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05.07.2006
La dernière déclaration des biens du 1er triumvir
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A l’annonce de son décès survenu le 29 juin dernier à l’hôpital Laquintinie de Douala, Aimé Francis Njemen, un cadre de son parti, a indiqué qu’il fallait s’y attendre. "Pour qui a vu de près M. Essaka lors de la campagne de la dernière élection présidentielle d’octobre 2004, la nouvelle du décès du Premier triumvir de la Démocratie intégrale au Cameroun (Dic) n’est pas vraiment une surprise. On le savait malade. Son accident de circulation de 2005 en a ajouté à l’hypertension dont il souffrait depuis des années. Mais aussi affecté ses membres inférieurs", a-t-il déclaré, sur un air de désolation. A l’hôpital Laquintinie où il est mort, les médecins sont avares de parole. A peine apprend-on que ce politique avait de sérieux soucis avec ses jambes. Seuls ses bulletins antérieurs de santé brandis par un proche parent indiquent qu’il souffrait d’hypertension artérielle. Au quartier Kotto Bloc à Douala où se trouve la résidence de Gustave Essaka, parents, amis, militants, sympathisants et connaissances portent le deuil.
Tout ce monde est cependant unanime à reconnaître que "c’était un homme modeste". En témoigne son appartement. Ce logement (du quartier Kotto Bloc à Douala) lui a été gracieusement offert par son employeur, la Communauté urbaine de Douala. Un cadre vraiment sobre: quelques fauteuils rembourrés sont disposés à l’intérieur du salon, une salle à manger composée de cinq chaises sans mousse, une espèce de table de travail placée à l’angle du mur. Quelques vieux journaux et revues scientifiques sont rangés sous le guéridon, une lampe tempête qui attend éventuellement une coupure d’électricité, des fils électriques qui traînent, mais pas une seule ombre de poste radio ou de téléviseur dans tout ce décor. Si on le dit démuni depuis de nombreuses années, il faut surtout reconnaître que Gustave Essaka n’était pas du genre ostentatoire. "Il a transmis sa manière d’être à ses proches et aux militants de son parti. Il avait le sens de la mesure dans les actions et la gestion des biens", commente Vepayou Souleymanou, le troisième triumvir de la Dic.
Ce trait de caractère, que ses voisins de Kotto Bloc lui reconnaissent, s’est surtout matérialisé lors des différentes campagnes électorales auxquelles il a pris part. Pour la présidentielle de 2004 par exemple, c’est fièrement qu’il affirmait que les militants de la Dic ont participé au financement à hauteur de 900.000 francs Cfa pour payer la caution de leur candidat qui a été de tous les rendez-vous présidentiels au Cameroun depuis 1992. "J’ai du compléter avec mes économies à hauteur de 600.000 F", avait-t-il alors précisé. Contrairement au scrutin de 1997, ce ne sera donc pas sa fille, née d’une relation avec Ingrid, une ancienne camarade de faculté à Berlin, et actuellement basée en Allemagne, qui versera le million cinq cent mille francs exigibles. Pour Gustave Essaka, cette participation de tous à la vie de la formation politique qu’il a mise sur pied en 1990 "interpelle tous ceux qui s’y identifient".
Traumatismes
Né le 24 novembre 1935 à Douala, celui qui deviendra à 55 ans le Premier triumvir de son parti, contrairement à tous les adversaires du candidat de Paul Biya, ne cachait pas sa rancune pour le premier président camerounais Ahmadou Ahidjo. A-t-il gardé de nombreux traumatismes du régime de ce dernier? Sans doute. A l’abord de la question, il devenait hystérique. Du fait de sa colère, ses trous de mémoire décuplaient et son propos chaque fois devenait incohérent. Dans la profession de foi qu’il se donne lors de la présidentielle de 2004, on peut lire que "la démocratie n’a pas pour vocation de vouer un culte païen forcené à un tyran sanguinaire, bien au contraire. La France a imposé au peuple camerounais un terrible dictateur et ce après que cette France néocolonialiste ait versé le sang de beaucoup de patriotes et aussi contraint d’autres patriotes à l’exil. Ce dictateur, c’était Ahmadou Ahidjo". Lui qui a fait subir à Gustave Essaka et à ses proches le calvaire de la prison politique, de l’enfermement et plus tard de l’exil. Contre le rapatriement la dépouille de Ahmadou Ahidjo, il déclare sans ambages que: "c’est un sacrilège, pure démagogie de vouloir réhabiliter la mémoire d’Ahidjo".
Toujours est-il que sorti du champ de "la répression sanglante d’Ahidjo", jusqu’à sa mort, Gustave Essaka se rappelait, sans le moindre mal, tous ses amis et camarades d’enfance. Il parle avec précision de certains de ses camardes de l’école primaire de Bali à Douala, particulièrement de l’ancien Délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala, Pokossy Doumbé, qui l’a aidé à trouver un emploi à la Cud. Contrairement à ses camarades, son baccalauréat option mathématiques élémentaires obtenu en 1956 au lycée Leclerc ne lui ouvre pas automatiquement les voies des universités européennes. Entre 1956 et 1961, le jeune Essaka offre ses services comme enseignant de mathématiques et d’allemand au collège King Akwa. Son perfectionnement en cette langue devait lui permettre, raconte-t-il aujourd’hui, de comprendre les décisions de justice écrites en allemand, concernant Rudolph Douala Manga Bell.
