Biographie
Nathalie Etoké est née le 20 juin 1977 à Paris. Aînée d´une famille de quatre enfants, son père est notaire et sa mère juriste d´entreprise à Douala. De retour au Cameroon en 1978, elle y a vécu jusqu´en août 1995.
Elle a ensuite passé cinq ans à Lille où elle a obtenu une maîtrise de lettres modernes. Actuellement (2000), elle vit dans la banlieue parisienne et prépare un DEA de littératures, langues et cultures contemporaines sous la direction de M. Bernard Mouralis à l´Université Cergy-Pontoise.
Ouvrages publiés
"Bessombè : Between Homeland and Exile". In King, Adèle, (ed.) From Africa - New francophone stories. Lincoln : University of Nebraska Press, 2004, pp.125-129. [en anglais].
Un amour sans papiers. Paris: Editions Cultures Croisées, 1999 (118p.). ISBN 2-913059-03-1. Roman.
Extrait:
Je m´appelle Malaïka E. je suis née en 1972 dans un pays situé au coeur de l´Afrique centrale. J´appartiens à cette nouvelle génération issue de la bourgeoisie africaine post-coloniale. Mon père et ma mére, deux êtres adorables, sont les enfants de la colonisation. Nés en 1945 et 1948, leur éducation a été marquée par l´empreinte coloniale. En effet appartenant à la classe des évolués, ils fréquentèrent les écoles françaises, chantèrent la Marseillaise et eurent pour ancêtres les Gaulois. Comme de nombreux Africains, ils poursuivirent leurs études en métropole et revinrent au Cameroun les bras chargés de diplômes et la tête pleine d´espérance: ils souhaitaient construire un Cameroun fort, un pays d´avenir.
====================
Cameroun mon pays
par Nathalie Etoke
publié le 08/09/2004
« Rio dos Camaroes », s’écrièrent les Portugais émerveillés par les innombrables crevettes qui se prélassaient dans l’estuaire du Wouri. Au gré des turbulences et des turpitudes de l’Histoire, les Allemands perdirent leur Kamerun qui devint Cameroun pour les Français et Cameroon pour les Anglais. Certains disent de ce pays qu’il est l’Afrique en miniature. L’harmattan et la mousson y soufflent à l’unisson. La savane du Nord épouse la forêt dense du Sud. On y parle anglais et français. Les Foulani cohabitent avec les Bantous. Les animistes, les chrétiens et les musulmans coexistent sans heurt.
Bafoussam
Bamenda
Bertoua
Buéa
Douala
Ebolowa
Garoua
Maroua
Ngaoundéré
Yaoundé
Terre fertile en despotes
Le Cameroun c’est aussi le pays
Des révolutions avortées et des leaders charismatiques assassinés
Rudolph Duala Manga Bell
Martin Paul Samba
Ruben Um Nyobé
Roland Félix Moumié
Abel Kingué
Ossende Afana
Ernest Ouandié
De ces voix
Etranglées par les mains invisibles de la dictature
Engelbert Mveng
Tchuidjang Pouemi
De ces voix
Epuisées par l’adversité du combat pour la liberté
Monseigneur Dogmo
Mongo Beti
Qui ont fini par s’éteindre dans l’obscurantisme.
Que dire des artistes qui ont dans l’exil trouvé le chemin des honneurs ?
Feu Francis Bebey
Manu Dibango
Richard Bona
Were Were Liking
Alain Patrice Nganang
Que dire de ceux qui restés au bercail sont partis sur la pointe des pieds, sans faire de bruit ?
Eboa Lottin
René Philombe
Que penser des Lions Indomptables dont les exploits égaient le peuple tout en faisant les choux gras des politiciens opportunistes ? « Un seul mot : Continuez », « A l’image de nos Lions Indomptables, Les Camerounais doivent blah blah blah… »
Que penser de la corruption environnante ?
L’exemple, dit-on vient d’en haut !
Que penser de l’incurie générale ?
L’exemple, dit-on vient d’en haut !
Que dire à cet enfant qui veut devenir Ronaldo ?
Que dire à cette jouvencelle qui cherche son Blanc sur la toile ?
Que dire à une jeunesse dont le pays est le pire des cauchemars ?
Pourquoi lui reprocher le rêve d’un ailleurs américain ou européen au bonheur incertain ?
Comment la graine de l’espérance a-t-elle péri dans le néant de la capitulation collective ?
« Ma sœur, c’est ça que je mange ? »
Quand le ventre est vide la tête ne pense qu’à le remplir. La réalité opprimante du quotidien n’accorde pas de temps à la réflexion. Dans la rue, les passants marchent d’un pas nonchalant. La vendeuse de beignets transpire à grosses gouttes derrière ses fourneaux. Le petit marchand de cacahuètes assis sur un banc de fortune compte ses pièces de dix francs. Les motos-taxis disputent les trottoirs aux piétons et les routes aux taxis : « Scrogneugneu passe ta route dis donc ! Mouf laisse-moi passer ! ». Fenêtres ouvertes sur le meilleur des possibles, les cybercafés ne désemplissent pas. Crise économique oblige, les oiseaux de nuit prennent désormais leur envol le jour. Ils barbotent dans les piscines des grands hôtels, traînent dans les cafés et les bars à l’affût d’une proie éventuelle. « Le sida est là. Le sida tue. Mais bon, il faut bien manger ma sœur…. ». Principe de nécessité contre principe de précaution.
