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01.06.2010
La Halte du Cinquantenaire ! Par Charles MOUKOURI DINA MANGA BELL
Personnellement, je crois qu’il ne serait ni juste ni sain d’évoquer le Cinquantenaire de notre indépendance sans faire la moindre allusion à l’ignoble « fourberie coloniale » qui désorganisa l’Afrique et le Cameroun ; c’est pour cela que je pense opportune l’organisation de ce Cinquantenaire de notre indépendance. En effet, l’occasion est belle et toute indiquée pour dire au monde entier le martyr que nous avons connu ; comment et pourquoi les blessures et les tortures des « indépendances » coloniales font encore mal et n’arrivent toujours pas à cicatriser. Néanmoins, il faut savoir que bien avant la « Conférence de Berlin » de 1884, l’Occident impérialiste et esclavagiste avait déjà décidé et programmé de se partager l’Afrique, ses territoires et ses peuples. C’est pour cela que le Cameroun fut morcelé, défiguré et méconnaissable ; investit par la « colonisation de la croix » pour nous aliéner et nous soumettre au diktat de l’indigénat et de l’esclavage moderne ; piétiné dans sa dignité de nation, puis conduit sans ménagement au marché de l’exploitation coloniale comme du bétail ordinaire…
L’occasion est belle et toute indiquée en cette circonstance du Cinquantenaire de notre indépendance pour dire clairement à la « France coloniale » que nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, pour exécuter les yeux fermés, ses ordres et sa volonté ; mais plutôt au XXIe siècle où le Cameroun en tant qu’Etat, a l’ultime devoir de fixer seul et tout seul ses propres choix de souveraineté ; tant économiques, culturels que politiques. Des choix choisis pour un peuple en quête de liberté et d’indépendance ; des choix qui, non seulement émanent du génie de ses convictions ancestralistes mais traduisent par ailleurs la richesse et l’excellence de sa diversité culturelle à même de nous conduire sans heurts dans l’univers du XXIe siècle. Sans aucun doute, nous percevons mieux aujourd’hui qu’hier les tenants et les aboutissants de la politique coloniale française « d’octroi des « indépendances ». En fait une politique néfaste que le développement de l’expansion mondiale des sociétés industrielles a conduit à un « Fait Social total » ; un fait possédant son propre dynamisme qui s’impose de lui-même à toute autre société quelle qu’elle soit ; un « fait social » faisant partie du « jeu colonial » appelé « indépendance » ; aux fins de mieux exploiter l’Afrique comme le Cameroun ; un « jeu » incrusté de travers oppressifs et humiliants ; lesquels sont souvent exécutés sous des formes variées et sophistiquées ; tantôt enveloppés par des voilages envoûtants pourtant, crapuleux « d’Aides » ou de « democratie » ; tantôt enrobés dans des discours creux, de propagande infantile pour masquer les promesses mensongères relatives à la réduction de la pauvreté ou de l’effet de serre dans nos Etats. Tout ce qui rend par ailleurs aléatoire les politiques de développement économique en Afrique ; mais que pulse néanmoins la « Pensée libérale » occidentale surannée, avec ses théories obsolètes et ses pratiques à la limite maffieuses.
Bien entendu pour ce « Cinquantenaire », je ne peux m’exprimer ni en tant qu’expert ni même en tant que mandaté par quiconque ; mais tout simplement comme citoyen et confortable sexagénaire ayant choisi librement de m’aventurer dans les sombres labyrinthes de l’histoire politique du Cameroun.
De parler à ma façon de cette superbe « fourberie coloniale » appelée « Indépendance », pour l’avoir vécue plus ou moins, de loin ou de près avec ses tares et ses manifestations tant individuelles que publiques, résumant peu ou prou la volonté de cette terrible escroquerie intellectuelle coloniale pour nous assujettir, nous dominer, nous piller et de nous exploiter à jamais…
C’est ainsi que depuis toujours, mes yeux et mon être n’ont connu que ce « monde étranger » ; atroce et sans pitié ; sans foi ni loi ; pareille à une jungle civilisée. Comme tous ceux de ma génération, je me suis appliqué à vivre au quotidien cet affreux moutonnement colonial, indigne et humiliant pour le corps et pour l’esprit parce que criminel et inhumain ; c’est aussi vrai que d’aucuns plus à plaindre que moi, prétendirent que j’étais un homme « évolué, libre » et « indépendant » ; alors que c’était faux et inexact ; qu’à cause de mon inconscience et insouciance partout, sans m’en apercevoir, je continuais d’exhiber ma parfaite aliénation et le modèle des chaînes d’esclave moderne qui me rattachaient imperturbablement au colonialisme que je hais pourtant tant !
