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05.12.2003
Grandeurs et travers du Ngondo.
Eugène Dipanda
L’édition 2003 de la fête traditionnelle des Sawa semble moins animée que les précédentes…
Comme cela est de coutume depuis des décennies, le peuple Sawa, composé d’ethnies riveraines de la zone côtière du Cameroun, s’apprête à vibrer en communion. A l’occasion de la énième commémoration de la fête de l’eau, le Ngondo, qui se célèbre le dimanche 7 décembre 2003 prochain, c’est en effet la grande effervescence dans les foyers. Depuis quelques jours, c’est la ruée vers les marchés où est commercialisé le nouveau pagne de l’événement. Dans les ateliers de couture, privilège est fait à la confection des Kabas ngondo, les fameuses longues robes, que les femmes arboreront toutes le jour-J. En matière vestimentaire, les hommes, eux, revêtent généralement des chemises blanches et nouent leurs sanja (grand pagne) autour des reins. Certains, pour marquer leur réel encrage à la tradition, vont en plus s’armer d’un chasse-mouche ou, simplement, se coiffer d’un minuscule couvre-chef de couleur noire. Depuis la semaine dernière, plusieurs manifestations ayant trait au Ngondo 2003, meublent d’ores et déjà le quotidien des populations de la capitale économique. En effet, en prélude à l’apothéose de dimanche sur les berges du fleuve Wouri, une foire dite artistique, commerciale, industrielle et gastronomique bat son plein depuis le 22 novembre dernier à la Salle des fêtes d’Akwa : Par le passé, c’est au Parc des princes, situé au quartier Bali, que se déroulait ladite foire. Un déménagement surprenant, qui aura eu une grosse incidence sur l’affluence du site actuel. Malgré la présence de nombreuses entreprises et autres particuliers dans les stands érigés pour la circonstance, malgré une animation musicale plutôt appréciable des lieux et quoique la bonne nourriture et la bière y soient vendues à bon prix. Côté public, la mayonnaise ne semble pas pour autant prendre. En dehors de quelques élèves curieux du lycée d’Akwa voisin, qui y vont faire un tour à la sortie des classes, le reste du temps laisse apparaître une ambiance terne ; tout le contraire de la chaleur carnavalesque qui précède habituellement le Ngondo.
Entre-temps heureusement, il est annoncé un petit festival de musique sur le site, avec une compétition de ballets du terroir. Ce 4 décembre, un " Grand Prix Découverte " a également opposé plusieurs chanteurs en herbe, avant l’organisation, dans la matinée de samedi prochain, d’un semi marathon à travers différentes artères de la ville de Douala. Autant de rendez-vous qui, comme d’habitude, devraient faire foule. Une marée humaine est autant espérée au cours de la grande veillée traditionnelle, prévue dans la nuit du 6 décembre. C’est en ce moment notamment que sera élue la Miss Ngondo 2003. Un programme nocturne qui prévoit entre autres, des animations par des chorales, des concours de danse et une compétition de lutte traditionnelle. Selon des sources introduites auprès de l’assemblée générale du Ngondo, l’endormissement observé autour de l’édition 2003 de la fête des Sawa ne relève cependant pas du hasard. Au-delà des remous de surface, les divergences semblent importantes entre les dépositaires de la culture Sawa que sont les chefs traditionnels des divers cantons. Ces désaccords seraient d’ailleurs à l’origine (malgré la pompeuse version officielle qui fait état de l’exiguïté du Parc des princes) du déménagement de la foire du Ngondo de Bali vers Akwa.
Selon les mêmes sources, les formules managériales et la forte inclinaison politique du président actuel du Ngondo, Sa majesté Essaka Ekwalla, chef supérieur du canton Deido, ne feraient pas l’unanimité auprès de ses pairs, et notamment auprès du prince René Bell, chef supérieur du canton Bell. Résultat des courses, la plupart des réunions de préparation du Ngondo 2003 ont été boudées par nombre de chefs " dissidents ". L’ouverture du tout nouveau siège du Ngondo, sis au palais Dika Akwa, n’a pas été courue non plus. Une indifférence qui aurait pesé lourd sur le choix du thème de la fête de cette année, " Oa na mba " (toi et moi), qui renvoie à l’amour, à l’entente et à la solidarité entre tous les " frères " Sawa ; un préalable incontournable, pour lui redonner toute sa dimension culturelle et festive d’autrefois… Sur les origines du Ngondo justement, l’histoire raconte que " l’existence de l’assemblée traditionnelle du peuple Sawa est antérieure à l’arrivée, en 1943, des premiers missionnaires à Douala. Son année de création peut se situer approximativement en 1930… ".
Son assemblée, qui a autrefois mené des activités judiciaires, " devait réprimer les meurtres suivant la loi du Talion, et ceci, quel que soit le rang social de leur auteur ". Le Ngondo joua également un rôle politique d’envergure, à travers protestations et luttes de résistance, avant et pendant l’occupation allemande du Cameroun. Interdit pour ses élans " subversifs ", puis réhabilité grâce à la volonté populaire, le Ngondo n’a cessé d’être ballotté par des vagues de dérivations. Par souci d’innovation, on a en effet vu, au fil des années, les populations non originaires de la région côtière du Cameroun, prendre une part active à la fête. Plus grave, les prises de positions politiques des chefs traditionnels Sawa, " au nom de tout leurs peuples ", ont diversement été partagées. Cette année encore, le Ngondo se présente comme un vaste cercle de rassemblement des peuples, sans aucune considération sur leurs origines. Ce 7 décembre, en tout cas, ils seront encore des centaines à découvrir, avec un intérêt certain, les réjouissances populaires des Sawa sur les berges du fleuve Wouri ; l’ambiance surchauffée des courses de pirogues, ou, simplement, l’épisode toujours épatant de l’immersion du vase sacré, qui va définir, à travers le message des divinités, le mode de vie et les prévisions des fils de l’eau pendant les douze prochains mois.
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