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Du véritable héritage de Um Nyobè: "Les héros meurent jeunes. Les semeurs ne moissonnent pas"
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[Paris - France] - 13-09-2008 (Gaston Kelman)
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L’assassinat par le pouvoir colonial de Ruben Um Nyobè il y 50 ans dans le maquis de Boumyebel en pays bassa a été le coup le plus dur porté à l’armée de nationalistes qui combattait la répression dans le maquis. Il convient ici de signaler le silence quasi absolu de l’historiographie sur la guerre d’indépendance du Cameroun, quand on pense à la prise en compte tout à fait légitime de la guerre d’indépendance en Algérie. Il appartient bien évidemment au Cameroun et à personne d’autre de faire promotion de la mémoire héroïque des martyrs de cette guerre oubliée.Les semeurs ne moissonnent pas. Ruben Um Nyobè, comme la Rose de Ronsard ou de Malherbe, a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin. C’est le propre des roses. C’est le propre des légendes.
Il appartient bien évidemment au Cameroun et à personne d’autre de faire promotion de la mémoire héroïque des martyrs de cette guerre oubliée.
Um Nyobé était l’un des leaders de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), l’un des partis qui militaient pour l’indépendance du pays. Était-il le plus légitime ou le plus nationaliste ! Il était le plus radical, le plus déterminé à accéder à une indépendance pleine et à réaliser la réunification des deux parties du Cameroun. Je ne saurais m’appesantir sur l’histoire politique de cette période trouble, ni sur l’idéologie ou les objectifs de l’UPC. Mes connaissances sont limitées en la matière. Moult spécialistes réels, autoproclamés ou affectifs le font. Ma réflexion se bornera donc à essayer de pointer les limites de toute analyse anachronique.
Peut-on aujourd’hui, quel qu’ait été la valeur des idées et du combat de l’UPC de libération, dire avec certitude que la mise en place de cette idéologie marxiste aurait été possible ; que le Cameroun se serait porté mieux ? Il y a un gouffre de la théorie à la pratique. Ne le franchissons pas aussi allègrement avec une perche en fibre d’émotion. Mon intention n’est ni de heurter, ni de jeter un pavé dans la mare des émotions et des affects ; ni dans celle des eaux sereines des nationalismes et des gratitudes envers les martyrs, sentiments que je porte autant qu’un autre et que je trouve tout à fait légitimes. Je voudrais tout juste élargir le débat au de-là des frontières du passé, sur le présent et vers l’avenir. Je réponds aussi à une demande qui portait sur l’héritage de celui que les Bassas avait baptisé mpodol, le porte-parole ou plus messianiquement, l’intercesseur.
Je l’ai dit, je n’ai pas capacité à traiter de l’histoire. Mais je reste intimement convaincu du profond nationalisme des Upécistes et de Ruben Um Nyobe en particuliers. Je reste intimement convaincu de la valeur de leur combat et de leurs idées. Je m’incline avec une profonde humilité, une gratitude sans borne et une révérence filiale devant le sacrifice ultime que certains d’entre eux ont consenti, en préférant les rigueurs du maquis ou de l’exil à la quiétude, même relative, de ce qu’ils considéraient comme une inacceptable compromission, là où d’autres parlaient – à tort ! à raison ! l’histoire est seul juge - de l’incontournable compromis, de l’indispensable dialogue avec le colonisateur ; en allant jusqu’au don de leur sang. Il est clair que ce sacrifice a accéléré le processus d’indépendance, non seulement pour le Cameroun, mais aussi pour les autres colonies françaises dont le chapelet de libération a suivi celle du Cameroun, le 1er janvier 1960.
Je souhaite de tout cœur qu’un jour, leur héroïsme soit enseigné dans les écoles et que leur mémoire se matérialise sur l’espace public par une mémoire monumentale et des noms de rue. Au de-là de cet héritage, pouvons-nous penser, à la lumière des réalisations des dirigeants africains dont le nationalisme et la forte pensée de certains avant les indépendances, n’avaient rien à envier à ceux de l’UPC – on pourra citer Kwame NKrumah, Sékou Touré ou encore Robert Mugabe -, que les idées d’un l’UPC marxisant auraient pu conduire au développement du Cameroun.
L’une des idée maîtresses de ces nationalistes était le Panafricanisme. J’ai toujours pensé à la suite Frantz Fanon que c’était une erreur. Les luttes des indépendances – au de-là des alliances fort logiques que tissaient les peuples opprimés d’Afrique et d’Asie contre le commun oppresseur – ces luttes étaient menées dans le cadre des nations à bâtir. Était-il possible de réussir la construction de l’Afrique au détriment de celle des nations pour lesquelles on s’était battu ? L’échec de la construction de l’unité africaine nous prouve aujourd’hui que non. Ce faisant, puisque l’on a raté aussi bien la construction de l’Afrique – celle-ci n’étant possible que portée par des nations fortes – que celle des nations, les peuples s’en sont retournés fort logiquement vers les seules réalités sociologiques, culturelles, territoriales, palpables : les ethnies. Le tribalisme est devenu triomphant.
