Instituteur, syndicaliste, tribun, homme politique, Ruben Um Nyobè fut le porte-parole des masses camerounaises et porta les revendications d´indépendance jusqu´à l´ONU. Ce combat lui coûta la vie lorsqu´il mourut assassiné le 13 septembre 1958
Par Paul Yange
Ruben Um Nyobè est né aux alentours de l’année 1913 à Song Mpèk, un village situé près de Boumnyébel, au cœur du pays bassa, dans le département de la Sanaga Maritime au Cameroun. Il est issu d’une famille modeste. Son père, Nyobè Nsounga, et sa mère, Ngo Um Nonos, sont cultivateurs. Ruben Um Nyobè grandit dans son village où il subit d’abord l’influence de l’éducation traditionnelle (son père est aussi grand prêtre des sociétés initiatiques Basaa), puis de l’éducation chrétienne, puisqu’il fait de bonnes études primaires (pendant une dizaine d’années) chez les missionnaires protestants, avant d’être reçu en 1931 au concours de l’école normale de Foulassi, près de Sangmelima dans le sud du Cameroun.
Mais il en est renvoyé en 1932 pour indiscipline raison d’un conflit avec les enseignants de la mission presbytérienne américaine. Il se présente néanmoins en candidat libre à l’examen de "moniteur indigène", est admis, et commence une carrière d’enseignant. Puis en 1935, il commence à travailler comme employé au sein de l’administration des finances à Douala, mais continue parallèlement ses études et obtient en 1939 le baccalauréat première partie.
Peu de mouvements révolutionnaires africains auront eu un chef de sa valeur - Georges Chaffard
Syndicalisme, politique et naissance de l´UPC, parti de Um Nyobè
Il trouve cette année là un emploi de commis greffier au tribunal de Yaoundé, puis est affecté à Edéa, où il passe deux années avant d’être affecté en 1947 le Nord (Maroua, Ngaoundéré). En juin 1949, placé en position de disponibilité renouvelable, il se consacre à plein temps à l’activité syndicale.
Um s’est initié au syndicalisme sous l’égide de deux fonctionnaires français appartenant à la CGT (Confédération Générale du Travail), MM Donnat et Soulier, en compagnie de Charles Assalé (futur premier ministre du Cameroun oriental) et Jacques Ngom, futur secrétaire de la CGT camerounaise. Dans un premier temps au sein de la JEUCAFRA (Jeunesse Camerounaise Française, créée en 1939, puis au sein du RACAM (Rassemblement Camerounais) en 1947, un mouvement qui a pour but de « travailler à la constitution future de l’Etat camerounais »). Les jeunes camerounais vont à tour de rôle à Paris suivre un stage de perfectionnement auprès de la centrale ouvrière française. Um Nyobè se fait remarquer par son ardeur et sa compétence et est élu premier secrétaire de la CGT camerounaise.
A la différence de Fanon, Nkrumah, Nyerere, cet homme venu du village n’est pas allé dans les universités occidentales. Mais il est sorti des meilleurs lieux de formation que lui offrait à l’époque, son pays - Achille Mbembe
Il vient à la politique via le syndicalisme. Dans son enfance, il a été témoin de crimes coloniaux qui l’ont marqué tels que la mobilisation et de la réquisition des populations, les travaux forcés auxquels étaient soumis les adultes, bref des aspects sombres de la présence coloniale au Cameroun. Ce sont autant de facteurs qui contribuent également à accentuer son désir d’entrer en politique. Um écrira plus tard : "la colonisation, c’est l’esclavage ; c’est l’asservissement des peuples par un groupe d’individus dont le rôle consiste à exploiter les richesses et les hommes des peuples asservis".
La branche camerounaise du Rassemblement Démocratique Africain d´Houphouët
En 1946, suite aux principes énoncés lors de la conférence de Brazzaville, le Cameroun peut élire deux députés à l’assemblée nationale française. Ce seront le Docteur Louis-Paul Aujoulat, et le prince Alexandre Douala Manga Bell. Mais pour les militants de la CGT camerounaise, ces deux individus (un blanc « étranger » et un « aristocrate camerounais occidentalisé » ne sont guère représentatifs du peuple). Um qui est officiellement membre de la CGT depuis 1947 entend transformer le nationalisme diffus en structure organisée.
