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09.05.2006
LA DIGNITE HUMAINE....par Pr. Ebenezer Njoh Mouelle
Débat général à l´occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration des Droits de l´homme, un devoir de mémoire et de d Vigilance: De l´esclavage au plein épanouissement de la dignité humaine.
155 ème Session UNESCO: 19.10 - 10.11.1998 20 Octobre 10h10
Monsieur le Président,
Je prends deux secondes pour vous remercier, vous et Monsieur le Directeur Général, d´avoir décidé de retenir pour notre débat thématique de la présente session, la question des droits de l´homme et en particulier sa négation dans le passé, à travers l´expérience de la traite négrière transatlantique et de l´esclavage. Je place d´emblée mon intervention dans le cadre du devoir de mémoire et de la vigilance.
Quand donc nous tournons notre regard vers ce passé, une chose frappe et déconcerte : c´est la même Europe qui, au moment où elle voit se développer progressivement en son sein la revendication des droits de l´homme et de la démocratie, se livre simultanément à la traite et à l´esclavage des Noirs. Cela se passe en pleine civilisation des lumières . Le paradoxe me semble n´être qu´apparent. Les lumières de la civilisation des lumières venaient davantage des éblouissements produits par la rationalité scientifique. Les sciences physiques et expérimentales suscitaient un émerveillement et un engouement qui n´avaient d´égal que l´espoir placé en elles pour assurer le progrès. Bref, la lumière venait de la déesse Raison. La raison calculatrice et froide. Calculatrice des intérêts et des profits. C´est l´époque où Jean-Jacques Rousseau répond par la négative à la question de savoir si oui ou non le progrès dans les sciences et les techniques contribuait identiquement à l´amélioration des mœurs. Question posée par l´académie de Dijon en ce siècle lointain mais question qui reste d´une brûlante activité.
Oui, des raisons économiques sont celles qu´on a souvent avancées pour fonder et expliquer, sans évidemment les justifier, la traite et l´esclavage des Noirs. Mais cela seul ne pouvait pas suffire ! Il fallait asseoir ces pratiques sur le racisme, une doctrine prônant l´infériorité de la race noire, pour se donner une relative bonne conscience. On pourrait être tenté de dire et de croire que l´heure n´est plus aux protestations indignées et aux dénonciations de l´horreur, sous prétexte que l´esclavage est aboli depuis cent cinquante ans.. Au contraire ! L´esclavage est permanent et il faut continuer à le pister pour le dénoncer.
Comment peut-il en être autrement, Monsieur le Président, La nature humaine n´a pas changé depuis lors ! La loi de la jungle continue de sévir en pleine floraison des Etats de Droit. Les plus forts continuent de chercher à imposer leur loi, en tout temps et en tout lieu. La lumière suppose toujours les ténèbres et la bête côtoie l´ange en permanence. Gabriel Marcel, philosophe français, avait écrit un livre intitulé " Les hommes contre l´humain ". De nombreux autres livres écrits par de nombreux auteurs pourraient recevoir le même titre à l´avenir, car bien des hommes, de nos jours, continuent d´offenser l´humain chez les autres, si ce n´est qu´ils le nient hypocritement.
Qu´importe la doctrine que les esclavagistes ont pu se donner pour justifier leur commerce? Le fait est que des êtres humains ont été traités comme des objets. Emmanuel Kant, philosophe allemand, aurait dit " comme des moyens ", lui qui demandait en effet dans sa morale de ne jamais traiter autrui comme un moyen, mais toujours comme une " fin ", un être dont la dignité se fonde justement sur le fait qu´il est libre. Mais Kant a-t-il, en son temps, considéré le Noir comme un être humain ?