Maintenant, si ma version de colonisé français n’est pas conforme aux réalités historiques de l’indigénat et du protectorat de 1914 – 1919 et même sur la « Société coloniale » de 1938 – 1945, je voudrais qu’on m’instruise davantage sur le contenu réel de la « Conférence de la Paix » ; ses thèmes et ses résolutions afférents aux « libertés » et aux « indépendances » de l’Afrique et du Cameroun ?
Humblement, je sollicite quelques éclairages et demande pour cela qu’après la deuxième guerre mondiale suivie de la défaite nazie, que prévoient les résolutions internationales au sujet de l’abrogation des « Textes » et des « Accords » régissant le partage de l’Afrique et du Cameroun selon la « Conférence de Berlin » de 1884 ?
Dans ces grandes assemblées de mystification de l’esclavage moderne, la vérité souligne qu’en aucune fois, on ait évoqué ou envisagé d’octroyer l’indépendance à l’Afrique ou au Cameroun. Cependant, il s’est agi des stratégies coloniales d’endormissement et de tromperie pour nous maintenir indéfiniment dans le giron du colonialisme européen ; c’est-à-dire dans la dépendance économique, contraire de l’indépendance.
Disons, présentement dans l’espace temps de la colonisation qu’il n’existe aucun repère historique ; tant matériel, scientifique, intellectuel que culturel au Cameroun qui permette comme « symbole », d’augurer l’octroi des « libertés » ou de l’indépendance par les puissances coloniales tutrices… Par le truchement de ce « Cinquantenaire », je crois opportun d’asseoir une nécessaire réflexion sur la problématique de l’indépendance du Cameroun ; étant donné que déjà, l’Afrique elle-même, dans son entièreté, interpelle sa propre conscience et celle de l’humanité ; elle le fait en bloc, par des actes concrets, et rejette sans appel, toutes ces formes d’asservissement et de colonialisme morbides qui avilissent l’être humain et anéantissent son environnement. Par ailleurs, le monde lui-même se déconstruit et se départage entre ce « libéralisme » occidental tant vanté, pourtant carcéral et affligeant qui nous a conduits à la catastrophe économique et la nouvelle vision du monde, « l’écologisme intellectuel » du XXIe siècle. Autrement dit ce « monde-premier » ; originel et global ; apaisé et sûr comme celui de l’oralité africaine ; fondé sous la « Loi de la diversité » ; éthique et moral par ses principes sacrés de paix, de justice, de liberté et d’équité parce que propre écologiquement et ordonné naturellement pour promouvoir le développement économique, culturel, politique et l’épanouissement humain.
C’est pourquoi à la lumière des mutations en cours et à venir ; surtout dans la perspective non seulement des bouleversements inévitables de notre société (actuelle) mais également à pouvoir résoudre les contingences multiformes qu’impose la modernité et l’intelligence du XXIe siècle d’une part ; les complexités diverses et inhérentes à notre diversité culturelle ou plus exactement à notre sociologie ethnique d’autre part ; comment, dans ces conditions, opérer cette péréquation vitale, sans toutefois renoncer ni aux manifestations que véhicule ce siècle ? ni heurter nous-mêmes en tant que espèces humaines ?
