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08.08.2006

Résistance Sawa : La force du souvenir 

L’histoire ne se produit pas en dehors de la manière dont les hommes ou les peuples la vivent. Quand son passé est douloureux, les souffrances engendrées par l’histoire, mais aussi les espoirs et les rêves brisés éclatent parfois en révolte comme des ballons de baudruche.

A Bona Bam o Min minya ma ndutu musango mu be na binyo.

En ce 08/08/06, je suis venu dire un vibrant hommage aux Très Honorables sieurs Rudolf Dualla Manga Bell et Ngosso Din.
Pour cela, je n’ai ni refrain ni couplet, ni tambour ni trompette non plus, mais un souffle. Autrement dit, cette respiration étouffée qui vous évite de perdre halène devant l’inacceptable atrocité.

En ce triste anniversaire des pendaisons crapuleuses du plateau Joss, je viens simplement récuser une certaine idée de la ‘’dissidence’’, de la ‘’ subversion ‘’ de la ‘’haute trahison ‘’ telles que nous les ont appris nos tableaux noirs des classes en cours moyens du primaire.
Mais Mboa je ne vais pas dire ici ce dont la Résistance est faite. Aussi solitaire et aussi tragique soit-elle parfois pour chacun de nous, tout le monde a sa propre expérience des oppositions face à l’injustice. Ces oppositions qui n’étant pas seulement la raison de vivre deviennent souvent celle de mourir !

Et comme on prendrait soin d’une manne inespérée, je suis venu simplement, mes frères, prendre soin du message des morts. De nos morts. D’en éveiller la trace, d’en entretenir la mémoire, d’être, en quelque sorte moi-même, dans l’intimité de mon minuscule logis, le souci de la souffrance du passé.
A Bona Bam, nous le savons tous, ce qui fascine dans la politique c’est l’exercice du pouvoir ; ce qui fascine dans la morale c’est la pratique de la vertu ; Mais ce qui fascine dans l’histoire c’est l’héroïsme de certains.
Rudolf Dualla Manga Bell dans son pouvoir exercé avec vertu était un chef héroïque. Tombé aux champs d’honneur pour la patrie, le souvenir de sa disparition nous amène à développer une lucidité autocritique sur nous même, à poser de nouvelles questions, pour peut-être imaginer des réponses neuves. Pour faire en sorte que nos erreurs d’hier ne soient pas des fautes de demain :
- Comment dans nos revendications comme dans nos modes d’organisation, trouver de nouveaux équilibres entre la nécessaire solidarité et les aspirations individuelles de chacun ?

D’autre part, c’est peut-être aussi le temps, mes frères et sœurs, l’occasion douloureuse de se rappeler aussi que lorsque la servitude et la délation étaient la règle, l’accès aux privilèges s’imposait comme fondement de l’organisation sociale. Il est maintenant bien connu de tous que la dénonciation calomnieuse ne mène pas davantage au bonheur suprême que ne le fait le courage et l’amour.

Cela, tétè Dualla Manga Bell le savait pourtant ; mais il avait raison trop tôt !

De Berlin à Yaoundé, depuis des années, ceux qui gouvernent le Cameroun entretiennent toujours la même alliance du sabre et du goupillon. Celle qui veut fixer les dogmes de leur histoire commune. Celle qui, hélas, veut imposer une conscience historique commune autant qu’une moralité commune. Toutes deux pourtant fausses.

Et comme la paix sociale tant clamée par l’Etat est l’exutoire providentiel de tous les mécontentements et de toutes les nostalgies, alors on pérennise pour les uns l’incuriosité et pour les autres, on force à l’oubli. Pour le plus grand bénéfice de l’ignorance, on frappe même de suspicion toutes publications gênantes en les qualifiant improprement de ‘’mensonges’’, de révisionnistes ou même de négationnistes.
Mais le souvenir, dans sa force et dans sa flamme reste entièrement imprescriptible dans la mémoire de beaucoup de Sawa.

Alors comment tourner le dos à un passé toujours aussi présent. Comment oublier cette inexpiable tragédie qui déborde nos cœurs meurtris, qui soulève les soupapes des douleurs les plus vives et qui reste pondérable dans le trouble effaré des consciences.

Parce qu’au vu d’innombrable crimes perpétrés par l’armée coloniale allemande sur la côte Camerounaise, nous, Sawa d’aujourd’hui, sommes, il faut bien l’admettre une communauté de survivants.

Mais au-delà de la dimension compassionnelle des tragiques évènements de ces années de plomb, le point moral le plus bas est le peu d’intérêt que portent les pouvoirs publics sur la caractère pédagogique d’un tel évènement. Où est donc passée cette sagacité républicaine si encline à prodiguer des enseignements sur l’exemplarité des hommes du passé. Y a-t-il encore une place dans la nation pour le chant panégyrique à bon escient.

Un espoir tout de même : Les Sawa dans leur immense majorité s’efforcent jour après jour de se dépouiller de leur gangue de mutisme pour s’énoncer brillement dans la juste langue du témoignage. Voie indispensable pour le rétablissement de la juste mémoire.

