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31.12.2005

Problématique de notre Identité Culturelle dans le grand SAWA........Par Professeur KANGUE EWANE 

Organiser des journées, des séminaires et des colloques culturels et traditionnels et les limiter à la présentation plus ou moins bruyante des danses, des mets, des instruments de musique, des masques et autres ustensiles et peintures tels que nos ancêtres sont supposés les avoir utilisés en leur temps, c´est dejà beaucoup. Mais c´est nettement insuffisant. Ne faire uniquement que cela, c´est couper la culture de ses racines, c´est la priver de sa seve vivifiante, c´est programmer, inconsciemment, non seulement sa mort, mais aussi celle de la communauté à laquelle elle donne l´existence.

Je ne puis m´empêcher d´exprimer avant tout ma sincère et fraternelle reconnaissance à Monsieur le Délégué du Gouvernement, premier artisan de ce premier festival culturel BAN BI NGOH et NSONGO.Il sait pourquoi.
En effet il connait les peines qu´il se sera données pour me chercher et me retrouver dans le petit espace où j´ai décidé de passer le reste de mes jours à tirer les lecons de mes multiples experiences ; à vivre en parfaite conformité et harmonie avec mes inébranlables convictions personnelles selon lesquelles je ne suis pas né pour moi, je suis né pour les autres, et reciproquement : condition sine qua non de toute vie harmonieuse dans la société.

Monsieur le Délégué du Gouvernement aura, en outre, reussi à me convaincre de modifier mon emploi de temps préalablement établi, pour venir m´associer à mes soeurs et frères, en cette circonstance, et leur faire-part du regard que je porte actuellement, comme homme de reflexion et de méditation, sur ma communauté, dans son articulation avec les autres communautés qui font avec elle le pays où nos parents ont vécu, hier, dans lequel nous vivons nous-mêmes aujourd´hui, et où nos enfants devront vivre demain, selon la vieille formule de nos ancêtres les Egyptiens :
L´hier m´a enfanté,
Voici qu´aujourd´hui
Je crée les demains.

Ce n´est pas un enseignement qu´il m´a appelé donner; je n´en suis pas digne devant cette auguste assemblée.
Ce n´est pas non plus un discours qu´il m´a demandé de prononcer: d´autres sont mieux placés que moi pour le faire, et je ne nourris aucune ambition ni de me faire admirer, ni de m´attirer quelque client que ce soit.
C´est une simple reflexion méditative faite à haute voix. Elle porte sur la problematique de notre identité culturelle collective dans le grand ensemble SAWA. Cette reflexion méditative pourra peut être susciter des reflexions méditatives analogues quant à ce que, actuellement, l´histoire attend de chacun de nous, de chaque fille et fils de ce pays en ce debut du IIIe millénaire.

Il ne se passe plus de jour sans qu´on n´entende parler de la culture. Quand ce n´est pas à la radio, c´est à la télévision ou dans des colloques et conférences soit nationaux, soit internationaux. Notre rencontre ici à NKONGSAMBA, en ces jours, constitue une parfaite illustration. Très souvent, au «culturel » est ajouté le «traditionnel».

Le «culturel » et le «traditionnel » occupent tellement de place, surtout dans nos pays, dans les préoccupations des femmes et des hommes, toutes classes et catégories confondues, que j´ai commencé à m´inquiéter quelque peu et à me poser des questions. Surtout au regard de ce que je vois chaque fois que l´on veut ainsi célébrer le «culturel » et le «traditionnel » : quelques instruments de musique, les danses, les mets, les tenues souvent multicolores, le tout sur le fond d´exposition d´objets dits d´art : masques multiformes, ustensiles de toutes sortes, peintures diverses, tous estampilles «traditionnel ».

De quoi s´agit-il en fait ? Que recherche-t-on au juste ? Il me parait de plus en plus évident qu´il y a comme une dérive, une simplification extrêmement dangereuse d´une réalité qui est beaucoup plus dense et complexe, une réalité qui constitue par ailleurs le noeud de la vie dans toute société.
Organiser des journées, des séminaires et des colloques culturels et traditionnels et les limiter à la présentation plus ou moins bruyante des danses, des mets, des instruments de musique, des masques et autres ustensiles et peintures tels que nos ancêtres sont supposés les avoir utilisés en leur temps, c´est dejà beaucoup. Mais c´est nettement insuffisant. Ne faire uniquement que cela, c´est couper la culture de ses racines, c´est la priver de sa seve vivifiante, c´est programmer, inconsciemment, non seulement sa mort, mais aussi celle de la communauté à laquelle elle donne l´existence. Il y a des lors problème.

