameroun des mécanismes institutionnels permettant à une ethnie d’accéder au pouvoir? La réponse est évidemment non.

Comment les Bamiléké vont-ils donc accéder au pouvoir sans organisation politique reconnue? Est-ce par un coup d’État mystique? Voilà une idée absurde que le RDPC a entretenu pendant 26 ans non seulement pour enfermer les esprits, mais aussi pour développer son arsenal de répression policière et d’exclusion des Bamilékés dans les grandes écoles au moyen de la corruption. La corruption, en effet, est un système savamment mis sur pied par le régime dans le but si non d’éloigner les Bamilékés des secteurs clés de l’administration, du moins de freiner leur évolution. Il se traduit comme suit dans les services publics : «Ekiéee ! Vous les Bamis-là, vous êtes trop chiches. Donne de l’argent, si non tu n’auras rien en retour». Et l’impunité continue sa marche tranquille.

C’est ainsi que les ressortissants de ce groupe sont presque absents de tous les secteurs de prise de décision de l’administration publique et parapublique. On peut, par exemple, compter du bout des doigts les ministres et les DG Bamilékés. Mais le nombre des doigts des deux mains ne suffit pas à dénombrer les ministres et les DG Boulus. Charles Ateba Eyene nous en donne la preuve en ce qui concerne la seule province du Sud qui, avec ses quatre départements et une population estimée à 550.000 habitants sur 17 millions que compte le Cameroun, a eu un total de 22 ministres et 42 directeurs généraux: «Si nous prenons le cas des ministres, le Dja et Lobo qui est le département d’origine du chef de l’État, a eu 10 ministres sur 22, 15 Dg sur 42.

Ça c’est le bon Sud. Le moyen Sud c’est la Mvilla qui compte 8 ministres sur 22. Le mauvais Sud c’est l’Océan qui a deux ministres sur 22, tout comme la vallée du Ntem.» Par ailleurs, la constitution de 1996, ethnocidaire qu’elle est encore aujourd’hui, vise, avec les concepts d’allogènes et d’autochtones, à délimiter le territoire géographique où les Bamilékés devraient désormais évoluer. C’est le texte le plus dangereux qui règle notre existence commune et notre histoire récente: la marque de fabrique d’un embryon d’apartheid en plein Cameroun !


On ne le dira jamais assez, dans un pays démocratique, il revient aux partis politiques − et non aux ethnies − d’accéder au pouvoir et de gérer les affaires de la république. Aux États-Unis, les Noirs, les Hispaniques et les Blancs constituent trois ethnies parmi bien d’autres. Qui pourrait dire là-bas que les Noirs veulent, avec Obama, accéder au pouvoir? C’est le parti démocrate qui veut accéder au pouvoir et c’est le parti républicain qui veut s’y maintenir. Il n’y a aucune ethnie qui veut y parvenir. Bill Clinton a essuyé des critiques et payé les frais de sa déclaration malencontreuse selon laquelle Barack Obama est le candidat des Noirs. Traduction en langage du RDPC : «L’ethnie noire des États-Unis veut accéder au pouvoir». Où sont les Clinton aujourd’hui? Dans les oubliettes, parce que les Américains ne peuvent pas se permettre cette vision tordue de la réalité.


Au demeurant, aucune ethnie ne veut le pouvoir et ne devrait y prétendre au Cameroun. Ce sont le SDF, le RDPC, l’UNDP, L’UDC et tous les autres partis politiques qui sont à la conquête du pouvoir politique. S’il s’avère qu’à l’intérieur d’un parti les ressortissants d’un groupe social ou ethnique soient plus nombreux, il revient aux autres partis de proposer des programmes politiques alléchants pour s’attirer le maximum de militants qui les conduiront vers la victoire lors des élections. Telle est la règle en toute démocratie et la condition pour que le Cameroun ne se retrouve pas hors du chemin de la paix.


Maurice NGUEPE
Institut d`Études Africaines (IÉA), Québec

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Du même auteur:

Le Grand Graissage de Pattes

Le Cameroun aurait pu être un pays de bonheur, puisqu’il est riche en ressources naturelles et ses hommes sont instruits. Pourtant, ce pays africain est en train de pourrir, encore qu’il fait partie des pays les plus corrompus du monde. Voici un exemple palpitant de la puissance de l’avidité et de la gloutonnerie. DIE ZEIT, 17 Mai 2008. Voici le dossier de DIE ZEIT qui donne des insomnies aux divers services de la présidence et du premier ministère au Cameroun.

 
[Ottawa - Canada] - 29-05-2008 (Charlotte Wiedemann)




Le Cameroun aurait pu être un pays de bonheur, puisqu’il est riche en ressources naturelles et ses hommes sont instruits. Pourtant, ce pays africain est en train de pourrir, encore qu’il fait partie des pays les plus corrompus du monde. Voici un exemple palpitant de la puissance de l’avidité et de la gloutonnerie.

DIE ZEIT, 17 Mai 2008 Par Charlotte Wiedemann 

 Traduit de l’allemand par Dr. Maurice NGUEPE


L’homme se tient là avec son billet de banque à la main. Le policier au béret rouge l’envoie d’un signe de la tête vers un collègue, qui lui fait signe de retourner voir le premier. Et ainsi, notre homme au billet de banque court çà et là, son attitude de plus en plus soumise : un solliciteur demandant humblement  de pouvoir corrompre.C’est une pièce de théâtre, une misérable pièce de théâtre que l’on joue des centaines de fois par jour sur les routes du Cameroun. C’est le contrôle de la carte d’identité! Un poste de police stoppe un Minibus, plein de passagers, et il arrive que l’un des passagers n’ait pas sa carte d’identité en poche.