Mes frères, la meilleure façon d’écrire parfois l’histoire des victimes que nous sommes hélas, c’est aussi, peut-être, de faire l’histoire des bourreaux et des tortionnaires, de dresser la généalogie de notre présent.
’’Conserver les acquis d’hier surtout s’ils ont été mal acquis’’ aurait pu être la devise de l’Allemagne colonialiste.
Et pour cause : que l’exaltation de la richesse germanique à travers ses butins trouve des débouchés dans la glorification de la spoliation coloniale, est vraiment une provocation abjecte de la part de l’Etat allemand.

A croire que dans cette société allemande marquée par le sceau de la Seconde Guerre Mondiale on prétend avoir dépassé le tropisme du recel des biens et de la spoliation ; pourtant elle ne fait pas mieux que se cacher derrière le masque d’une répétition de repentances purement imaginaires.

De Yaoundé à Berlin sur cet axe qui n’est ni lourd et pas encore celui du mal mais déjà plus insidieusement, celui du silence, on joue au jeu de la coopération dite internationale sous la hantise du mythe du sauveur Blanc et sous le mirage de l’espoir d’un développement durable.

Aux réclamations légitimes des chefs Sawa du Cameroun répond en échos le calme plat de L’infâme exposition muséographique allemande.
Ni les Conventions Internationales en applications, ni associations européennes des ‘’droits des victimes’’ habituellement chatouilleuses lorsqu’il s’agit de restitutions des biens symboliques ne croient pas encore utile de réagir pour le cas Camerounais. C’est encore là un indicateur clef de la contradiction qu’entretiennent les sociétés blanches sur la notion de vérité, de repentance et sur les réparations à caractère historiciste. Si ce n’était pas tragique, ce serait drôle.

Mboa dans une relation il y a ce qu’on est capable de donner, ce qu’on veut bien recevoir et parfois ce qu’on est appelé à subir. Le contentieux domanial et foncier de 1909 avec Bélè-bélè ne sont que le début d’une très longue liste de frustrations que nous fait subir l’administration du IIème Reich, loin de cette œuvre civilisatrice prônée par la bourgeoisie allemande.
La commémoration n’est pas un aboutissement , c’est un début. C’est l’affirmation nécessaire d’une mémoire de lutte et de Résistance partagée par tous Sawa. C’est l’idée même de la transformation culturelle de nos rapports avec l’occident, l’Etat et le passé qui est redéfinir.

S’il est évident que le cas de Dualla Manga Bell n’est pas le seul inscrit sur les stèles de nos martyrs, il n’en demeure pas moins qu’a travers l’idéal de sa contestation il reste le paradigme même de notre combat contre l’impérialisme. Et cela, bien plus symboliquement que les combats rageurs qui ont précédés, de quelques années, nos indépendances nominales des années 60.

Il y a aujourd’hui, dans les relations post-modernes, entre les Etats Camerounais et Allemand des échanges réguliers des lettres de créances diplomatiques qui s’accréditent de part et d’autre des deux capitales.
Mais qu’il soit bien clair et bien compris que ces lettres de créance pour l’homme Sawa seront, un jour, autant de chèques à débiter dans le compte (du passif) de l’histoire Allemande !
La paix avec les allemands ? oui , oui aussi aux négociations réconciliatrices ! Mais doit elle vraiment se construire sur la fausse conscience ! Sur les décombres du passé, le nivellement équitable est nécessaire. Pourquoi donc ce feuilleton d’hésitation avec nos politiques !
La page de l’histoire de la Résistance Sawa peut se tourner mais elle ne se déchire pas !

De Douala à Bodiman, de Buéa à Malimba, d’Edéa à Kribi, les Sawa ont versé plus que du sang pour étancher la soif criminelle des bidasses Allemands.
Sans répit ni halte, cette armée furieuse traquait, violait, tuait, déracinait. Et cela dans l’impunité totale !

Aujourd’hui l’apologie du crime colonialiste faute de le reconnaître hante les familles des victimes comme un cancer tentaculaire. Assez donc des turpitudes et du vacarme assourdissant des partisans de l’amnésie collective ! Si pour certains la question coloniale est déjà tranchée pour nous Sawa, du XXIeme siècle, elle reste entière et incontournable.

Je formule le souhait que les noms de tous les autres déshérités de l’Histoire Sawa demeurent à jamais ensevelis dans les nimbes de notre infaillible mémoire. Et que lorsque la division fratricide fleurira comme l’ivraie des champs dans notre cour, il y ait des mains unies pour la faucher jusqu´à la racine.

Qu’il nous soit enfin donné dans notre Sawa natal autant, sinon plus, d’années de bonheur que nous n’avons eu d’années de peines et de larmes.

Avec toute ma douleur mais avec aussi beaucoup d’espoir.

R. Mandjombe

Voici ma petite larme pour cette journée spéciale.
Le 8 août 1914 Tet´Ekombo n´est plus

 

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