Pierre Valéry Lobé Békombo est allé rejoindre Doumbe Djengué
Par Léo Nséké
Saturday, November 7, 2009 at 1:47pm
On lui connaît un tas de surnoms. Pivalo, Valo, Lob´a Valéko ... Valéry Lobé, comme il aimait à signer, avait un nom et était une personnalité de la musique. Formidable artiste, il aura contribué à grossir les rangs d´une ribambelle de batteurs camerounais lancés avec Ben´s Eléssa Ndiné qui officia avec les Manu Dibango, Jo Tongo et autres dans les années 60.
Depuis, les Lions de la scène ont le rugissement haut avec les Bell´a Njoh, Ebenezer Dihan (Donald Wesley), Christian Bourdon, Félix Sabal Lecco, Narcisse "Spirit" Enoumédi, Guy Bilong, Denis Tchangou, Conti Bilong, Wassy Brice, Jojo Kouoh, Alix Ewandé... et j´en passe ...
Pour la petite histoire, il était le frère cadet de François Bekombo "Moro", ancien défenseur du Caïman Akwa Club et des Lions indomptables qui tint tête à un certain Jaïrzinho, lors de la tournée du Botafogo FC au Cameroun dans les années 70.
Comme plusieurs, j´ai découvert Valo alors qu´il officiait dans les EB´S (Ekambi Brillant Show) d´Ekambi Brillant lors des mêmes années 70. Il trônait sur son set de drums comme un prince et défiait tout le monde. Pour preuve, ce show mémorable au Stade de la réunification en 1978 qui réunissait de grosses pointures dont le "Brillant" et surtout le groupe congolais Mbamina avec le franco-arménien Denis Hekimian aux fûts ! Ce fut simplement un duel à distance de feu...et Valo !!!!! y gagna en notoriété !
Monté sur Paris, la suite de sa carrière appartient à l´histoire de la musique qu´il influença à sa façon en accompagnant un lot d´artistes de tous les continents. Influencé par le Funk et la Soul, il introduisit en même temps qu´Ebeny "Donald Wesley" une nouvelle rythmique au Makossa... Un boulot de sape réalisé avec les autres orfèvres qu´étaient Vicky Edimo, Toto Guillaume et Aladji Touré... Avec ce dernier, il poursuivait jusqu´à tout récemment avec sérieux son travail d´initiateur...
Contacté pour mes propres pièces, Valo ne s´épuisait pas de conseils... La critique positive et constructive, cet excellent musicien était d´une rigueur qui faisait plaisir à voir et je bénéficiai de son savoir avec humilité.
Valo a aussi été un auteur-compositeur, pourtant méconnu, qui offrit de beaux morceaux à de super interprètes. J´ai particulièrement dégusté "Wé ndé mba né ndé wa" posé sur l´album "Beneground" de Douleur (Douala Toubé Alexandre) et il y a deux ou trois ans, "Biala" rendu avec simplicité par l´Angolaise Florence Chitacumbi... qu´il accompagnait avec le regretté Doumbé Djengué !!!!
La douleur est vive et je prends le temps de digérer cette autre perte monumentale pour LA musique en général et le Makossa en particulier. On y reviendra !
======================
IL S’APPELAIT VALERY LOBE
Par Suzanne KALA-LOBE
Un monstre de la musique camerounais a disparu. Il est mort en plein concert, dans une ville allemande, à Constance, à 200 kilomètres de Berlin en Allemagne, vendredi 6 novembre.
En pleine promotion du premier album du bassiste Aladji Touré « New Face », Valérie Lobe interprétait à la batterie un remake du fameux morceaux de tOto GuIllaume, composé dans les années 80 « Dibena . Il revisitait à la grosse caisse, avec les cymbales et les autres accessoires de sa batterie, ce titre qui fut un des premiers mouvements du renouvellement rythmique et harmonique du Makossa. Avec sa carrure, son trop plein d’énergie Valérie Lobe savait donner le groove qu’il fallait aux morceaux les plus récalcitrants.