On lui brandit alors une contravention qui relève d’un conte de fées, et le malheureux a à choisir entre celle-ci et son arrestation. Dans ce cas, remettre à la police un petit billet de banque devient la seule issue. Le blocage des routes, les contrôles des cartes d’identité, tout cela ne vise qu’un seul but, et chacun le sait. Les policiers font des manières, négocient, quémandent, mendient et menacent encore un peu. Les autres passagers du Minibus attendent étonnement patiemment en gardant une distance  respectueuse.

Lorsque le billet de banque a disparu dans la poche du pantalon de couleur olive et les passagers se sont de nouveau entassés dans le bus, un grand soulagement jaillit alors parmi eux - comme-ci ils l’avaient échappé belle. Ainsi, il arrive très souvent qu’un même bus soit stoppé trois à quatre fois en une heure par des postes de police. Parfois, lorsque les négociations durent trop longtemps, la solidarité, jusque-là tacite chez les passagers, s’effondre. Certains déclarent alors vouloir continuer le voyage et commencent à se disputer avec le chauffeur. Finalement, tous se mettent à se crier dessus.

Mais personne n’ose s’adresser au policier…La corruption a crée au Cameroun ses us, ses coutumes et ses rites. Elle détermine les sentiments et la psychologie du pays. Ce que les étrangers ressentent comme un pur théâtre, ce ne sont en réalité que des règles, des règles de comportement qui ajustent le quotidien et aident à surmonter la honte et la pudeur. Car, les Camerounais – 17 millions d’âmes avec un bon niveau d’instruction– sont très bien conscients de l’état de leur pays.D’après le baromètre de la corruption présenté par Transparency International, la police camerounaise se range très loin au sommet, comme la plus corrompue de toute l’Afrique. Ce résultat repose sur la prise en charge des victimes du système, et l’enquête se fait à partir du sondage des citoyens.

Un deuxième indice élève le Cameroun au premier rang: près de 80% de la population admet avoir corrompu un agent de l’État ou un fonctionnaire. On n’a jamais vu, dans aucun autre pays du monde, autant de personnes s’accuser. Dans une lettre pastorale plaintive écrite en 2006 le clergé camerounais dénonce la corruption comme étant devenue un « style de vie». Chez Madame et Monsieur Zubou, il y a de petits morceaux de couverture blanche sur le canapé.

Le sol est tapissé. C’est l’appartement d’une famille moyenne en banlieue de Yaoundé, la capitale. Le couple est propriétaire d’une papeterie. Monsieur Zubou, un petit homme mince au regard perçant, pèse ses mots. La grande majorité des Camerounais est-elle victime ou actrice de la corruption? «Probablement les deux», dit-il finalement.Pour obtenir de très grandes réquisitions venant des ministères il est contraint de corrompre les fonctionnaires. De façon arbitraire, les agents d’impôts ont élevé récemment la papeterie au rang de moyenne entreprise. Pour la ramener au rang de petite entreprise, ils avaient besoin d’une «motivation», le mot de code courant.

«À l’hôpital, pas de corruption, pas de lit», se plaint Madame Zubou, «même pas en cas d’urgence!» Il n’y a pas longtemps que son père mourai, dit Monsieur Zubou, «et même à la morgue, il faut corrompre! Sinon ils jettent le mort au sol ou ils volent sa chemise. Ou encore ils ne remettent même pas le corps pour l’enterrement.»La corruption, c’est un abus de pouvoir à des fins personnelles. Telle est la définition la plus brève. Au Cameroun, une maladie en est sortie et a attaqué tous les membres du corps social. Certes, la corruption n’est pas une «maladie africaine» comme on l’entendait autrefois. La société allemande a connu entre-temps, elle aussi, sa propre fébrilité.

 L’avidité et la vénalité sont des maux universels. Mais il existe des causes africaines qui amplifient l’étendue de la corruption et, au Cameroun, on peut en toucher quelques unes des doigts. Ce sont, sur le plan politique, le manque de démocratie et l’absence totale de responsabilité se caractérisant par le refus de rendre compte; sur le plan culturel, l’érosion des valeurs traditionnelles, de toute éthique endogène. L’Allemagne, la France et la Grande Bretagne, comme puissances colonisatrices, ont laissé au Cameroun les traces de leur domination.

«Nous sommes un pays qui étouffe et qui, depuis 25 ans, meurt à petit feu», écrit le journal Le Messager dans un message de vœux empoisonné à l’occasion de l’anniversaire du président Paul Biya, âgé de 75 ans, et depuis un quart de siècle au pouvoir. C’est un petit homme trapu avec une voix enrouée. Il peint ses cheveux en noir et quand il se regarde dans le miroir, il se prend pour l’avenir du Cameroun. En 2011, avec 78 ans, il veut une fois de plus se présenter comme candidat à la présidence, c’est pourquoi il s’empresse à réviser la constitution. Que celle-ci limite le nombre de mandats à deux, c’était déjà le fruit d’une démocratisation apaisée arrachée à Biya dans les années 90.