Parler « d’indépendance », c’est s’engager résolument dans la voie d’un processus multiforme, complexe, délicat et de longue maturation ; un cheminement judicieux et dur qui nécessite patience, persévérance et intelligence pour collecter, rassembler et tester les matériaux tant scientifiques, politiques, culturels qu’humains. Aussi, cette indépendance peut revêtir différentes physionomies selon qu’elle découle d’une révolution, d’une revendication sociale ou d’un simple « octroi du « jeu colonial » comme dans la plupart des Etats francophones d’Afrique. Dans ce dernier cas, il ne peut s’agir que d’une « stratégie coloniale » se comportant comme un stratus pour voiler les effets pervers du « colonialisme mercantile » de la France. C’est aussi pourquoi il faut préciser en parfaite connaissance de cause en quoi consiste ce « jeu colonial » dont la France est experte et capable d’offrir gracieusement « l’indépendance » (comme des bonbons) aux gentils et dociles pupilles africains.
C’est dire que cette lamentable politique d’octroi d’indépendance inaugurée par la Ve République de De Gaulle qui est loin de convaincre les générations africaines actuelles et à venir pour ses « bienfaits » parce que relevant d’un trompe-l’œil grossier de l’impérialisme français, aujourd’hui en bute avec son passé révolutionnaire, sa conscience prétendument universelle des « droits de l’homme » mais aussi de cet insatiable désir de promouvoir malgré tout, cet abominable colonialisme moderne.
Pour l’occasion que nous offre ce « Cinquantenaire », je dois dire avec force que : « jamais la France n’a eu la moindre velléité d’accorder l’indépendance à ses colonies d’Afrique »…
Peut-être pour les non voyants et les mal voyants, cette « ruse coloniale » pour exploiter l’Afrique pouvait s’apparenter à l’indépendance ; mais pour les voyants, et les observateurs perspicaces, il ne pût s’agir que d’une « Indépendance » tenue en laisse ; d’un leurre pour appâter les africains… Appelons-ça un « tour de passe-passe » destiné à nous distraire et nous endormir par ses instruments de « magie noire » qui sont : la « démocratie » et les « aides » ; ou ceux du chantage multiforme telles que la Francophonie, la « Coopération européenne », ou l’Agence française de développement,… en fait, une batterie d’ustensiles remarquables conçus pour nous dompter, nous « civiliser » et nous anéantir…
C’est le moment idéal de poser globalement la problématique de notre indépendance et par voie de conséquence celle de la nature de l’Etat-Nation. A cet effet, fustigeant les relents offensants de ce colonialisme intellectuel qu’incarnent si habilement et pêle-mêle dogmes, concepts et idéologies inappropriés à la civilisation négro africaine, je publiais, il y a un an (voir le Messager N° 2852 du 11 mai 2010) l’article intitulé : « C’est quoi la fête du 20 mai » ? En peu de mots je disais que : « Personne n’a le droit de nous obliger à poursuivre la colonisation intellectuelle que les « blancs » nous ont imposée et qui perpétue la déstabilisation de nos sociétés et de nos valeurs ancestrales » ; Plus loin, j’ajoutais que : « Si la diversité sociologique occupe l’humanité aujourd’hui, cela n’est pas un hasard mais le corollaire qui explique comment et pourquoi l’univers global est placé sous la « Loi de la diversité ; laquelle ne parraine ni le « Tribalisme » ni la République », concepts perturbateurs et anonymes dans la civilisation de l’oralité africaine ». Dans ce même article, voulant démontrer le caractère excessif et inapproprié des concepts importés que sont : « République », « Unité » et « Intégration » nationales et en total déphasage par rapport à l’ethnicité de notre « diversité culturelle », je concluais en ces termes : « combats qu’il nous faut entreprendre avec persévérance, rigueur et lucidité parce qu’ils doivent nous extraire à la fois de l’aliénation culturelle, de l’impérialisme occidental mais également de toutes ces contingences historiques abominables ; je voudrais parler principalement de toutes celles qui ont jour après jour piétiné notre dignité, notre souveraineté et notre humanité sans que quelqu’un levât le petit doigt pour dire : stop » !
Citoyenneté
Ne s’agissant plus que de « fête » mais aussi de réflexion concernant la « problématique de notre indépendance », je constate que la prospective qui sous-tend puis expose les variables intellectuelles de celle-ci, paraît être également celle qui cultive et organise plus ou moins les perspectives utiles pour réaliser la nation et l’Etat-Nation.