L´esclavage est permanent ; la traite elle-même est permanente : elle s´appelle trafic d´enfants dans le cadre des réseaux de pédophilie qui n´épargnent aucune région du monde, certes, mais qui privilégient de nouveau les zones géographiques économiquement faibles ! La traite est permanente ! Elle s´appelle encore trafic de travailleurs clandestins dans certains pays de l´hémisphère Nord ; ils sont parqués dans des sous-sols et autres caves qui servent d´ateliers et de demeures tout à la fois. Ils sont convoyés à partir des pays pauvres, victimes qu´ils sont de leurs rêves des lendemains qui chantent sous des cieux lumineux et éclairés des pays industrialisés. L´esclavage encore, c´est cet état de dépendance et de délabrement psychique dans lequel se trouve placée une innombrable jeunesse à travers le monde, victime du trafic de la drogue et de toutes sortes de stupéfiants. La constante ici est que des êtres humains continuent d´être traités comme des objets, des instruments et non comme des personnes libres ; ils sont exploités cyniquement et sans état d´âme, à des fins outrageusement égoïstes de ceux qui concentrent en leurs mains un pouvoir multiforme et en particulier financier, pour imposer leur loi. C´est avec le même cynisme que fut exploitée la force de travail des esclaves noirs, pour le plus grand profit économique et financier de leurs maîtres esclavagistes.
Monsieur le Président,
Vous avez voulu que le présent débat soit placé sous le signe, non uniquement de mémoire, mais aussi de vigilance ; c´est dans cette logique de la vigilance que l´Unesco a raison d´inscrire son action. Elle le fait déjà en ce qui concerne la bioéthique et l´éthique des connaissances scientifiques et des technologies. Mais quelle forme de lutte engager aujourd´hui contre les nouveaux aspects que revêt la pratique de l´esclavage de nos jours ? L´esclavage qui a été aboli il y a cent cinquante ans s´opérait en plein jour. Il était quasiment officiel. Ne revenons pas sur le choc que cela produit, d´entendre parler d´esclavage officiel. Les négriers et les esclavagistes de la " civilisation des lumières " ne se cachaient pas de leurs pratiques ; Les nouvelles formes ´d´esclavage, quant à elles, sont clandestines ; elles s´opèrent en cachette et sous des formes voilées. Bref, l´esclavage moderne a pris le maquis et la guerre à lui livrer ne saurait se limiter aux grandes déclarations de principes, ni même aux législations nationales. Aujourd´hui, la plupart des constitutions des Etats se font un point d´honneur de se référer à la Déclaration Universelle des droits de l´homme.
Mon pays apporte un soutien total au projet de la Route des Esclaves ; L´Unesco fait du bon travail à cet égard, il faut en convenir. Enseigner les droits de l´homme à l´école ? C´est très bien ! Mais lorsque tous les enfants et tous les adolescents auront été pénétrés des principes des droits de l´homme, quelle garantie avons-nous qu´ils résisteront victorieusement plus tard à la tentation d´abuser parfois de leur position de force pour traiter d´autres humains comme des instruments, absorbés et repris qu´ils seront par les clivages d´intérêts de groupes au sein de leur société tout comme dans la sphère internationale ? Ils auront été rattrapés par l´esprit des affaires sous diverses formes. On pouvait légitimement espérer que les grands changements du siècle prochain viendraient de la base, je veux dire des peuples et non plus des sommets et des gouvernements. Mais à l´opposé de ce qui s´est passé pendant les siècles de la Traite des Noirs, les gouvernements, aujourd´hui, adoptent facilement des positions de progrès en cette matière, tandis qu´on perçoit des difficultés réelles à cerner et contrôler sur le terrain, les actions et agissements des groupes d´intérêts particuliers, c´est-à-dire de la base.
Nous célébrons cette année le 150è anniversaire de l´abolition de l´esclavage. Le problème, Monsieur le Président, est aujourd´hui de savoir si un jour, l´humanité pourra dater une quelconque abolition - suppression définitive des pratiques de pédophilie et de trafic des stupéfiants ? Je vous remercie de votre attention.
Pr. Njoh Mouelle
Peuplesawa rend hommage à ses ancêtres qui ont été arrachés de leur terre natale et traités en esclaves. QU´ILS REPOSENT EN PAIX !!!
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