Au fil des ans, il a échafaudé, au moyen de la corruption, de la répression et de la manipulation des urnes, un puissant appareil de pouvoir difficilement démontable. Bien qu’impopulaire au sein du peuple, le président peut se sentir si assuré qu’il passe une grande partie de l’année à l’Hôtel Intercontinental de Genève. «Là-bas, je peux mieux travailler», dit Biya. Un pays, qui s’étouffe tout doucement, ne fait pas trop de bruits. Le Cameroun est considéré  comme un facteur de stabilité dans la région. Les Etats-Unis d’Amérique viennent de construire à Yaoundé une puissante ambassade à partir d’où ils tiennent à l’œil la production pétrolière de l’Afrique centrale.

La Chine construit, quant à elle, un palais des sports, tout un cadeau qu’elle offre au Cameroun pour faire les affaires. Et la France tend la main au très fidèle Biya. Pendant ce temps, le simple citoyen et la citoyenne − doublement victime − sont exposés, au bas de l’étage social, à la corruption du plus petit fonctionnaire et, à l’étage supérieur, aux  grands agents de l’État et aux ministres qui se servent dans le budget de la nation.Les salaires dans les services publics sont très bas, et cela favorise la corruption. Pendant les quinze dernières années, les fonctionnaires de l’État se sont correctement appauvris.

 D’abord, leurs revenus avaient été réduits de plus de la moitié sous la pression du Fonds Monétaire International. Ensuite, ils avaient perdu plus de la moitié de leur pouvoir d’achat en raison de la dévaluation du franc CFA. Depuis lors, plusieurs douaniers, juges et enseignants se sentent moralement en droit de se faire dédommager auprès de tout concitoyen maniable. Un jeune taximan décrit le comportement d’un policier comme suit: «Lorsque tout est en ordre dans mes papiers, alors il m’engueule. ‹Et puis quoi? Qu’est ce que je vais manger?!› Je lui donne alors de l’argent, car si je ne le fais pas, il va se venger et me préparer plein de malheurs»

Afin que le citoyen puisse, dans la mesure du possible, payer cet argent sale qui permet d’accélérer les choses, la bureaucratie a développé des mécanismes relevant du monde de Kafka. Pour réclamer le paiement d’une facture ou d’un dû, on peut vous demander jusqu’à 58 dossiers administratifs. Et lorsque l’on réussit à donner la «motivation», on peut se considérer heureux. Plusieurs fonctionnaires n’apparaissent au lieu de service que quelques heures par jour. Dans une pâtisserie à proximité de l’université, les étudiants discutent des «tarifs».

Chacune des facultés, qui a un accès aux carrières les plus convoitées, a un «tarif». À l’ENAM, l’École Nationale de Magistrature, le «tarif» est présentement de 3,5 millions de francs CFA, l’équivalent de 5335 Euros. Quiconque veut participer avec succès au concours, met cette somme dans une enveloppe et la transmet à un intermédiaire. Pour les 300 places disponibles, on évalue à 15.000 le nombre de candidats. Mais seules les familles de classe supérieure peuvent financer cette corruption, et ainsi, le régime recrute ses rejetons dans son propre cercle. Ceux qui ne paient pas constituent, d’après les hypothèses des étudiants, 10% des candidats qui ont réussi par leurs propres efforts.Larissa, âgée de 20 ans, étudie la biologie. Elle se sent mal notée. «Quand je suis allée voir mon professeur, il m’a dit: ‹Tja, tu peux donc dormir avec moi›.» Mais elle ne l’a pas fait.

Même la très déterminée Gertrude, qui a une formation en hôtellerie, ne fait pas l’amour avec ceux qui distribuent les jobs, – et c’est pourquoi elle n’en a aucun. Le refus est possible, mais il a son prix. La jeunesse camerounaise grandit dans un monde où chaque règle de jeu peut être entourloupée à tout moment. Déjà, les tout petits apprennent que l’on doit payer une donation aux enseignants «Quand je ne donne rien à l’enseignant, il ne corrige pas les cahiers», révèle désespérément Jean Nze, père de quatre enfants. «Il ne regarde même pas mon enfant une seule fois en classe!».

 Monsieur Nze, un fervent chrétien, entretient sa maison grâce à un restaurant et à la vente des Bibles. Intérieurement, il est écoeuré par la corruption, mais ne peut s’en défaire: «Nous, Africains, avions une culture du partage, la culture de la solidarité. Aujourd’hui, chacun s’agrippe à la sienne propre.»Tous ceux qui se rebellent contre l’état lamentable du pays parlent d’une nouvelle méditation sur les valeurs traditionnelles – ils sont cependant une minorité. Même à leurs yeux, lutter contre la corruption partout où tout pouvoir a émergé grâce à elle, est un devoir à peine surmontable.

Beaucoup de Camerounais donnent l’impression d’observer, avec fatalité et indifférence, leur pays à travers une vitre. En même temps, les plaintes contre la corruption sont devenues la culture populaire. Dans une radio privée, un comédien rappe: «La police est katakata, son comportement est laid, katakata!» Les auditeurs ricanent et se balancent en cadence les uns sur les autres. De son côté, le musicien Lapiro de Mbanga chante: « Ministres, Directeurs, envoyez-les tous à Kondengui!» Kondengui est la prison la plus connue du pays.Le gouvernement camerounais ne parvient plus à nier, comme par le passé, l’étendue de la corruption. D’après les estimations officielles, les pertes dues à la corruption se chiffrent à près de 50% des revenus publics. Entre 1997 et 2004, elles se chiffraient à 3 milliards d’Euros, ce qui n’était vraisemblablement qu’une infime partie de la somme.