Si cette prospective multidimensionnelle nous offre des circonstances privilégiées pour analyser en profondeur les tenants et aboutissants des concepts « Démocratie », « République » et leur chaîne d’institutions régaliennes, il n’en est pas moins vrai que les ratios de travail servant à la bonne compréhension de ces « concepts importés » sont également caducs tant qu’ils n’ont pas connu de correspondance culturelle dans l’imaginaire négro-africain…
C’est aussi le lieu de se demander et de dénoncer pourquoi et comment le colonialisme français a toujours cherché à opposer nos cultures et nos ethnies les unes aux autres ? pour quel intérêt et pour quelle philosophie ? S’agissait-il de créer une République viable ou de créer des antagonismes ethniques ?
Concernant les Bamiléké lisez plutôt : Dans son rapport annuel de 1936, le Chef de Région du Wouri disait : « qu’après les « Yaoundé », venaient les « Grassfield » ou Bamiléké ; éléments que l’administration regardait avec une certaine méfiance ; ils sont les intermédiaires ; les profiteurs de la situation ; ils réglementent la vie indigène et se sont créé une situation des plus avantageuses ; ils ne sont pas aimés mais ont su se rendre indispensables…
En 1938, la même autorité régionale note qu’un très fort mouvement d’immigration grassfield se dessine à Douala : commerçants, travailleurs économes, mais aussi extrêmement malhonnêtes ; ils ont fini par s’emparer de la presque totalité du commerce indigène de la région du Wouri ; et cela au détriment des Haoussa, des Béti-fang et des Douala.
Pourtant ce sont les mêmes autorités coloniales qui délivraient des laissez-passer à ces populations pour quitter l’ouest et venir à Douala… Quant à ce qui concerne les Douala, lisez plutôt :
Le rapport annuel de 1921 fait par l’autorité régionale du Wouri et destiné à la « Société des Nations » disant qu’il s’agissait de la création d’une université ; voire de l’éventualité du départ des Européens pour permettre aux indigènes de s’émanciper et de se gouverner par eux-mêmes ; selon les autorités, ces « demandes d’indépendance » étaient le fait de quelques « irréductibles duala » ; ces duala qui refusèrent de répondre à « l’appel » pour servir dans les troupes françaises hors de la colonie. Suite à cette résistance douala, l’administration française coloniale chercha à diviser ceux-ci en créant en son sein « Jeucafra » (Jeunesse Camerounaise Française) animée par un natif du canton Bell et M. Gaston Monnerville. Dès lors, avec la malveillance coloniale qui soit, ce fut la descente aux enfers des Douala…
En 1939, « Jeucafra » devint « l’Union Camerounaise » ; selon le rapport annuel des autorités administratives qui disait par ailleurs quant aux indigènes, plus précisément les Douala, « qu’ils révèlent une sous estimation des autochtones pour le moins aberrante : « les Douala sont à tous points de vue comparables aux autres indigènes de l’intérieur, note le Chef de région ; M. Cortade voyait en eux des gens psychiquement arriérés ; en tout cas, des abrutis. M. Chazelas a vu plus juste ; bien que je trouve qu’il ait exagéré ; les Douala ont une grande qualité : ils ne sont pas très courageux et ils obéissent aux ordres qu’on leur donne. C’est beaucoup ». (voir Douala ville et histoire p. 256 – 257).
Analysant très brièvement les propos injurieux et offensants des autorités coloniales de l’époque sur ces deux groupes ethniques (Douala et Bamiléké), vous conviendrez avec moi qu’il ne s’est agi que d’un « jeu colonial » mesquin et criminel ; consistant à réduire l’influence politique et le poids numérique des Douala à Douala et au Cameroun d’une part ; d’autre part à créer la haine tribale (non justifiée) contre l’immigration bamiléké alors qu’elle était initiée, entretenue et encouragée par ces mêmes puissances coloniales en charge de la gestion économique de l’indigénat…
C’est pourquoi, en toute connaissance de cause, il nous faut, dès à présent, souscrire à l’assainissement de nos rancœurs tribales et politiques pour qu’enfin nous nous affranchissions intellectuellement, psychiquement et culturellement de cette aliénation coloniale, mais également de ses dogmes et idéologies stériles qui perturbent la marche en avant de notre pays tout en demeurant des handicaps majeurs, préjudiciables à sa véritable « Indépendance »…
Par le truchement et l’organisation de ce « Cinquantenaire », nous avons cette fois-ci, l’occasion idéale pour une remise en question des « concepts importés » ; j’entends parler de ces « concepts délocalisés » depuis des siècles par le colonialisme pour nous aliéner et nous exploiter intensément. Je voudrais parler de ceux se rapportant particulièrement à la « démocratie », à la « République », à « l’unité » et à « l’intégration » nationales ; sans toutefois oublier le foisonnement inexplicable de ces institutions dites républicaines.