Grâce à une bourse, il quitte le collège King pour l’Allemagne, où il effectue des études supérieures en sciences physiques, dès le 28 février 1961.
Il est renvoyé quelque temps plus tard de l’université libre de Berlin Ouest qui l’avait accueilli, avant d’être expulsé d’Allemagne. Pour de raisons politiques. Sur le chemin du retour forcé au pays natal, Gustave Essaka, selon ses propres dires, déjoue ses gardes allemands commis pour le ramener au Cameroun, au cours de l’escale d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Il rejoint la France plus tard par bateau. "Les Français étaient au courant de ma présence sur leur sol, mais les autorités n’avaient pas reçu d’ordre des dirigeants camerounais pour m’expulser", relate-t-il. Entre temps, il s’inscrit à l’université d’Aix la Provence où il perfectionne son allemand. Il suit, en même temps, des études de chimie à Marseille. Après le diplôme universitaire d’études scientifiques (Dues) de l’université de Marseille et le diplôme universitaire des études littéraires (Duel) de Aix la Provence, il soutient un Dea à la Sorbonne sur le thème: "l’asile politique en Allemagne: mythe ou réalité".
Combat
De tous ces tourments, Gustave Essaka tire une philosophie de l’existence fondée sur la simplicité, l’endurance dans les épreuves et la résistance au combat. Des valeurs autour desquelles il bâtit son action politique propre et celle de son parti, qu’il dirige jusqu’à sa mort sous la forme d’un triumvirat. Selon les organes dirigeants de la Dic son épouse Mme Essaka née Annette Soppo Mbou (véritable attaché-case), fait office de deuxième triumvir, aux côtés de celui dont personne n’a presque jamais entendu parlé, Vepayou Souleymanou, comme troisième Triumvir. Eternel insatisfait, Gustave Essaka aime à se faire appeler "le Camerounais errant", pour sa mémoire permanemment en quête de découverte, pour sa volonté de connaître, pour sa soif de liberté et pour son long exil. Après l’avoir découvert au début des années 90, la plupart des Camerounais ne l’auront entendu parler qu’à l’approche des élections, et notamment les différents scrutins présidentiels. Pour lui, la raison de ces apparitions sporadiques et bien ciblées est pourtant simple. "Mon parti n’a pas assez de moyens. Il n’est pas financé par l’argent de l’Etat ou par des lobbies occidentaux comme le sont les autres formations politiques". Et cela se voit à travers tout ce qu’il aura été.
Longtemps après le départ du pouvoir de Ahmadou Ahidjo qui l’avait condamné à mort en "catimini", Gustave Essaka revient finalement au pays en 1988, parce que, reconnaît t-il, "on a toujours la nostalgie de son pays". Il renoue avec la vie au Cameroun, exactement par là il l’avait quitté. C’est ainsi qu’avant la création de la Dic en 1990, il pose ses valises, une fois de plus, au collège King Akwa. Plus que par simple nostalgie, c’est surtout pour de questions familiales que Gustave Essaka n’a cessé de faire des va-et-vient au sein de ce collège. Et au-delà du portrait que chacun peut ainsi faire de l’homme, il a eu le temps de brosser, en quelques mots, son propre portrait: "un homme libre ayant les mains propres, un homme d’un patriotisme éthéré ayant préféré connaître les affres d’un long et terrible exil politique que de trahir la mère patrie. J’ai la trempe, l’intrépidité d’un Douala Manga Bell, d’un Ngosso Din, d’un Paul Samba, d’un Félix Moumié, d’un Ruben Um Nyobe, d’un Ernest Ouandié, etc.". Dans son combat contre le "néocolonianisme à outrance et la falsification de l’histoire du pays", il n’hésite pas à ajouter une autre corde à son arc: la déclaration des biens. Il insiste pour que l’article 66 de la constitution du 18 janvier 1996 soit appliqué.
Pour convaincre les autres candidats et gestionnaires de crédits, il publie la liste de son patrimoine. Sur cette lancée, il s’élève contre ce qu’il appelle "les tueries dans nos hôpitaux publics". Pour lui, les soins médicaux doivent être gratuits pour l’ensemble des populations. Il prône des sanctions exemplaires contre tous les professionnels de la santé qui se seraient rendus coupables de la mort d’un citoyen. Un combat pour la transparence dont il prétendait récolter la satisfaction morale avec l’adoption et la promulgation de la loi sur la déclaration des biens jugée infirme par celui qui n’a eu ces temps derniers de reprendre le poète : "J’ai fait mon œuvre, j’ai vécu".
Quotidien Mutations
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