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09.08.2006
Evocation de la vie et de l´exécution du nationliste camerounais
"Gens de Douala,
Je m’adresse à vous pour vous annoncer que Manga (Rudolf) Bell est condamné aujourd’hui à la pendaison parce qu’il s’est montré un traître au Kaiser et à l’Empire"
Le 08 août 1914, cette proclamation signée du gouverneur Karl Ebermaier, est placardée sur les principales places de Douala. Ce même jour, vers 5h du soir le mis en cause est exécuté par pendaison, ainsi que son parent et secrétaire Ngosso Din.
L’avis officiel du gouverneur continue, précisant les charges qui valent un tel châtiment au roi des Bell :
"Il a reconnu, au dernier moment, qu’il avait été poussé par la crainte de la vengeance de ses concitoyens, de ceux que vous connaissez tous, qui, par crainte, restent secrètement à l’arrière-plan, qui couvent du poison et séduisent le peuple.
Que le sang de Manga retombe sur ceux qui l’ont poussé sur le chemin du crime!
Que celui qui ne veut pas devenir lui-même un traître, comme Duala Manga et ses aides, qu’il s’arrache à ces séducteurs, qui restent secrètement dans l’ombre et préparent du poison!
Celui qui a des intentions loyales sera le bienvenu. Le Gouvernement du Kaiser sera toujours juste et reconnaissant envers les aides loyaux et les fidèles sujets.
Ce que vous déplorez est la conséquence des menées de ces hommes des ténèbres qui –le Gouverneur le sait- ont toujours été à l’œuvre pour exciter le peuple, le maintenir dans la terreur par leurs poisons et le garder sous le joug à leur profit.
Arrachez-vous d’eux et vous serez heureux.
Manga lui- même, à sa dernière heure, a prié son peuple qu’avec sa mort, la fidélité au Kaiser et l’obéissance envers le Gouvernement puissent revenir dans le cœur des Douala".
Ségrégation
Pour comprendre la terreur qui endeuille la ville de Douala ce mois d’août 1914, il faut remonter au projet d’extension et de modernisation de Douala, imposé par le boom économique du pays, l’accroissement démographique de la ville et les nécessités d’hygiène et de salubrité dans les quartiers. Au prétexte que la cohabitation avec les autochtones indispose les Européens, le plan directeur conçu et présenté en 1910 par von Rohm, l’administrateur de Douala, consacre la ségrégation. Il prévoit la division de la ville en trois zones: un secteur pour l’établissement des services publics et des résidences pour les Européens, un secteur pour les Douala (les quartiers Neu Deido, Neu Akwa et Neu Bell), et entre les deux secteurs, une zone tampon (freie zone) d’au moins un kilomètre de large. Les Douala, déjà submergés par les Européens sur les rivages du Wouri, sont appelés à déguerpir du plateau Joss où doit s’installer la ville blanche. Mais il est entendu que le déguerpissement se ferait à l’amiable. Les négociations s’ouvrent entre les chefs et l’administration. D’accord au départ sur le principe d’un arrangement, les chefs se rétractent devant l’étendue des terres sollicitées, la modicité du montant d´argent proposé et les conditions de relogement des populations à déplacer. L’administration est ainsi amener à envisager l’expropriation.
Le décret d’expropriation, rendu public le 15 janvier 1913, s’appuie d’abord sur la disposition du traité consacrant l’abandon total à l’Allemagne, par les Douala, de la souveraineté, du droit de légiférer et du pouvoir d’administration du territoire. Ensuite sur l’ordonnance impérial du 14 août 1896, considéré comme la base de la législation foncière au Cameroun. Repris plus tard à son compte par l’administration coloniale française, cette ordonnance stipule ceci: "Sous réserve des droits de propriété ou d’autres droits réels que des particuliers ou des personnes morales, que des chefs ou des collectivités indigènes pourraient prouver, de même que sous réserve des droits d’occupation de tiers fondés sur des contrats passés avec le gouvernement impérial, toute terre à l’intérieur du territoire de protectorat du Kamerun est terre de la Couronne comme étant sans maître, sa propriété échoit à l’Empire".
Pour les Douala, par contre, ce décret et l’expropriation, entrée dans sa phase d’exécution, constituent une violation du traité signé le 12 juillet 1884 entre les rois Duala et le négociant Eduard Woermann. Le traité précise, sans ambiguïté/. "les terrains cultivés par nous et les emplacements sur lesquels se trouvent les villages doivent rester la propriété des possesseurs actuels et de leurs descendants".