 Avec cet argent, le pays aurait pu construire dix mille écoles!Ce n’est que très rarement que s’ouvre le rideau derrière lequel se cachent les grands coupables, à l’exemple de Gérard Ondo Ndong, Directeur général du Fonds Spécial d’Équipement et d’Intervention Intercommunale (le Feicom) étant supposé de s’occuper justement de ces communes qui attendent ardemment d’asphalter un morceau de route. Ondo Ndong et ses complices ont réussi à mettre, à eux seuls, 10 millions d’euros de côté, en feignant de faire des voyages d’affaires et en prétendant expliquer aux conseils communaux comment ceux-ci pourront solliciter des fonds. En 2007, le directeur général, Ondo Ndong, fut condamné à 50 ans de prison.

Cette sentence paraît spectaculaire, pourtant le verdict n’a déclenché dans la caste des coupables qu’une inquiétude incroyablement mineure. Ondo Ndong n’était-il pas simplement un bouc émissaire dont le sacrifice visait à impressionner la communauté internationale?Le Cameroun compte parmi ces pays pauvres très endettés dont on annule la dette lorsque le gouvernement se sent obligé de lutter contre la pauvreté et d’aspirer à la bonne gouvernance. Cela crée une certaine pression de l’extérieur. Effectivement, il y a trois ans, le premier ministre Ephraim Inoni avait, au début de son entrée en fonction, fait des visites surprises dans les services, congédié les suspects et saisi les limousines de luxe.

Avec cette volonté d’action, il s’est retrouvé très vite isolé entre un président de la république indifférent et une fraction de cabinet composée de 43 ministres gloutons.Dans d’autres pays africains, les gouvernements ont fait de la lutte contre la corruption une priorité. Il n’y a pas longtemps le Nigeria, grand voisin du Cameroun, est allé par un acte démonstratif jusqu’à geler les contrats avec Siemens en raison de la persistance de la pratique de la corruption dans cette entreprise. De son côté, le gouvernement camerounais ne se comporte que de façon tactique vis-à-vis du fléau du pays, sans passion aucune.

Deux ans après la création par décret de la « Commission nationale de lutte contre la corruption », le citoyen ne la voit pas toujours: aucun bureau, aucune affiche sur une porte, aucun numéro de téléphone. Paul Tessa, son président, vit tranquillement entre les arbres fruitiers en plastique à l’intérieur d’une imprimerie d’État. L’homme, qui doit chasser les grands cadres, porte, comme eux, la médaille rouge des fonctionnaires les plus méritants. Paul Tessa, haut fonctionnaire d’État pendant 43 ans, a été même Secrétaire général à la présidence. Aujourd’hui, il est assis en dessous d’une photo de son vieil ami Biya, et il déclare naïvement: «Nous sommes indépendants». Sa commission nationale de lutte contre la corruption n’a toujours pas commencé le travail.

 «Où sont les milliards volés, Monsieur Tessa?» Il regarde, surpris, comme s’il ne s’est jamais lui-même posé la question. Et il répond de façon hésitante: «Je pense, à l’étranger?»La passion et l’engagement se trouvent ailleurs, notamment là où les jeunes Camerounais commencent, par le bas, à organiser la lutte contre la corruption. Binla Sylvanus est un jeune juriste,  spécialiste en droit public, disons mieux, spécialiste en injustice cachée.  Son bureau est situé près de la conférence épiscopale nationale. Sur sa table de travail rayonne une Bible rouge sur un ramas de papiers. «La religion sert à libérer les hommes », dit-il, « même des pires régimes politiques.

Chez nous, personne ne peut oser accuser le gouvernement. Mais l’église le peut.» Sylvanus est le coordinateur de Dynamique Citoyenne, un réseau de 200 groupes sociaux allant de l’Union Culturelle Islamique à la jeunesse des campagnes. Ces groupes font quelque chose de totalement nouveau, notamment la recherche fondamentale contre la corruption, ce qui s’appelle dans le jargon professionnel le Monitoring Indépendant. Sylvanus explique cela comme suit: «Sur les papiers, il est mentionné que les salles de classe ont été construites. Alors nous allons voir sur le terrain si ces classes sont effectivement là. Très souvent, elles ne sont pas là. » Même pas les bancs et les nouvelles toilettes.

L’argent a disparu dans l’eau, entre le ministère de l’éducation et les entreprises de construction. Parfois, les directeurs d’écoles sont complices.Soutenus par l’aide au développement, y compris par l’aide allemande, 13 équipes de Dynamique Citoyenne ont supervisé 156 écoles et documenté, au détail près, le vol organisé avec les noms des entreprises – ce sont d’excellentes preuves à conviction pour un procureur, mais rien ne bouge. Le gouvernement reste silencieux. Un journaliste, qui publia des extraits du rapport, fut arrêté avant de subir un interrogatoire sous fond d’intimidation. Dévoiler les noms et les traces de la grande corruption est très risqué, comme le fait savoir Sylvanus: «Si une faute s’échappe de nos mains, alors nous atterrissons tous en prison pour diffamation.» -                                                              

*LA RICHESSE VERTE

C’est la saison sèche, l’air a la couleur jaune olive. La route, qui va de la capitale Yaoundé vers le sud en direction du Gabon, est devenue une piste de sable rouge entourée des deux côtés par la forêt tropicale. Un nuage de poussière frappe notre bus à une vitesse effroyable. Ce n’est qu’au tout dernier moment que nous apercevons, à l’intérieur du nuage, une semi-remorque chargée d’énormes essences forestières: la richesse verte du Cameroun. Les deux tiers du pays sont couverts de forêt, de la forêt vierge sur des centaines de kilomètres.