Aujourd’hui, non seulement notre intérêt nous pousse à décrypter les messages que convoient ces concepts mais aussi à rechercher et à comprendre quelle valeur civilisationnelle leur accorder. Par exemple, quel sens donner à la « démocratie » ou à la « République » dans un « pays à risques », comme le Cameroun parce que pluriethnique et en quête de la paix, de la sécurité, de la liberté, de la justice, de l’équité ; bref engagé au combat difficile du développement et de l’épanouissement de ses populations ?
Quelle équivalence traditionnelle ou culturelle pourrait signifier la quintessence de la « Démocratie » ou de la « République » dans nos consciences alors que dans l’expression culturelle des peuples bantous et semi-bantous (Bassa, Bakweri, Bamiléké, Bamoun, Massa, Douala, Banen, Ewondo, Batanga, Bulu, etc), ces « concepts » importés n’ont ni nom, ni symboles. Dans cette cacophonie intellectuelle et de confusion politico-administrative qui singularisent le Cameroun par sa configuration pluriethnique innée, peut-on nous dire quel contenu et quel sens accorder à la « démocratie » et à la « République » ?
Quelles institutions et pourquoi faire ?
Une telle inadéquation entre ces « concepts colonisants » et les préoccupations multiples et quotidiennes de nos peuples est-elle acceptable ? Sinon, compréhensible pour un Etat comme le Cameroun ? Dans ces conditions, et avec un tel déphasage parce que ces « concepts étrangers » n’ont subi le moindre polissage, accommodement, amendement ou adaptation par rapport à notre culture endogène aux fins d’épouser ou de traduire fidèlement nos sensibilités ethniques ou nationales, quel seuil de tolérance donc leur accorder ?
De peur d’être marginalisé ou de se voir proscrire des cercles de l’intelligentsia, personne n’a osé déclarer que les voies périphériques de rafistolage ou d’amendement constitutionnel n’étaient pas la solution à nos problèmes ; cependant révélaient l’extrême caducité et l’inadaptation à notre environnement culturel, économique ou politique. Des concepts qui renforcent l’incompréhension et l’inadéquation entre les pays du Nord et ceux du Sud ; font le lit du déséquilibre politique et sociologique du Cameroun pensant créer les conditions d’une logique égalitaire et démocratique. C’est ainsi que la mauvaise interprétation de ces mêmes « concepts » a permis l’instauration d’une logique institutionnelle de la peur, de la méfiance, de la haine et de la vengeance à peine voilée entre les peuples ethniques du Cameroun. Une logique pensait-on républicaine mais qui s’est vite transformée en instrument de l’arbitraire, d’intimidation et de condescendance tribale ; en fait une aberration politique qui s’écarte jour après jour de la nécessaire cohésion et solidarité nationales ; une hyperbole républicaine destinée à réduire au silence les minorités nationales, tout en permettant aux grands groupes sociaux de faire la loi ; leur « loi » ; la loi du nombre ; le nombre du groupe ethnique ; ce « nombre » majoritaire qui prétend être celui de la démocratie sans corollaire, ni toute autre ponctuation. Hallucinant non ?…
C’est pourquoi la « décentralisation » envisagée en ce moment mérite beaucoup d’attention et d’intelligence ; surtout par ses fondements structurels et programmatiques destinés à recueillir les spécificités ethniques relatives aux droits des minorités et des peuples autochtones.