13 h, Radio Cameroun. Les informations nationales : « O Cameroun Berceau de nos Ancêtres…. Mesdames, Messieurs, bonjour. Surpopulation de cadavres à l’hôpital Laquintinie de Douala. Tout le monde est cadavéré comme aurait dit le chanteur gabonais Zao. Les corps seront exposés demain de huit heures à dix-huit heures. Les familles sont priées de venir récupérer la dépouille de leur défunt. Les services de la communauté urbaine se chargeront d’enterrer les cadavres non identifiés dans une fosse commune au cimetière des Bois des Singes. Depuis trois jours, les habitants d’Akwa sont sans électricité. Une semaine déjà que les citadins de Yaoundé sont sans eau courante. Les épreuves du baccalauréat ont été annulées dans la province du Centre car l’eau a coulé à flot. Le censeur du lycée classique vendait à prix défiant toute concurrence les épreuves à des élèves sans scrupule. Le président de la République et sa famille sont en villégiature à Baden Baden. En transit à Dallas, le ministre de la Jeunesse et des Sports a perdu une valise contenant les primes des joueurs de l’équipe nationale de football. Aujourd’hui 15 août, fête de l’Ascension, retransmission télévisée de la messe en direct du domicile du Dr Z, grand mariologue devant l’éternel et directeur de CRTV (1) : Cameroun Tête Vide. Pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous sommes dans l’obligeance d’interrompre ce bulletin d’informations. »
Des histoires étranges sur la réapparition de personnes qu’on croyait mortes avivent les conversations. Des hommes et des femmes deviennent fous sans crier gare. Les adolescents s’acagnardent. La nuit, ils dansent en discothèque. Le jour, ils regardent MCM. Des arnaqueurs qui prétendent multiplier l’argent de mes chers compatriotes le leur volent, puis disparaissent sans laisser de trace. Salaire misérable oblige, les forces du maintien de l’ordre créent le désordre dans les rues. Elles harcèlent les automobilistes : « Patente, s’il vous plaît ? Permis de conduire, s’il vous plaît ? Wè chef, tout est en règle ! Mon ami pousse-moi 1000 francs sinon tu ne bouges pas. Tout est en règle, tout est en règle. C’est ça qui va me payer ma bière ? » Des fœtus sont jetés dans les poubelles. Des cambrioleurs assassinent sauvagement des petites vieilles à l’arme blanche pour des babioles. Des courtisans du Prince tombés en disgrâce ou frappés par le Saint-Esprit s’autoproclament porte-parole des petites gens. Certains d’entre eux croupissent dans les geôles d’une démocratie aux relents de dictature. D’autres essaient vainement de renverser le dictateur sorti des urnes avec la bénédiction de notre France bien aimée.
Comment expliquer cette nébuleuse de l’absurde et du chaos ? « Le Cameroun c’est le Cameroun », a dit quelqu’un… Je ne veux pas de ce Cameroun. Je ne suis pas citoyenne d’un pays où, au nom du fatalisme, de la débrouillardise et du « on va faire comment ? », courber l’échine devant l´inconcevable, l’injustice et l’inacceptable est devenu la règle d’or.
Je suis née un jour de juin 1977 à Paris mais mon Cameroun :
C’est celui de mon arrière-grand-père Lembè Elamè Freeborn. Condamné à vingt ans de travaux forcés parce qu’il s’opposait à la colonisation française, il resta dans les camps de Kousserie et de Mora de 1940 à 1950 avant de se voir accorder une remise de peine.
C’est celui du Mpodol (2) mort au maquis parce qu’il ne voulait pas sacrifier son idéal de justice sociale à l’autel des compromis néo-coloniaux.
C’est celui qui après avoir autrefois vécu dans la barbarie, peu à peu sortit de sa sauvagerie.
C’est celui pour lequel des intellectuels comme Pius Njawé, Célestin Monga, Ambroise Kom et bien d’autres se battent.
C’est celui d’une diaspora dispersée en Europe et en Amérique qui reste consciente des luttes à mener pour la cause nationale.
C’est celui des combattants de la Liberté qui espèrent en l’avènement de lendemains meilleurs.
Nathalie Etoke est étudiante en thèse de doctorat et enseignante à Northwestern University. Elle a publié : "Song of Praise for African Women Writers", in Black Quaterly Review, printemps-été 2004 ; "Mongo Béti et les mythologies postcoloniales : héritier et inspirateur", in Présence Francophone, 60, 2004 ; "Bessombè : Between Homeland and Exile" in From Africa New Francophone Stories edited by Adele King, University Press of Nebraska, March 2004, traduit in Présence Francophone, 58, 2002 ; "Calixthe Beyala et Ken Bugul : Histoire et Regards de Femmes sur l´Afrique Contemporaine"in Africultures, 35, février 2001. Son roman "Un amour sans papiers" a paru aux Ed. Cultures croisées (2001).
1. Cameroon Radio and Television.
2. Mpodol : « Le Sauveur » en langue bassa, nom attribué à Ruben Um Nyobé.
arts.uwa.edu.au/aflit/Etokenathalie.html