Pourtant, cette richesse est bradée. Les grands troncs d’arbre tombent et le peuple n’en reçoit rien. C’est dans la forêt vierge que la corruption montre son visage le plus laid.Quiconque veut exploiter la forêt a besoin d’une autorisation. Grand nombre de fonctionnaires du ministère de l’environnement et des forêts attribuent des licences en échange de la corruption. Il n’y a pas longtemps, un directeur du ministère a dévoilé, dans une lettre anonyme, que dans son département ministériel, tout avait aussi des «tarifs». Mais là, les Camerounais ne sont plus entre eux.

Car les grands exploitants forestiers, ce sont les firmes venant de France, de Belgique, d’Italie, de Suisse et, de plus en plus de Chine. Toute personne faisant les affaires dans le domaine du bois doit corrompre – que ce soit pour son exploitation légale ou illégale. L’ONG britannique Global Witness a évalué le coût de l’exploitation illégale à 300 millions d’euros par an. Point besoin de préciser que les cargaisons de bois prennent la route de l’Europe.De la fenêtre du bus, on perçoit une plaque avec l’inscription: «Lutte contre la pauvreté et la corruption». On est alors arrivé dans la province natale du président Biya. Son parti affiche ces panneaux dans les villages pour sa propre propagande – comme si le voleur criait: «Arrêtez le voleur»! Il y a quelques jours, un reporter du journal Le Front a appris à ses dépens ce que signifie chercher les traces de la corruption dans la province du président.

Le Front s’est donné pour devoir de chercher sur place les preuves irréfutables des biens mal acquis et, dans le cas présent, les preuves au sujet d’une luxurieuse villa de l’ex-ministre des finances, Polycarpe Abah Abah. Chaque Camerounais connaît ce nom. Abah Abah est le synonyme de l’enrichissement illicite, un homme aux lunettes sans rebords et aux traits du visage endurcis, connu du public comme un «bandit».

À peine le journaliste, accompagné d’un stagiaire, s’était-il approché de la propriété en pleine forêt (celle-là qu’il soupçonnait) qu’un garde se jeta sur lui, le menaçant de le lyncher avec des matraques et des gourdins. Le reporter publia de façon détaillée dans son journal, tout ce qui se passa après: il fut déporté par les forces de sécurité qui le transportèrent pendant 72 heures d’une brigade de gendarmerie à l’autre, menotté aux mains et bandé aux yeux, sans contact avec le monde extérieur.

Ce maltraité s’appelle Jean-Bosco Talla. Son nom est mentionné ici, parce qu’il a besoin, comme tous les autres journalistes courageux du Cameroun, de la protection de l’attention internationale. Abah Abah, le bandit, lui, a porté plainte contre Jean-Bosco Talla pour tentative de vol.Arrivée en plein centre de la région forestière: Djoum, une petite ville d’abattage d’arbres. À chaque foule d’hommes, une quantité correspondante de bières. Ce qui frappe au centre de la ville, c’est une construction en ruine qui, en réalité, devait être le nouvel hôtel de ville. Mais le maire a préféré mettre le reste d’argent dans sa propre poche.

Certes, il n’a pas été réélu, toujours est-il que l’histoire s’est arrêtée là. La justice des lieux ne touche pas à l’homme politique, car celui-ci est membre du parti de Paul Biya.Maintenant, voici les circonstances dans lesquelles un cas extraordinairement litigieux est né: la plainte de sept villageois contre une firme française devant la justice française pour exploitation illégale des forêts, corruption, faux et usage de faux. Une case simple est visible au bord d’une piste rouge et appartient à Jules Nnanna. Dans la salle à manger, il n’y a rien de moins qu’un téléviseur devant lequel est entassée une foule d’enfants fascinés par une araignée horrible.

Le père nous raconte son histoire d’où il ressort que le réseau de la corruption est d’un autre genre. Depuis neuf ans, il lutte pour obtenir un dédommagement. Il y a neuf ans en effet, la firme Rougier, une entreprise forestière française, avait détruit sa plantation de cacao, en creusant une piste illégale dans ses champs et dans ceux de six autres paysans.Un adversaire puissant: L’entrée du quartier général de la firme est à un pas du domicile de Nnanna. Rougier est, au Sud Cameroun, la plus grande firme forestière privée. Connue sous le nom de filiale SFID, elle agit comme un État dans l’État. Elle a rendu l’administration corrompue malléable grâce à un réseau de privilèges qu’on ne cache plus.

 Les fonctionnaires de la zone reçoivent gratuitement de l’essence et Rougier entretient leurs voitures. Les autochtones disent que Rougier agit d’après la devise suivante: Nous vous payons pour le fait que vous nous contrôlez.«Tout le monde prend de l’argent », dit Jules Nnanna, « le préfet, le sous-préfet, le commissaire de police. Il n’y a que nous, petits villageois, pour affronter cette firme.» À l’époque, il paya un expert ; il l’appelle «un expert de la firme». Celui-ci évalua finalement la valeur des plantations détruites, presque toute la propriété de Nnanna, à 550 euros. Les sept sinistrés saisirent la justice camerounaise et celle-ci rendit le verdict en faveur de Rougier, sans écouter les paysans. Les sept portèrent alors l’affaire, avec l’aide de l’ONG Les Amis de la Terre, devant la justice française. En 2004, celle-ci se déclara incompétente.