Aujourd’hui, qui peut encore nier ou occulter ces réalités nationales, en prétendant aimer et servir le Cameroun (la main sur le cœur) ? Qui ignore encore que les ingrédients de la discorde sont là, prêts à imploser la mère patrie ? Qui ne voit comment couve et se prépare la terreur ethnique ? C’est pour cela que cette « décentralisation » ne doit pas être une simple déconcentration administrative ; mais plutôt la « solution » qui mène à la paix sociale, à la sécurisation réciproque de nos ethnies, au développement et à l’épanouissement de toutes et de tous.
Pour accéder à une « décentralisation » valable qui satisfasse l’ensemble de la communauté nationale, il nous faut prioritairement être « indépendants ». C’est-à-dire être souverains et prendre des décisions qui organisent notre avenir pour demeurer nous-mêmes par rapport à nos objectifs.
C’est pourquoi les manifestations relatives à la commémoration du Cinquantenaire de notre indépendance ne devraient pas être uniquement cette regrettable façon que nous avons et qui est africaine de faire la « fête » partout et pour tout, en grugeant les poches d’autrui ou les budgets de l’Etat ; elles doivent également s’inscrire à un moment d’intense réflexion épistémologique pour comprendre ce que veut dire « Independance » pour le Cameroun dans la conjoncture internationale actuelle ; et comment la confectionner. En effet l’indépendance que nous recherchons ne saurait être ni un rêve, ni une invention utopique ; mais véritablement une réalité sociale qui nous permette de bâtir une Nation où il fait bon vivre. Ce qui n’est pas possible sans avoir recensé et analysé au préalable la « Société coloniale » et tout ce qui s’y rattache ; ensuite fixer les objectifs (l’Etat ou la Nation) en rapport avec les moyens que nous possédons ; ce qui voudrait dire que « l’indépendance » que nous envisageons doit pouvoir expurger de sa problématique les effets pervers de la colonisation en cessant d’être sa copie conforme ; par ailleurs être cette force endogène qui créé, qui innove en s’assurant d’une traçabilité historique. « L’indépendance » qu’il nous faut, doit être synonyme à cette exigence qui énonce, formule puis explique et enseigne le procédé par lequel on apprend à connaître Dieu ; la vie et l’immortalité qui ne sont pas ecclésiastiques mais religieux ; lequel procédé n’est pas humain mais devin ; n’est pas physique mais absolument métaphysique ; n’est pas matériel mais scientifiquement spirituel.
Dire ce que je viens de dire n’est ni une prétention philosophique parce que dénué de tout concept ; ni une vision qui se propose de recréer l’humanité ; mais tout simplement une prise en compte ancestraliste qui cherche à comprendre pourquoi et comment tel ou tel fonctionnement ; c’est-à-dire la recherche de la perfection ; celle qui conduirait notre communauté nationale à trouver par elle-même les conditions idéales de vivre ensemble et vivre mieux.
L’indépendance n’est pas une invention subjective qui serve d’alimenter les débats d’écoles ; elle est la résultante des procédés organisationnels pour construire le « bien-être » et le « mieux-être » ; c’est ce qui explique que la « République » qui nous gère depuis ayant échoué, il nous faut trouver « autre chose » ; peut-être aller chercher en direction de nos structures traditionnelles qui ont permis durant les siècles à l’Afrique ethnique de vivre ensemble et vivre bien sans l’apport des blancs (avec ses différentes composantes nationales).
Le professeur Joseph Ki-Zerbo ne disait-il pas : qu’en « Afrique le pluri-ethnisme a été érigé en principe de gouvernement depuis les origines jusqu’aux empires du XIVe siècle au Soudan et aux Royaumes du XXe siècle » ? Dans ces conditions pourquoi maintenir davantage ce système colonial qui a fait faillite en démontrant et en exposant par ses insuffisances conceptuelles, ses limites ? Aujourd’hui, pourquoi manifester de tels complexes d’infériorité intellectuelle, managériale, culturelle ou autres à l’endroit de notre propre savoir ? de nos universitaires, de nos cadres et autres intellectuels ? …
Souverainement, à vous d’en juger !