En tant que secrétaire général de l’USCC (Union des Syndicats Confédérés du Cameroun) il se rend à Abidjan, en 1947 au premier congrès du RDA (Rassemblement Démocratique Africain), un parti interterritorial en Afrique francophone, créé en 1946 dans le but de rassembler les hommes politiques africains de tout bord et mieux faire entendre leur voix. Le RDA a pour leader Félix Houphouët Boigny. Le 10 avril 1948 à Douala est créée l’UPC (Union des Populations du Cameroun), dirigé quelques temps par Leonard Bouli, avant que Um Nyobè n’en soit élu secrétaire général. Les symboles de l’UPC seront un drapeau rouge sur lequel est dessiné un crabe noir. Le rouge fait référence aux patriotes qui ont versé leur sang pour une cause juste, le crabe fait référence à la réunion exigée par l’UPC du "Kamerun" (écrit avec un K), divisé par la colonisation. Le Noir symbolise la couleur de l’Afrique Noire, continent où vit la population du Cameroun.
François Mitterrand facilita le rapprochement entre Houphouët-Boigny et le gouvernement français
Dès le début, l’UPC inscrit dans ses objectifs la constitution de la nation camerounaise et la levée de la tutelle exercée par la France sur le Cameroun (le Cameroun est alors un territoire sous mandat dont la tutelle a été confiée à la France par les Nations-Unies). Le parti devient la branche camerounaise du RDA. Um Nyobè deviendra un des vice-présidents du RDA en 1949.
Mais à la différence du RDA qui finit par choisir de coopérer avec l’administration, l’UPC si l’on peut dire se « radicalise », et refuse de suivre la voie du parti d’Houphouët Boigny et ses amis qu’il considère comme des "traîtres". Um exerce une ascendance au sein du parti grâce à ses capacités de leadership, son sens du débat, sa maîtrise de l’art oratoire, son courage. "Peu de mouvements révolutionnaires africains auront eu un chef de sa valeur" écrira Georges Chaffard dans le tome II des "Les carnets secrets de la décolonisation". Sous sa houlette, l’UPC se positionne en faveur de l’indépendance immédiate, de la réunification avec le Cameroun britannique, et la renaissance culturelle du Cameroun.
Intelligent, cherche à acquérir par lui même une culture supérieure (...) élément dangereux, sort très peu, mène une vie retirée - Les services de renseignement à propos d´Um Nyobè
Um Nyobè se rend à l´ONU trois années de suite pour plaider l´indépendance du Cameroun
Personnalité marquante, Ruben Um Nyobè a été repéré très tôt par les services de sécurité et de renseignement. On peut ainsi lire dans une fiche dressée sur lui en 1947, à une époque où il est encore peu connu les commentaires suivants :
"Intelligent, il cherche à acquérir par lui-même une culture supérieure...Depuis les dix-huit derniers mois, il a consacré toute son activité à créer de nombreux syndicats réunis en Union régionale, dont il est le secrétaire général...Est l’un des membres les plus actifs du mouvement démocratique camerounais, bien que ne paraissant pas lui-même...Elément dangereux. Sort très peu, mène une vie retirée, ayant un noyau d’amis très restreint"
Ce parti "nationaliste" ne plaît guère à l’administration française qui décide d’en encourager d’autres. La stratégie de Soucadaux souligne Georges Chaffard (1) est parfaitement résumée par une directive donnée par un chef de région, Mr Humbert, à ses subordonnés :
"La meilleure action que nous puissions avoir, c’est de susciter des oppositions africaines et de rendre la vie impossible aux meneurs upécistes en leur opposant des Africains décidés et énergiques".
Parallèlement, Um a aussi entamé des démarches auprès de l’ONU où des pétitions en provenance du Cameroun ont été déposées. Une mission des Nations-Unies s’est rendue au Cameroun pour observer la situation sur place. Um se rend lui à plusieurs reprises à New-York où il témoignera en 1952, 1953 et 1954 devant la quatrième commission des Nations-Unies. Il réclame dans ses revendications à l’ONU la réunification et l’indépendance du Cameroun. Des camerounais de tendances diverses se rendent aussi à l’ONU, où ils défendent des thèses différentes des siennes, contestant notamment sa revendication d’indépendance.