Les Africains n’avaient pas prouvé que chez eux le chemin de la justice était bloqué. Maintenant, l’attention est portée vers la Cour Européenne des Droits de l’Homme: «J’espère toujours », dit Nnanna, « que l’Europe nous aidera à rentrer dans nos droits.» Nnanna est un homme aimable et un peu naïf. Au-dessus de son téléviseur est accrochée une affiche abîmée qui montre Paul Biya et un lion. Il y est écrit: Mon président. Et Nnanna croit que Biya n’a aucune connaissance de tout le mal qui se joue dans son pays. Une petite histoire venant du Sud Cameroun – est-ce un hasard qu’elle commença en 1999? Cette année-là, une convention des pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OECD) entra en vigueur.

Depuis lors, la corruption est un délit, même pour les hommes d’affaires européens exerçant à l’étranger. À l’occasion des conférences internationales, on entend dire que le niveau de moralité a augmenté. Seulement, ce n’est pas dans les salles de conférence que l’on trouve la vérité, mais bien plus sur les pistes rouges et dans les nuages de poussière des semi-remorques. Peut-être trouvons-nous aussi un peu de vérité chez nous autres, consommateurs européens. Notre convoitise pour les meubles moins cher faits à base de bois tropicaux fait tourner la roue de la corruption dans la forêt vierge. À la question de savoir pourquoi les sept planteurs de cacao n’ont jusqu’ici reçu aucun centime de dédommagement, la firme nous écrit que Rougier s’est donné le devoir de créer une «foresterie durable.».

La lettre nous vient des Champs-Élysées. Rougier, c’est la tradition de l’économie au coeur de l’Europe. Autrefois fabricant des boîtes de fromage, Rougier contrôle aujourd’hui les concessions d’abattage du bois au Cameroun sur une superficie d’un demi million d’hectares. En Afrique centrale, ce sont au total deux millions d’hectares que contrôle cette firme. Voilà, c’est la Françafrique.

Le dernier épisode au Sud Cameroun traite du cas d’un Sergent-chef et de son honneur perdu. Notre Sergent-chef est de retour d’une mission avec son chauffeur. Dans sa voiture de marque Land Cruiser, il y a encore de la place. L’Officier fait alors de petites affaires en vendant les places de la voiture de service de l’armée à des passagers pour les six heures du trajet qui les mène à la capitale. Nous faisons partie de ces passagers et nous avons payé les frais de transport à un intermédiaire, raison pour laquelle nous avons été envoyés à un carrefour éloigné pour attendre clandestinement la voiture. À peine sommes-nous tous montés à bord que l’on nous force à descendre.

Le motif: le Sergent-chef s’en va mettre de l’essence dans le site de la firme de Rougier. Ses passagers doivent donc attendre devant la barrière. Lorsque notre chef arrive une heure plus tard, il est de bonne humeur et brandit un Whisky dans un sachet Tetrapak. Le Sergent-chef ne se gêne pas. Il sait: une journaliste est dans son car. Il lui tapote l’épaule et lui promet un voyage sûr. Puis, actionnant les feux de détresse, nous fendons la piste rouge à la vitesse VIP. C’est la nuit, et le Sergent-chef a besoin de nouveaux passagers. Cette fois-ci, il n’y a plus d’intermédiaire. Alors, il les cherche tout seul aux abords du village. Il en trouve un. Celui-ci monte dans le car en tendant à l’officier le billet de banque sans le regarder. -                                                                                                                                       *L’ADVERSAIRE

« La corruption pourrait cesser d’un jour à l’autre grâce à une nouvelle politique radicale venant d’en haut. » Adamou Ndam Njoya a été par deux fois candidat de l’opposition à la présidence. L’homme de 65 ans est connu pour son concept rigoureux d’éthique politique orienté vers le rendement et le mérite. Dans un entretien avec lui dans sa résidence, entre les objets d’art de l’Afrique moderne et les calligraphies tissées, il paraît doux et modeste.Ndam Njoya est à la fois prince musulman, diplomate, juriste, écrivain et Imam. Il a travaillé pour l’Unesco et avec l’archevêque anglican Desmond Tutu. Pendant les années de braise (1990/91), lorsque le Cameroun se souleva contre le monopartisme de Paul Biya, il négocia avec ce dernier une réforme de la constitution.

Plus tard, Ndam Njoya fonda son propre parti, celui-là avec lequel il gouverne aujourd’hui sa ville natale Foumban.Mais Ndam Njoya devint une légende plus tôt, quand il fut ministre de l’éducation il y a 30 ans. Les familles riches trouvèrent déjà normal à l’époque d’acheter de bonnes notes à leurs enfants. Ndam Njoya se mit en travers de cette pratique. Lorsque, une année, l´examen du baccalauréat était si difficile que de nombreux enfants des élites, y compris le fils du président de la république, échouèrent, tout l’appareil de l’État le mit sous pression afin qu’il fasse reprendre l’examen. Ndam Njoya refusa et fut relevé de ses fonctions. 