La France colonisatrice n’était pas bête en nous fourguant le concept « République » pour gouverner le Cameroun ; et comme il n’y a pas d’acte gratuit en politique, le colonisateur français a pensé que c’était la meilleure manière de perturber ou plutôt de détruire en profondeur notre système de gouvernement traditionnel. Aujourd’hui la « Société coloniale » et la « République » ont montré leurs limites à cause d’une part, de l’incohérence administrative avec ses institutions républicaines, et d’autre part, l’inadéquation culturelle entre ces institutions et les attitudes au quotidien des différents peuples ethniques qui constituent la diversité innée de notre pays ; Cela donne à réfléchir !
Ce « constat » étant l’un des blocages principaux qui grippe fortement les rouages de l’Etat, que pouvons-nous faire dans ces conditions ? Sinon, changer de système de gouvernement en changeant la nature de l’Etat ? Est-ce possible, en ces moments difficiles et délicats? Sinon, nous ne pouvons nous contenter que de « Réformes structurelles » d’envergure ; citoyennes et fondamentalement économiques et politiques comme la « Décentralisation ». J’entends dire, une décentralisation multiforme, large et profonde, frappée de l’estampille « made in Cameroon » et semblable à l’indépendance.
Ce choix étant fait, établir d’urgence une nouvelle grille de législation nourrie aux vertus locales et aux idées écologiques du XXIe siècle ; c’est-à-dire des textes qui émanent d’une grande sagesse ; d’une vision plus équilibrée, plus honnête et plus juste quant à ce qui concerne la configuration sociologique des listes électorales ; parce que juridiquement, culturellement et politiquement plus justes…
Quoi qu’il arrive et quelles qu’en soient les raisons qui sous-tendent nos opinions individuelles ou collectives ; nos convictions politiques, économiques ou culturelles, de ne jamais oublier que cette « Décentralisation » est en quelque sorte, une chance (non renouvelable) pour mettre en marche le « Train-Cameroon » ; et bien réalisée, elle ressemblerait à la formule jadis imaginée par nos ancêtres afin que chaque ethnie puisse se gouverner et demeurer en paix dans les limites du Cameroun originel. Sans contrition, ni haine, malgré les meurtrissures qui ne cicatrisent plus ; les plaies et les souffrances multiples que nul ne sait, et ne peut ni soulager, ni guérir, encore moins effacer de la mémoire à cause de l’effroi des atrocités coloniales (dues à l’indépendance) avec ses innombrables tueries du « quartier Congo » ; celles des maquis ou celles occasionnées par ces « wagons de la mort » ; osons saisir l’opportunité historique que nous offre la « Décentralisation » (tous azimuts) pour « changer le Cameroun ».
C’est pour cela qu’il nous faut plaider sa cause dès à présent afin de justifier l’ambition raisonnable de nos ancêtres qui avaient compris bien avant les blancs que l’Afrique et le Cameroun ne pouvaient se construire qu’à partir de sa diversité culturelle et concrètement parlant, par une société pluriethnique. Avec force et détermination, osons commencer et laisser les jeunes générations continuer ; aussitôt que nos yeux se refermeront à jamais dans le silence de l’obscurité de la terre pour avoir cessé de percevoir cette fine lueur d’espoir qui, autrefois, symbolisait la foi et le patriotisme des communautés ethniques « Kolo-béti », l’union tribale « Ntem-Kribi » ; du « Kumze » du « Ngondo’a Sawa » ou du « Ngun » traditionnel…
La commémoration du « Cinquantenaire » de l’indépendance du Cameroun doit revêtir par conséquent un caractère exceptionnel par sa démarche authentiquement endogène et hardie. Loin du complexe inhérent au fait colonial et à la perversité intellectuelle occidentale qui voudraient que « décentraliser » avec les couleurs ethniques paraisse absurde, rétrograde, ridicule, voire risquer, nécessite dès lors, preuves et explications. D’abord il s’agit de réhabiliter notre mémoire collective et de commencer par nous désaliéner comme le fit Tevoedjere en ces termes : « Dans le souci de rachat de l’Afrique, notre but n’est pas de combattre une race, une couleur, un credo ; nous combattons tout un système de dégradation et d’exploitation ; la révolte et la haine grondent parmi ceux-là qui, un peu plus chaque jour meurent comme des chiens affamés, déguenillés et pouilleux. Je regretterai toujours d’avoir été obligé d’apprendre d’abord le français, de penser en français ; d’ignorer ma langue maternelle ; je déplorerai qu’on ait voulu faire de moi un étranger dans ma propre patrie ».