La popularité de l’UPC est telle que le voyage de Um Nyobè en 1952 est financé grâce à une souscription publique. "Paris Match" écrit à l’époque :
"Um Nyobè, leader de l’Union populiste du Cameroun est attendu à New-York où la commission de tutelle présidée par son frère de race, Ralph Bunche l’admettra au débat sur le mandat, en accusateur des puissances mandataires".
Pour l’ensemble de la jeunesse camerounaise "évoluée", Um Nyobè est le leader incontesté du patriotisme camerounais, et pour les masses populaires, il est un héros qui permettra l’avènement de jours meilleurs. Son rayonnement est tel que son nom circule dans les campagnes camerounaises comme celui d’un être de légende doté de pouvoirs magiques. La renommée de "Mpodol" (qui signifie "celui qui porte les revendications de") comme on le surnomme s’étend au-delà de son pays d’origine le Cameroun. Um Nyobè est très actif, écrit des articles politiques, tient des meetings auxquels assistent parfois des dizaines de milliers de personnes, rencontre les masses populaires et se déplace dans l’ensemble du pays qu’il sillonne pour porter la bonne parole, n´hésite pas à accuser certains membres de l´église de soutenir la colonisation.
En 1954, un nouveau haut commissaire, Roland Pré, arrive au Cameroun et veut nouer un dialogue avec tous les groupements politiques de la place, qu´il espère garder ainsi sous contrôle, mais l’UPC appelle à le boycotter.
Le 19 mai, Félix Moumié, un des responsables du parti, annonce que Um Nyobè est dans le maquis. La tension monte d’un cran lorsque le 22 mai, des gendarmes signifient à des partisans de l’UPC que leurs réunions sont interdites, et les moleste. Le même jour, 22 mai 1955, l’UPC réplique et annonce qu’elle refuse désormais de reconnaître l’administration française et réclame la création d’un comité exécutif provisoire. Le 23 et le 24, des incidents éclatent à Douala où une foule armée de gourdin et machettes prend d’assaut la prison, la police tire faisant 4 morts et 20 blessés. Dans d’autres villes du pays, à Nkongsamba, à Yaoundé, des émeutes éclatent également parfois avec des morts à la clé. Fin mai, le décompte est de 20 morts, 114 blessés chez les émeutiers, 4 morts (2 français) et 13 blessés dans le reste de la population.
Le 13 juillet 55, l’UPC et ses branches sont officiellement interdits. L’insurrection de mai n’est pas approuvée par Um qui considère qu’elle n’avait que peu de chance de succès. Il a par ailleurs toujours été partisan de solutions pacifiques et réprouve l’utilisation de la violence. Il effectuera plus tard une critique globale, préconisant une meilleure organisation du parti pour éviter les échecs des actions entreprises :
"Certains camarades peuvent penser que les dirigeants de l’UPC mettent l’organisation du mouvement au-dessus des grands problèmes de l’heure. Cela est vrai. Nous savons par expérience que tous les problèmes politiques peuvent être résolus avec une bonne organisation, tandis que tous les échecs et même les catastrophes sont possibles dans un mouvement mal organisé."
L´impossible retour à la légalité de l´UPC
En juin 56, le président de l’Assemblée territoriale camerounaise Soppo Priso, crée un mouvement "d’Union Nationale" et noue des contacts avec l’UPC pour lui proposer de faire campagne sous la bannière de l’Union Nationale. Si l’UPC accepte de ne pas "prêcher pas la violence", l’administration fermera les yeux. Mais l’UPC refuse. Les élections du 23 décembre vont donc se dérouler sans le parti à l’emblème du crabe. Un projet de loi d’amnistie était en préparation avant les élections, mais la lenteur de la procédure incite les upécistes à la méfiance. Il semble en réalité que tout ait été fait afin que l’UPC ne puisse se présenter aux élections.