La décision de l’administration coloniale est d’autant impopulaire, qu’elle vient se greffer à un autre sujet de mécontentement. Jadis intermédiaires obligés entre les firmes allemandes et les populations de l’hinterland, les Douala sont désormais supplantés par les négociants européens. La position d’intermédiaire conférait du prestige et des avantages dont la perte est vécue comme un drame, en particulier par l’élite. La résistance qui s’organise autour du roi des Bell, a donc aussi des allures de révolte d’une classe en voie de paupérisation.
Né en 1873, fils aîné du roi Manga Ndumbe, Douala Manga Bell a été formé à l’école allemande. A la mort de de son père, le 2 septembre 1908, il hérite du trône des Bell, et est intronisé deux ans plus tard, au cours d’une cérémonie solennelle présidée par Kum a Mbappe, le chef supérieur de Bonabéri. Sa formation, son séjour en Allemagne, sa fine connaissance des mœurs et de la civilisation européenne et des milieux politiques berlinois, le désignent naturellement pour porter l’étendard de la contestation.
Ses nombreuses démarches auprès de l’administration buteront sur un homme au caractère inconciliable, le gouverneur Gleim, par ailleurs soupçonné de ne pas rendre fidèlement compte à sa hiérarchie des prétentions des douala. Les chefs Douala décident alors de saisir directement la métropole; ce qui est fait par un télégramme adressé au Reichstag, le 09 novembre 1911. Le 08 mars 1912, une autre correspondance, signée de Douala Manga Bell et aussi vaine que la précédente, est adressée au Parlement. Pendant trois ans, à l’instigation de Duala Manga Bell, destitué le 4 août 1913, les chefs Douala bombardent le chancelier de l’Empire, le Bureau colonial (le ministère des colonies n’existe pas) et le reichstag de pétitions. Duala Manga Bell, empêché de porter personnellement la cause Douala en Allemagne, y sollicite les services d’un avoué et d’un avocat, qui réussissaient déjà susciter la bienveillance des milieux politiques berlinois quand éclatent la guerre et l’affaire dite de la haute trahison. Il réussit aussi à organiser le voyage clandestin de son secrétaire et parent Ngosso Din, délégué à Berlin.
Trahison
Face au fossé qui sélargit entre l’administration et les populations douala, Manga Bell envisage la rupture de la collaboration avec les Allemandds. Sans en peser toutes les conséquences, il aurait alors tenté de rallier d’autres chefs supérieures à la cause douala. C’est ainsi qu’il aurait envoyé un émissaire au sultan Ibrahim Njoya.
Sur ce dernier point de l’histoire du Cameroun, la polémique prospère. Un ouvrage intitulé Histoires et coutumes des Bamun, publié par l’Institut français d’Afrique noire (Ifan) en 1952 et rédigé sous la direction du Sultan Ibrahim Njoya, peut aider à éclairer cette enigme de l’histoire du Cameroun. Voici le récit qui y est fait de l’ambassade de Rudolf Duala Manga Bell à Foumban, auprès du sultan Ibrahim Njoya: "Il arriva que Duala, fils de Manga, envoya Ndane. Vendu depuis longtemps aux gens de la forêt, Ndane venait informer Njoya du conflit qui existait entre Allemands d’une part et français et anglais d’autre part; c’est par lui que Duala, fils de Manga, conseillait à Njoya de commencer la lutte contre les Allemands dans son pays.
Le roi Njoya envoya des messagers pour dire à Duala, fils de Manga: "Les Allemands sont mes pères, et lui est comme mon frère, comment dès lors pourrais-je entrer en guerre contre eux? Puis, il arrêta Ndane et le livra aux autorités allemandes à qui cette façon d’agir ne déplut pas. Ndane fut mis en prison, et, peu de temps après, Duala, fils de Manga, était arrêté et exécuté."
Les Allemands se préparaient à la guerre, contre la France et l’Angleterre. Ils découvrent les préparatifs de guérilla. Des faits qualifiés de haute trahison au procès du 07 août 1914. Le lendemain, Duala Manga Bell et Ngoss Din sont pendus à Douala, tandis qu’à Ebolowa, Martin Paul Samba est fusillé par un peloton allemand.
Gens du Cameroun,
Que le sang de Manga (Rudolf) Bell fortifie ceux qui prennent le chemin de la liberté.
Xavier Luc Deutchoua
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