En une fraction de seconde, toute sa vitalité s’est rompue, suspendant à jamais la vie de ce grand homme. Certes, il y a des sujets plus « importants », peut-être même plus rassembleur pour une chronique que de parler de la mort d’un batteur. Mais celui-là, avait lui aussi son importance dans la culture camerounaise et africaine et même dans la culture du monde. Il avait son esthétique propre. Il faisait voleter les baguettes, frappait avec une dextérité inouïe, caressait avec tendresse, pour un homme de sa corpulence, les toms. Il drivait sur les rythmes et les sons. Il amenait cet instrument complexe et lourd à la manipulation – parce que composé de plusieurs éléments- à se plier à sa fougue, lui donnait une sensualité que lui reconnaissent toutes celles et tous ceux qui ont travaillé avec lui. Valérie Lobe a accompagné les premières années de la fameuse L’Equipe Nationale du Makossa.
Cette écurie camerounaise qui voulait produire un son, avec une certaine homogénéité, tout en donnant aux chanteurs la place qu’il leur fallait. Il accompagna, avec Touré et Toto GuIllaume, toute une génération de chanteuses et chanteurs, et fit les plus belles heures de la variété makosssa.
Sa mort intervient dans un contexte complexe et brumeux de l’avenir de la planète. Elle s’inscrit dans la conjoncture des décès AVC ou ACV, qui sont devenus le lot quasi régulier des quadra et quinqua camerounais, qui ont vécu une vie dense, mouvementée, qui ont laissé le poids de l’âge prendre le dessus de leur peau, sans prendre le temps de peser un peu le pour ou le contre …! Lui, aura visité pendant ses trente ans de carrière tous les rythmes du monde prouvant de manière aussi limpide qu’il usait de la caisse claire que la musique est le langage universel des hommes et que son alphabet est unique : Si les notes sont des voyelles qui donnent de la couleur aux mélodies, les rythmes sont des consones qui tressent autour des mots une syntaxe poétique. Il savait que le rythme est une base extraordinaire, que la batterie et la basse, imprègnent de leurs pulsations métriques, les musiques du monde.
Mais la mort est une insouciante. Et nous, nous sommes insouciants devant la mort. Malgré toutes les civilisations et le temps des hommes, chacun pense avoir l’éternité devant lui, voire même une éternité pour vivre. Alors on consomme les jours, les années avec une lenteur toute calculée persuadé(e) que demain est toujours loin. Elle, la mort, la faucheuse macabre, et macabre, s’insinue dans le temps et dans l’espace. S’infiltre dans les villes et les maisons puis avec une brusquerie sauvage, vous loge une balle dans le cœur.l’arrêt cardiaque suspend le temps, il est si retentissant qu’il vous fait regretter de n’avoir pas assez vécu. Mais il est trop tard. La Dame macabre danse sur votre vie. Elle enjambe vos souvenirs, entraînant dans son sillage votre vie qui passe ! . Implacable, elle se faufile, s’infiltre et même si vous vous insurgez, elle arrache à la vie des corps flétris et laisse la douleur vous envahir, sans aucune concession pour votre cœur meurtri. Elle fouette, elle happe, elle frappe, elle fauche ! .
Comme ce vendredi soir à Constance, dans un cabaret de la ville culturelle, alors que l’orchestre venait de jouer son cinquième morceau, que Philippe Monange achevait une des ces vrilles au piano dont il a le secret et que Aladji faisait tressauter les cordes de sa basse, Valérie en levant juste ses baguettes une dernière fois, n’aillait plus jamais finir son geste. La mort, cette incontrôlable, rodait-elle là, autour en attendant dent de dire son mot ?
Les croyances populaires avec une certaine philosophie pontifient sur l’inéluctabilité de cet arrêt cardiaque qui un jour vous ôte la vie tandis que les cosmogonies vous promettent le repos éternel. Elle n’avertit jamais, elle s’insinue c’est tout. Comme un chasseur tapie à l’ombre de la vie dont elle profite de chaque battement, elle entoure d’un halo mystérieux votre magnétisme, étreint vos larmes intérieures, les enserre et serre et .. C’est la fin !