Quiconque obtenait un diplôme en son temps l’appelait «le diplôme Ndam Njoya» pour souligner le fait qu’il ne l’a pas acheté.Le nom de Njoya réveille aussi chez les Camerounais un souvenir tout autre. Le roi Njoya était une personnalité importante de l’histoire au tournant du 19ème au 20ème siècle. C’était un homme qui n’avait aucun complexe d’infériorité vis-à-vis des Européens et de leurs inventions. Il créa sa propre écriture, fonda des écoles et rédigea même une synthèse de la Bible et du Coran. Par ailleurs, il put s’arranger avec les conquistadors allemands, mais les français le détrônèrent en 1924. Pourquoi faire ce rappel?

Parce que le sultanat de Foumban est, aujourd’hui encore, un champ d’expérimentation, peut-être même un laboratoire pour quelque chose de nouveau. Ici, l’opposition règne.Il est vendredi midi, l’heure d’un rituel hebdomadaire: le sultan de Foumban, un grand homme au ventre imposant, va de son palais vers la mosquée, comme un simple croyant. Ses chevaliers tiennent des plumeaux avec lesquels ils l’éventeront plus tard. Cachés qu’ils sont dans leurs tenues d’apparat, les gardes de corps tiennent les armes abaissées, et les trompettes restent silencieuses.

Une heure plus tard, il retourne comme un véritable roi avec, cette fois-ci, une garde qui jubile et une ruée de cavaliers. Les commerçantes exécutent des mélodies de joie et les notables, qui rendent leurs services au roi, s’inclinent. Pourtant, l’image de l’harmonie traditionnelle est une duperie. Car ces commerçantes chanteuses se comptent au bout des doigts. Le peuple se fait rare, le sultan étant impopulaire du fait qu’il est un haut cadre du régime.À cinq minutes de marche du palais du sultan, Adamou Ndam Njoya tient un rassemblement au même moment dans une simple salle au toit en tôles ondulées. Ici aussi, on a prié.

C’est alors que le maire donne le compte rendu de ses entretiens dans la capitale. Devant lui sont debout et assis quelques centaines de personnes qui écoutent attentivement pendant que leurs visages laissent transparaître un grand sérieux.En 1996, à l’occasion des premières élections municipales, Ndam Njoya avait battu le sultan au poste de maire – un processus périlleux. Pour la première fois dans l’histoire de Foumban, le peuple se distança de son souverain traditionnel, une sorte de père. Le fait que Ndam Njoya lui-même soit un prince, c’est-à-dire un membre de la famille du sultan, ne facilita pas les choses. L’an dernier, il gagna de nouveau contre un autre cadre du parti au pouvoir, cette fois-ci contre un vice-ministre des finances. Sa victoire électorale brisa un moment l’omnipotence de la corruption.

Le parti au pouvoir avait distribué beaucoup d’argent, mais les Foumbanais ne se laissèrent pas acheter. Aujourd’hui, les Foumbanais paient leur option politique par l’état délabré de leurs routes. Le gouvernement de Yaoundé bloque le développement de la commune partout où il peut. Les jeunes gens ont de la difficulté à accéder aux services publics de l’État – Les Foumbanais sont considérés comme infidèles; ils ne font plus partie de la chair du système corrompu. Dans son parti, l’Union Démocratique du Cameroun (UDC), Ndam Njoya est vénéré comme un gourou. La réunion d’une groupe de sa circonscription se déroule tout à fait selon ses principes: serrée, disciplinée et interreligieuse.

D’abord l’hymne national, puis la prière d’un chrétien et enfin celle d’un musulman. Quiconque a quelque chose à dire, se lève. Aicha Jiha Tankua, une conseillère municipale habillée de rouge brillant, évoque avec verve la «nouvelle éthique» du président de l’UDC: «Nous ne voulons plus être corrompus. Nous voulons être jugés d’après notre travail et nos performances.»Quelques critiques reprochent à Ndam Njoya d’être trop européen, tout simplement parce qu’il insiste sur la responsabilité de l’individu. Pourtant, le mot clé «responsabiliser» signifie pour lui réveiller la prise de conscience de la responsabilité chez l’individu.

Ce terme signifie aussi d’essayer de réanimer les vertus africaines qui ont été renversées: «Nous avons besoin de respect pour nos biens collectifs», dit-il. « Auparavant, chacun apportait une pierre lorsqu’on construisait un puit. Nous avons perdu cette culture et c’est là une partie de notre déracinement culturel. Nous avons perdu notre âme.» Et puis, une autre phrase que l’on ne peut comprendre qu’en référence à l’expérience de l’époque coloniale: «Les gens doivent commencer à comprendre aujourd’hui qu’ils ne sont pas étrangers chez eux-mêmes.» -                                                           

*LA COLERE DES JEUNES

L’explosion s’annonce anodinement par des petites annonces sur une grève imminente des chauffeurs de taxis dans la ville de Douala. Douala, située à proximité de l’océan Atlantique, est la métropole économique du Cameroun, et, en même temps, une métropole du mécontentement. Des armées de jeunes gens bien instruits et sans travail, dont plusieurs sont chauffeurs de mototaxis – au total 42.000 conducteurs de mototaxis, une véritable armée de frustrés.

La grève, essentiellement orientée contre la flambée des prix de carburant, se transforme en l’espace de quelques heures en une émeute dans toutes les grandes villes et paralyse les infrastructures de tout le pays. Le soulèvement social se mêle et se mue de façon diffuse en une opposition politique contre la modification de la constitution grâce à laquelle Biya veut prolonger son mandat. La colère de la jeune génération, à défaut de s’étouffer dans le fatalisme, s’amplifie. Les barricades brûlent dans les rues. Les stations d’essence et les bâtiments administratifs volent en fumée, et les pillages suivent. L’armée se déploie. Le Cameroun retient son souffle – et, soudain, montre un autre visage: comme personne n’est plus indifférent, on parle de politique partout.