Toute culture en effet, dans quelque communauté qu´elle soit pratiquée, en Afrique, en Amerique, en Asie comme en Europe, comporte à la fois une âme et un corps, des éléments invisibles et des éléments visibles. Ceux-ci n´existent que par ceux là, et c´est leur parfaite union qui donne naissance à la vie et à la survie du groupe, de la communauté. Notre compatriote, Emmanuel SOUNDJOCK a bien donné ce mélange des éléments visibles et des éléments invisibles lorsqu´il a vu dans toute culture :
« L´ensemble des faits et gestes d´un groupe d´hommes ; la manière dont ce groupe d´hommes concoit, organise et conduit son existence quotidienne et millénaire ; les gestes et les paroles employées pour demander la main d´une jeune fille, l´introduire dans sa maison et sa famille, s´unir à elle ; l´ensemble des interdits ou des régimes alimentaires qui accompagnent la grossesse ; initié et introduit dans la société des adultes ; les rites therapeutiques et funéraires ; le système économique et le système technologique. La culture, c´est toute cette grâce à quoi et par quoi l´homme existe et subsiste, c´est l´arsenal des moyens techniques et mystiques qui assurent vie et survie à l´homme et au groupe ». [in Affirmation de l´identité; culturelle et la formation de la conscience nationale dans l´Afrique contemporaine, Paris, UNESCO, PUF, 1981, P. 177]

Qu´est-ce que cela veut dire simplement et pratiquement ? Plusieurs choses. D´abord que toute communauté humaine, qu´elle soit constituée de Blancs, de Noirs, de Rouges ou de Jaunes, vit, survit par et grâce à sa culture.
Ensuite que cette culture est falte d´un ensemble d´éléments dont certains sont techniques et visibles, et d´autres mystiques et invisibles, renvoyant à l´être Suprême dont le nom varie selon les milieux.

Ainsi, par exemple, la facon de danser, de contracter le mariage en se conformant à certaines étapes ; la facon d´entretenir une grossesse et d´accueillir le bébé qui vient au monde et recoit un nom ; la facon de traiter les maladies, d´entretenir et d´enterrer un mort ; la facon de cultiver un champ, de tendre des pièges ou de pêcher le poisson ; la facon enfin de fabriquer une pirogue ou un banc, tout cela qui est visible et de l´ordre naturel, est sous-tendu, de l´interieur, par une cerfaine inspiration mystique, une référence plus ou moins consciente à quelque chose d´invisible, de surnaturel, également de l´ordre culturel.

Ceci est vrai pour la communauté des BAN BI NGOH et NSONGO ; ceci est vrai pour toutes les autres communautés du grand ensemble SAWA et toutes celles qui composent notre triangle national, ceci est enfin vrai pour toutes les communautés humaines sous quelque ciel qu´elles vivent.

La culture ainsi comprise, comme le noeud essentiel de la vie de toute communauté, ne saurait être un produit instantané. Elle a comme auteurs les ancêtres fondateurs des communautés respectives. Et elle a pour vocation de passer de génération en génération, en recevant des générations successives les éléments d´adaptation nécessaires à leurs contextes respectifs. La culture est alors Tradition, c´est-à-dire un patrimoine communautaire sans cesse enrichi par les apports des générations qui se succèdent. Et l´on peut parler, si ce processus est respecte, d´identité culturelle de la communauté, c´est-à-dire la fidélité à la dynamique de la culture. C´est ici qu´il faut rechercher le secret d´un vrai développement qui ne peut surgir que de l´interieur et non être parachuté de l´extérieur.

Se pose alors le problème qui semble préoccuper les BAN BI NGOH et NSONGO : la culture est-elle ainsi comprise et vécue par leur communauté ? Question que se posent également, avec acuité, les autres communautés de notre triangle national.

En dernière analyse, nous pouvons dire que la culture constitue la source, le moteur de la vie et du développement de toute communauté humaine. Pas seulement dans sa partie visible faite essentiellement de faits et gestes comme nous le voyons dans les manifestations organisées pendant ce festival. Mais surtout dans sa partie invisible, spirituelle, qui est la volonté de continuer coûte que coûte l´oeuvre initiée par les ancêtres. en l´enrichissant à chaque instant. Dès lors donc que la vie et le développement d´une communauté accusent quelques défaillances, il y a lieu de s´interroger sur l´identité culturelle, ce que les BAN BI NGOH et NSONGO ont certainement voulu faire.