La quasi-totalité des leaders des indépendances africaines est devenue despotique, démiurgique. Celui-là hier, combattant flamboyant et penseur de portée universelle devient l’Osagyefo, le rédempteur. Cet autre qui a tordu la queue du lion britannique et a transformé la raciste Rhodésie en Zimbabwe triomphant, s’accroche cacochyme à un pouvoir qu’il affirme de droit divin. Tel autre qui a dit non à l’homme qui a dit non, multiplie les prisons et les charniers de ses opposants. Certes, l’histoire a sa part de responsabilité dans ces tragicomédies. L’ancien oppresseur furieux de voir que sa proie lui échappe, a multiplié des crocs-en-jambe. Mais la responsabilité principale reste à celui-là qui avait réclamé fort logiquement l’indépendance de son pays et n’a pas réussi à transformer l’essai.
L’UPC et son leader charismatique auraient-ils fait mieux que les autres nationalismes africains ? On ne le saura jamais et c’est tant mieux et ce n’est pas la bonne question à se poser. L’héritage idéologique marxiste de Um Nyobe serait-il encore adapté au contexte social, politique et économique du moment ? Cela n’a certainement pas d’importance. La Chine dont le modèle inspirait l’UPC, est en pleine re-révolution culturelle, pour rejoindre les sentiers du libéralisme. Le vrai héritage que Um Nyobe a voulu transmettre, ce n’est pas le projet qu’il avait pour le Cameroun. Les projets vivent et meurent. Le message de Um Nyobè, c’est celui de l’abnégation, du don total de soi pour une cause noble. Et c’est en cela d’ailleurs que les Bassa ont vu en lui le mpodol, en référence au nom attribué à jésus le messie.
Tout mouvement révolutionnaire est constitué de trois étapes : la conscientisation, le combat contre l’oppresseur et enfin le combat contre soi-même. La conscientisation des peuples africains opprimés par le colonialisme se construit sur les bases du panafricanisme initié par les penseurs noirs américains, notamment Padmore et Dubois. La négritude qui en est l’apogée pour les colonies française apparaît à l’entre-deux-guerres. Une pensée est née dans cette partie du «peuple noir», porteuse de fierté et de revendications spécifiques. Nous les Noirs, savons que nous avons une culture, une histoire. Après la deuxième guerre mondiale dont la victoire porte la trace de l’engagement des colonies, celles-ci commencent à être de plus en plus précises dans leur conquête de la liberté. Elles entrent donc dans la deuxième phase, celle des combats contre l’oppresseur. C’est à cette phase qu’appartiennent les nationalistes africains dont Um Nyobe, que l’assassinat a élevé au rang de martyr. Les acteurs de ces deux premières phases – intellectuels comme Césaire, Senghor, Damas ou nationalistes comme Ruben Um Nyobe - méritent toute notre reconnaissance. Nous sommes les héritiers de leurs engagements.
La troisième phase commence avec l’indépendance et la construction des jeunes états. Il faut éduquer le peuple qui aura tendance à penser que l’oppresseur parti, la tâche est terminé. Il faudra combattre le complexe de l’opprimé qui menace toute la société. L’ancien opprimé a tendance à reproduire toutes les tares de l’oppresseur. Il reprend à son compte l’arbitraire du pouvoir qui était le seul modèle de l’oppresseur. Il pense que ce pouvoir lui est dû. Il utilise la peur et l’oppression pour se faire obéir. En plus l’ancien colonisé ne rêve que d’une chose : vivra comme le Blanc.
Il fera des détournements de deniers publics. Devant son incapacité à fonder une nation, il retournera dans le cadre rassurant de sa tribu et usera du népotisme comme mode de promotion. Sortir de ce système est un processus de longue haleine. Il faut se battre contre ses propres démons pour en sortir le plus rapidement possible. Aucun peuple n’y a jamais échappé. La France l’a connu après la Révolution, avec les changements permanents de régime. Les nationalistes qui ont pris le pouvoir – Mugabe, Nkrumah, Sékou Touré – n’y ont pas échappé. Ruben Um Nyobe n’a pas craint de se sacrifier pour sortir de la phase de combat contre l’oppresseur extérieur. C’est le seul héritage qu’il nous ait laissé. L’avons-nous fait fructifier ? On peut en douter.
Il est triste de constater qu’ à l’exception de Nelson Mandela ou encore Ely Vall de Mauritanie, les seuls leaders africains dont la mémoire restera positive sont ceux qui ont été assassinés généralement sans avoir eu l’occasion d’exercer le pouvoir, de mettre leur idées en pratique. Sans aller jusqu’à dire comme Georges Brassens que les morts sont tous des braves types, l’héroïsme a la vie courte. Les héros meurent jeunes. Les semeurs ne moissonnent pas. Ruben Um Nyobè, comme la Rose de Ronsard ou de Malherbe, a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin. C’est le propre des roses. C’et le propre des légendes.
Gaston Kelman, écrivain, Paris, France
©2008 www.icicemac.com
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