En décembre 56, l’UPC crée une branche armée, le CNO (Comité National d’Organisation) et décide de passer aux actions de sabotage, lignes téléphoniques sectionnées, voies ferrées coupées via des explosifs, ponts routiers détruits entre Yaoundé, Douala et Edéa...le département de la Sanaga Maritime passe sous contrôle de l’UPC. Malgré ces actions, les élections législatives prévues pour le 23 décembre 1956 sont maintenues. La première assemblée législative du Cameroun est élue. Le recours à la violence armée pour revendiquer l’indépendance fait alors du Cameroun une spécificité parmi les territoires d’Afrique noire sous domination française : c’est le seul pays de cette zone où on a recours à la lutte armée.
Le 28 janvier 1957, l’assemblée législative camerounaise adopte le statut d’Etat autonome sous tutelle (statut qui pourra être modifié plus tard pour permettre la levée de tutelle et l’accession à l’indépendance). Sur proposition du haut-commissaire Pierre Messmer, André-Marie Mbida devient le 1er premier ministre du Cameroun, et se révèlera un farouche adversaire de l’UPC qu’il accusera dans un discours resté célèbre « d’avoir trompé le peuple ».
L’UPC est sollicitée pour savoir sous quelle condition elle reviendrait dans le jeu politique classique. On parle ainsi d’une entrée d’Um Nyobè à l’assemblée territoriale à la suite d’une élection partielle. Um qui est dans le maquis répond en faisant publier plusieurs lettres ouvertes dans lesquelles il expose les conditions qui selon lui permettront de "la détente politique et morale". Tout d’abord, il réclame l’application du projet de loi d’amnistie, qui a été ajourné. Il réclame également l’abrogation du décret du 13 juillet 55 suite auquel l’UPC a été interdite. Enfin la 3ème condition réside dans la déclaration solennelle par le gouvernement français "portant sur la reconnaissance de l’indépendance et de la souveraineté du Kamerun", même s’il précise bien que cette indépendance n’est pas subordonnée au départ de la France, Etat tuteur.
Mais les élections de 56, le statut de mai 57, l’entrée dans le jeu politique d’un gouvernement camerounais a sensiblement modifié la donne politique. Selon certains observateurs, l’UPC aurait du faire profil bas, mais elle choisit "plutôt que de s’insérer modestement dans de nouvelles structures d’agir en doctrinaire et d’en nier la validité, et à s’arc-bouter sur le fait que la loi d’amnistie n’ait pas été votée." Mbida, qui est chef de gouvernement n’est pas partisan d’une amnistie générale qui réintroduirait l’UPC dans le jeu, et n’est pas non plus partisan d’une indépendance immédiate estimant que le Cameroun n’y est pas suffisamment préparé. Mbida en fait part à Messmer, à Paris, et au Cameroun.
Les conditions posées par Um n’ayant pas été prises en compte, l’UPC relance l’action violente (incendies, enlèvements, assassinats). Une seconde fois, le projet de loi d’amnistie concernant l’UPC est ajourné par le conseil de la république à Paris. Mgr Thomas Mongo va alors jouer les négociateurs entre l’UPC et les autorités représentées par Pierre Messmer car Mbida n’est pas dans la confidence. Um pose comme condition une rencontre publique avec Messmer, et une nomination à un poste de premier ministre dans un gouvernement d’Union Nationale, des conditions que le gouvernement n’a pas l’intention d’accepter. Messmer de son côté a une marge de manœuvre restreinte car il ne peut accepter sans en référer à Paris.
Mbida se met en colère quand il apprend que Messmer a essayé de négocier avec l’UPC. Mongo rencontre Messmer auquel il soumet l’idée d’une rencontre entre lui et Um Nyobè à laquelle Messmer n’est pas opposée. Mais lorsque Mongo repart dans le maquis rencontrer Um Nyobè, celui-ci a changé de position et refuse tout contact avec l’administration s’il n’a pas la garantie d’être désigné premier ministre d´un gouvernement d´Union Nationale.
Le 23 novembre 1957, une patrouille tombe par hasard sur l’un des refuges du "secrétariat administratif et bureau de liaison" de l’UPC dans le maquis, ce qui permet à l’administration de découvrir l’ampleur de l’organisation de l’UPC, beaucoup plus profonde qu’elle ne le croyait. Les "pillages et assassinats" ne sont pas commis par hasard, mais sont le résultat de procédure soigneusement menées. Une administration parallèle a été mise en place avec pour objectif à terme de montrer qu’en Sanaga Maritime on pourra se passer de l’administration centrale, ce qui montrerait qu’une partie du territoire national a "pu se libérer par ses propres moyens ».