Personne ne pourra nous convaincre que les ancêtres des BAN BI NGOH et NSONGO n´ont pas connu une existence satisfaisante à l´instar des autres communautés de notre triangle national. Même les BAN BI NGOH et NSONGO et les autres compatriotes dont l´âge se situe au-delà des 50 ans ont encore frais à l´esprit la belle époque où le Moungo, du Sud au Nord, de Dibombari au NKAM, était encore justement qualifié de «poumon économique » du pays. Il attirait alors les autres Camerounais du Nord au Sud, de l´Est à l´Ouest, les vestiges de cette grande attraction sont encore là.

II n´y avait certes pas, de routes goudronnées ; il n´y avait certes pas des Mercedes et autres grosses cylindrées ; il n´y avait certes pas de maisons marbrées ni autres gadgets de grand luxe. Mais les BAN BI NGOH et NSONGO ainsi que leurs hôtes menaient une existence qui n´avait rien à envier à celle des autres communautés, au contraire, c´est celles-ci qui brûlaient d´envie d´aller les rejoindre. Quel contraste avec le Moungo des dernieres decennies du XXe siècle, le Moungo qui a pourtant connu des routes goudronnées, des Mercedes et autres grosses cylindrées, des maisons marbrées et/ou carrelées, ainsi que d´autres gadgets de grand luxe. Que s´est-il donc passé entre temps ? Il s´est tout juste passé que les BAN BI NGOH et NSONGO, à l´instar de leurs frères et soeurs du grand SAWA ainsi que ceux des autres communautés, se sont tout simplement deconnectés, lentement mais sûrement, de leur culture pour se connecter à une autre sans racine dans leur terroir. Ce qui ne pouvait manquer d´avoir de graves conséquences. Les principes de cette deconnexion d´avec la culture du terroir pour une connexion avec la culture exogène ont été posés avec la rencontre des deux cultures, africaine et européenne au XV et XVIe siècle. Les différences culturelles entre les deux peuples en présence, au lieu d´être percues comme source de richesses par complémentarite, ont plutôt été interpretées comme signe d´inégalité entre d´une part un peuple supérieur. civilisé, et de l´autre, un peuple inférieur. barbare et sauvage. Tous deux restant neanmoins solidaires parce que crées par le même Dieu. Cette interprétation aura ainsi donné naissance, de la part du peuple supérieur, à ce qu´on appelle la mission civilisatrice. D´après celle-ci : « Les peuples inférieurs qui, en vertu de la solidarité et de la sociabilité humaines ne peuvent se refuser à entrer en contact avec les nations civilisées, sont tenus d´adapter progressivement leurs institutions aux nécessites de la civilisation économique, intellectuelle et morale qui penètre chez eux >>. [in J.V. DUCATILLON, « Théologie de la colonisation »,
Revue d´action populaire, 90 (Juillet-Aoüt 1955), p. 776].

C´est ici qu´on comprendra aisément le rôle de l´école. Elle a pour objectif d´une part de déconnecter les petits Africains en général, les petits BAN BI NGOH et NSONGO en particulier de leur culture originelle, de l´autre de les connecter et de leur faire sucer, lentement mais sûrement, les éléments de la partie spirituelle d´une culture propre à un autre terroir. Elle prive ainsi l´enfant de sa partie vitale et substantielle pour ne laisser subsister que les éléments apparents. Elle en fait ce qu´on appelle dans certaines communautés SAWA : « Ekung kung », c´est-à-dire un être sans âme.

Que peut-on dès lors attendre d´un tel être vide de sa substance ancestrale et traditionnelle quant à l´édification et au développement de sa communauté originelle ? Rien ou presque. Son idéal et ses projets de vie ne peuvent être que de reproduire, dans son cadre strictement délimité selon les normes de là-bas, tous les faits et gestes du civilisateur. Il pensera avoir atteint cet ideal et être par conséquent heureux s´il porte le nom comme son civilisateur, s´il se loge comme lui, s´il s´habille comme lui, s´il mange et boit comme lui, s´il parle comme lui, si enfin il vit dans un ilot d´opulence loin de la misère de ses frères et soeurs comme lui.

La problématique de l´identité culturelle posée par les BAN BI NGOH et NSONGO dans leur connexion avec l´ensemble des communautés SAWA, comme par toute autre communauté du triangle national me parait ainsi être une interpellation à se reconcilier avec la partie spirituelle de la culture, celle là même qui a été initiée par les ancêtres pour donner un sens à la vie dans leur communauté.

Source: Actes du KOUPE 98
[Premier festival Culturel et artistique NGOH et NSONGO , Nkongsamba les 27,28 et 29 Novembre 1998]
Recherche Bibliographique: Bertand NJOUME
 

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