Toto Guillaume était là : c’est toujours lui, l’ami de toujours, le guitariste aux doigts agiles, qui construit des accords en faisant crisser les notes, hébétées elles-mêmes d’atteindre le point B. . Ils étaient six : le katakata band. Un mot compliqué « Kataka », qui signifie en pidgin « quelque chose d’enchevêtré, de mêlé, difficile à dénouer, d’impertinent », rend bien compte de l’esprit frondeur du groupe et de sa volonté de proposer au monde une musque pour la planète. Avec son premier opus, Aladji Touré a accumulé la somme de ses expériences. Il les a amené à ses frères « blancs » ceux avec lesquels il joue depuis toujours : Philippe Monange ( piano) Thomas Koenig (sax et flûte) Florian de Juneman ( l’autre guitare) . Puis il s’est appuyé sur ses racines en prenant pied sur triptyque bantou : la basse, la guitare et la batterie, devant conduire les autres et il a balancé la sauce . C’était un soir de concert . Et l’orchestre venait de jouer le cinquième morceau .. Dibena .. Il en restait encore d’autres à jouer avant la fin du concert et Valérie avait pris son envol… Mais elle, la grande faucheuse était là., Elle attendait son heure . Dissimulée sous la grosse caisse. Ou soufflant peut-être à contretemps sur les cymbales .. Qui sait . ?
Tandis qu’en Allemagne les notes sonnaient et que les nœuds se nouaient en cadence au Cameroun, une formation politique fêtait un anniversaire ! Le Rdpc célébrait comme d’habitude sous les yus yus, les flons flons et les ronrons hagiographiques , la 27 imée année de la durée au pouvoir d’un chef d’Etat qui disait vouloir faire entrer le Cameroun dans un ère nouvelle . Il parlait un langage qui emballa bien des jeunes . Mais 27 ans après , il était toujours là. La démarche claudicante . Le haut du crane dissimulé sous des implants. . Le sourire figé. Le visage fermé. Il décida cette année d’écrire une lettre spectaculaire aux camerounais, diffusée par les soins de la communication présidentielle dans tous les journaux du pays .. Pourquoi aucun journal privé ne refusa-t-il pas cette mascarade .. SE faire l’écho d’un immobilisme à la tête de l’Etat ! Quelle galéjade ! Il fallait refuser cette manière de prendre langue avec le peuple en lui promettant que même à 100 ans , même sénile , il continuera –si Dieu le veut – gouverner le pays . Lui, aussi croit en l’éternité de sa vie . Sinon, il se serait empressé , il y a moins de 20 ans, à changer de métier. Il n’y a aucune obligation de rester président jusqu’à la mort . Il n’y a aucune raison d’attendre la fin de la République pour changer de Royaume.
Les deux événements ont un lien entre eux : La fin de tout, commence par la mort. Mais la grande différence est que Valérie Lobè n’avait pas choisi de vivre si peu de temps là alors que Paul Biya veut rester Président jusqu’à sa mort .. Le Rdpc célébrait donc un règne incompatible avec l’idée de République en se réfugiant derrière l’apathie du peuple qui aurait choisi jusqu’à la mort , de vivre avec celui qui en 2011 sera quasiment octogénaire !
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Un peuple mérite-t-il tant de mépris .. Valérie Lobè n’aimait pas trop parler de politique . Il estimait que ses baguettes n’avait que la magie de faire danser les sons, faire valser les rythmes et lancer des passerelles entre les peuples du monde . Il croyait que fondamentalement on peut être africain et bien d’autres choses en plus, mais qu’il fallait garder des marqueurs personnels, pour ne pas se perdre dans les rencontres du monde . A sa manière , il était un poète . Car la poésie est la conversation de la musique .
Il savait murmurer et dialoguer et confiant à la charleston, le poids de son énergie . La batterie est un instrument complexe : il doit structurer le rythme, faire voler les notes , tinter les mélodies . Il ne dispose pas des cordes ou d’un clavier ou des variations d’un instrument à vent . Il doit réussir à faire de la musque rien qu’en scandant le rythme et faire valser les cadences avec douceur et harmonie . Valérie& savait le faire . Et ses mains voletaient autour de ses baguettes qu’il disait magique .. Lorsqu’on lui demandait pourquoi, il répondait tout simplement avec un petit sourire en disant que ces « machins là, prennent leur envol, ont leur propre vie et se détachent de moi et de mes mains »… Il avait toujours le sourire quand il entendit la dernière note avant de mourir sans un soupir . Il s’appelait Valérie Lobe Bekombo . C’était un quinquagénaire de notre temps ..
--------------
Compilation de Brother Metusala Dikobe