Des « départements techniques" sont même chargés de la fabrication de fusils et de pistolets, de l’approvisionnement en munitions, outillage et matériel. Un véritable appareil de lutte et de guerre révolutionnaire est en place. Par ailleurs, Um, bien que vivant dans le maquis continue d’entretenir une correspondance avec l’ONU, de répondre à des interviews (dans "La Dépêche du Midi" par exemple), de publier des écrits politiques.
Messmer et ses conseillers pensent déjà à remplacer le premier ministre et d´autre part, Messmer nomme un délégué à la région sud-cameroun pour rétablir l’ordre en Sanaga Maritime. Le 9 décembre, la ZOPAC (Zone de Pacification du Cameroun) est créée. Cette campagne s’étendra sur 11 mois et sera la dernière campagne de "pacification" menée par l’armée française sur le continent africain.
L’action s’avère efficace puisque le nombre de "maquis" détruit passe de 9 en janvier 1958 à 62 en juillet. Le nombre de maquisards de l’UPC capturés et qui se rallient augmente sans cesse : De 70 en mars il atteindra 320 en novembre. Le 7 juin, le "général" Nyobè Pandjock Isaac est surpris dans son poste de commandement et tué. La confrontation militaire tourne à l’avantage des forces armées françaises. Um est toujours dans le maquis, mais de plus en plus seul, entouré de proches (sa compagne, son dernier né notamment) et tient un journal où il note ses rêves, ses aspirations et ses mauvais pressentiments. Les conditions de vie sont de plus en plus difficiles pour lui d’autant que son réseau de soutien, d’aide et de fidelité se démantèle progressivement. En août (57 ou 58 ?) il se rend secrètement à Douala, où une réunion clandestine de dirigeants se tient.
On y discute du retour de l’UPC à la légalité, d’autant que la donne vient une fois de plus de changer. Le haut-commissaire Ramadier a parlé d’indépendance, l’assemblée législative qualifiée de "fantoche" par Um Nyobè a officiellement demandé la reconnaissance à terme de l’indépendance, la levée de la tutelle et immédiatement le transfert de compétences en ce qui concerne la gestion des affaires intérieures. Amadou Ahidjo, qui a succédé à l’ex-premier ministre Mbida, est parti pour Paris négocier le planning de ces différentes étapes. L’UPC qui a été le parti le plus actif dans la revendication de l’indépendance du Cameroun risque de se voir dépassée par "les collaborateurs" du gouvernement Ahidjo. Une loi d’amnistie a été promulguée le 17 février 1958, et ce pourrait être pour Um l’occasion de revenir au devant de la scène en toute légalité.
Lors de la réunion, Um affirme que son devoir est d’être dans le maquis tant que l’indépendance ne sera pas proclamée (il se méfie des promesses faite par la France d’accorder l’indépendance à terme) et en tant que symbole de la nation camerounaise, il ne peut abandonner le flambeau de la nation camerounaise. Mais il se dit prêt à renoncer à la lutte armée si ses camarades de l’UPC pensent que le retour à la bataille légale est la solution. Par la suite, certains observateurs affirmeront que le retour de Um dans le maquis avait été encouragé par des membres de l’UPC qui faisaient un calcul politique. Um tué, capturé, emprisonné, et c’est tout l’héritage de l’UPC qui pourrait être monnayé auprès des dirigeants par les "héritiers spirituels" de Mpodol.
Après une longue période de repérage où ils ont été aidés par des "ralliés", et des indics "traîtres", les services de renseignement parviennent à localiser la zone dans laquelle Um Nyobè se cache dans le maquis. Les patrouilles se multiplient dans cette zone et le samedi 13 septembre 1958, dans les environnements de Boumnyébel, une des équipes d’un détachement opérant par groupe de quatre à cinq personnes découvre un campement fraîchement abandonné. La zone est quadrillée, et quelques temps plus tard, une patrouille de tirailleurs saras (Tchad) commandée par un sergent-chef africain découvre quatre hommes cachés dans les buissons. L´indicateur qui a conduit jusqu´à Um Nyobè le désigne du doigt. Alors que ce dernier cherche à s´enfuir, il est abattu de plusieurs balles par un des soldats.