Où est Biya?  À l’étranger, comme d`habitude ? Personne ne le sait. Les jeunes révoltés exigent que le président les écoute, qu’il leur parle. À la fin de la troisième journée des émeutes, Biya parle enfin. Le Cameroun tout entier est assis devant le petit écran. Le vieil homme à la voix enrouée ne parle que cinq minutes. Il offense les jeunes, les appelle des bandes, des délinquants, des apprentis sorciers. À la fin, il déclare: «Le Cameroun est un État de droit et entend bien le rester.»Quelques minutes après le discours, les barricades brûlent de nouveau. Quelques instants plus tard, les corps de jeunes gens gisent sur les routes. L’armée tire désormais à bout portant. Pendant la nuit, la pluie martèle sur les toits.

La saison des pluies commence prématurément, comme si, devant la colère, le ciel ne pouvait pas s’en tenir à lui-même. «Le père»: Bien que Biya soit impopulaire, on l’appelle au Cameroun le père. Mais il n’a pas parlé comme un père. L’expression «déclaration de guerre» va de bouche en bouche: «Biya a déclaré la guerre à sa nation.» Les manifestants écrivent cette phrase sur des pancartes et les brandissent.Les jeunes n’ont pas de leader, pas de plan, pas de porte-parole. Il y a longtemps que les syndicats des transporteurs ont déclaré la fin de la grève – parce qu’ils ont été corrompus, disent les jeunes. Ils ne font confiance à personne. Ils ne font pas non plus confiance aux médias.

Ils sont le produit d’une société où les règles de jeu sont achetables.Il existe un seul homme que les jeunes écoutent pour le moins: Mboua Massok, un vétéran de la rébellion. L’homme de 53 ans fait figure de père des villes mortes. C’était la forme de combat pendant les années du déclenchement de la démocratie 1990/91. Pendant neuf mois, le Cameroun se figea continuellement dans une grève générale. À l’époque, les actions étaient calculées pour contraindre le régime Biya au dialogue.

Aujourd’hui, Massok est effrayé par la violence incontrôlée que la frustration a engendrée.Il reçoit au jardin de sa résidence qu’il nomme «Pavillon du devoir national». «Se battre pour la démocratie, dit-il, est le devoir d’un patriote.». Pour cela, il assume les arrestations. Massok est la terreur des bourgeois camerounais, un agitateur, un panafricaniste radical qui, constamment, répond pathétiquement au téléphone par «le combattant».

Mais l’homme des chaînes aux noix de palme au cou a quelque chose d’authentique, de rigoureux; on ressent sa force intérieure, sa passion. Il parle sans fioriture et sans peur comme le ferait à peine un leader de l’opposition. «Biya est le coeur de la corruption. Il vole l’argent à notre jeunesse pour le dépenser dans les hôtels en Suisse. Biya doit partir, immédiatement.» Massok craint que, dans ce Cameroun multiethnique, la rage contre l’escroquerie et la corruption ne s’éclate en violence intertribale comme au Kenya. Dans une communication, il en appelle à un combat «fraternel» pour la chute du régime: «Une infime minorité, composée de toutes les ethnies, s’est approprié plus de 95% de notre richesse.

Il y a seulement deux tribus au Cameroun, la tribu des riches et celle des masses paupérisées.»Le rebelle porte à son bras gauche une bande rouge, le signal de la dissidence qui doit devenir le signal de masse du mouvement contre Paul Biya. «Bientôt tous le porteront ici», dit Massok avec la conviction vibrante du combattant.La révolte des jeunes diminua le jour suivant et fut de nouveau engloutie par les dures réalités du quotidien. Plus tard, Biya, le mauvais père, fit au peuple quelques concessions.

 Le riz devint moins cher, de même que le blé, et deux ministres corrompus furent arrêtés. Mais une image des jours d’émeutes est restée indélébile: c’est le souvenir de la colère avec laquelle les jeunes ont démoli les kiosques de la loterie du PMUC. Le PMUC, c’est le capital franco-camerounais. Ces kiosques étaient devenus le symbole de escroquerie. Une escroquerie touchant même aux rêves.

© Charlotte Wiedemann 2008 

Das große Schmieren
 
Von Charlotte Wiedemann | © DIE ZEIT, 17.04.2008 Nr. 17

*Dr. Maurice Nguepe, germaniste et anthropologue, né à Dschang au Cameroun, est le directeur de l’Institut d’Études Africaines au Québec.


Note de la Rédaction  de WWW.ICICEMAC.COM

 Alors que les autorités camerounaises croyaient que ce texte allait passer inaperçu parce qu’il avait été publié en allemand,  votre site a entrepris la traduction en français de ce dossier du journal DIE ZEIT. A la publication de cette traduction sur notre site, des informations dignes de foi nous sommes parvenues selon lesquelles  il a été demandé aux  services de traduction de la présidence et du premier ministère d’entreprendre une nouvelle traduction. Pourquoi faire ! Parce que les vérités du texte original en allemand dérangeraient le pouvoir en place à Yaoundé. Surtout un dossier provenant d’un journal de réputations comme  DIE ZEIT.





 



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