L’un des quatre morts sera identifié comme étant Um Nyobè par des notables de Boumnyébel. Près du cadavre de Um, on retrouve la sacoche qu’il transportait avec lui. Elle contient des archives de l’UPC et le carnet dans lequel le "Mpodol" notait ses rêves et ses pensées quotidiennes, les taches à accomplir. Les corps sont ramenés au village et les villageois sont invités à venir constater la disparition de Um Nyobè. Il est mort en serrant dans la main un "gris-gris" (fétiche) qui ne l’a pas protégé des balles. Une délégation de l’association des Notables du Cameroun vient de Douala pour voir le corps. Un service religieux est célébré à Boumnyebel par un pasteur protestant. Après l’inhumation, dans l’enceinte de la mission protestante d’Eseka, la tombe du prophète de l’indépendance devra être recouverte d’une chape de ciment, pour empêcher ses plus proches partisans de venir enlever son corps.
Les versions divergent cependant sur les conditions de l’assassinat de Um Nyobé. Certains historiens et acteurs de l’époque affirment que les patrouilles avaient reçu l’ordre d’abattre Um Nyobè, tandis que d’autres pensent que la mort d’Um Nyobé était un accident résultant des circonstances de sa capture. D’autres encore pensent que Um Nyobè a été livré par un traître, en l’occurrence Théodore Mayi Matip, qui aurait opportunément disparu quelques instants avant que Um et ses compagnons ne soient surpris par une patrouille. Ce dernier se ralliera au gouvernement d’Amadou Ahidjo et sera le représentant de "l’UPC légale".
Ainsi s’acheva donc la vie d’un homme qui lutté contre les forces coloniales et avait combattu pour l’indépendance de son pays avant que d´autres n´en recueillent les fruits le 1er janvier 1960, quand fut proclamée l´indépendance du Cameroun.
CITATIONS
"Le jugement de l’histoire" (Georges Chaffard)
***"La Révolution est toujours un pari. Lorsqu’on le perd, il faut le payer. Des dirigeants politiques comme Um Nyobè, Félix Moumié, Osendé Afana, des chefs militaires comme Nyobé Pandjock (1), David Mitton (2), Noe Tankeu (3), sont morts comme des hors-la-loi, pour avoir mal apprécié le rapport des forces. Mais ils n’étaient pas des médiocres. Tôt ou tard, l’Histoire camerounaise réhabilitera leurs noms, sans abaisser pour autant ceux de leurs adversaires. Car l’Histoire d’un peuple est faite de ces alternances."
(1) Premier "général en chef" du CNO, tué en Sanaga Maritime en juin 58.
(2) –"Commandant en chef" de l’ALNK tué en pays bamiléké en septembre 1965.
(3) "Commandant" de l’ALNK capturé en pays bamiléké et exécuté sur la place publique en janvier 1964.
***"Peu de mouvements révolutionnaires africains auront eu un chef de sa valeur. Mais le rayonnement personnel ne suffit pas quand il est au service d’une analyse politique erronée. L’échec d’Um Nyobè, comme celui huit ans après, l’échec de son héritier spirituel Osendé Afana c’est, d’abord, le résultat d’une appréciation inexacte du rapport de forces".
Quelques livres
"Je me souviens de Ruben", Stephane Previtali, éditions Karthala.
"La naissance du maquis dans le sud Cameroun", Achille Mbembé, Editions Karthala
"Ecrits sous maquis" Achille Mbembe, éditions l´Harmattan
"Carnets secrets de la décolonisation", Tome II, Georges Chaffard, Editions Calmann-Levy
"Le Cameroun du Mandat à l’indépendance", Victor T Levine, ed Presence Africaine
"André-Marie Mbida, premier Premier ministre du Cameroun", Daniel Abwa, l’Harmattan, 1993
"L’homme de l’ombre", Pierre Péan, Editions Fayard, 1990, P 283-284
"Le problème national kamerunais", Achille Mbembé, éditions Karthala