Ensuite de comprendre que ces sentiments de colère et de frustration intellectuelle trouvent leur aboutissement dans la réalité pluriethnique en tant que réalité sociologique qui se définit et s’articule par et autour des phénoménologies linguistiques, d’espace territorial et d’unité de vie ; possédant par ailleurs des modes de production des us et coutumes provenant des cultures avérées, capables de conduire un idéal civilisationnel ; en un mot des caractéristiques implacables qui précisent la nature et les contours d’un Etat ethnique viable. C’est pour cela que nous devons dire à haute et intelligible voix que les « concepts » jadis utilisés par l’administration coloniale sont aujourd’hui, non seulement obsolètes par essence et impropres à la consommation locale mais également inutiles parce que devenus dangereux dans le contexte de l’intelligence du XXIe siècle.
Dans cette conjoncture coloniale, s’il n’est point excessif de penser que l’emploi désordonné et abusif de ces « concepts » n’assume la presque totalité de l’échec de la promotion du Cameroun, on peut tout au moins estimer qu’il est à l’origine de ses turpitudes économiques, politiques ou sociales.
Pour ce faire, la prospective chargée de conduire la vision nouvelle de la « Décentralisation ethnique » doit se prémunir de courage et de perspicacité intellectuelle comme étant des déterminants sûrs pour une « indépendance » économique et politique durables. D’interpeller nos consciences et nos cerveaux pour savoir à quoi rime ce trop plein d’institutions que n’exige ni ne conforte la situation macro économique actuelle du Cameroun ? Et de m’interroger : un « Sénat », pourquoi faire ? Sachant par ailleurs que « l’Assemblée Nationale » en tant qu’institution n’est pas au mieux du rendement de son fonctionnement et de ses missions ? Il en est de même de cet autre « mort-né » qualifié de « Conseil économique et social » dont l’intérêt principal n’est que de nom qui signifie grignoter les sous de la « République »…
C’est pourquoi l’imagierie populaire de ce « Cinquantenaire » ne devrait laisser nul indifférent ; car regroupant et rassemblant partout des idées, des souvenirs et des images qui éclairent le passé de notre « Indépendance » et son immense patriotisme.
Tous nous savons que le « protectorat » de 1914 – 1919 qui devrait se concevoir en prélude à l’indépendance du Cameroun, n’a apporté aucun changement au point de vue méthode de gouvernement ou de gestion coloniale de l’indigénat ; mais nous savons aussi qu’à cette période, lors de la « Conférence de la Paix », quelques rares intellectuels et notables douala eurent le courage et l’indélicatesse d’adresser aux « Assises coloniales de Versailles » une déclaration pour demander : - la suppression pour l’avenir de toute domination coloniale ; - l’existence d’une « ligne mondiale » pour la protection des indigènes ; - le droit de choisir la nation protectrice qui leur serait assignée par les alliés ; - la révision des procès intentés par les allemands à Rudolf Duall’a Manga Bell, Aldolf Ngosso Din ; Dika Mpondo Akwa et Ludwig Mpondo Dika.
Quel toupet ! Et quelle lucidité politique ! pourtant pour un peuple d’indigènes !
A ces manifestations publiques et d’engagement patriotique pour accéder véritablement à l’indépendance du Cameroun, le gouverneur général de l’AEF (Afrique, Equatoriale Française) répondit au « Parti de l’Indépendance » (douala) en ces termes : « Il semble que ces idées soient légèrement en recul en ce moment. Je me suis attaché à démontrer aux indigènes douala que leur émancipation sera plus rapidement acquise s’ils collaboraient avec nous que s’ils veulent s’opposer à nous ; elle sortira directement du progrès de leur culture et de leur civilisation qui se fera par nous ».
Voilà enfin des propos outrageants et infâmants à l’endroit de nos morts pour l’indépendance ; des propos qui parlent par eux-mêmes pour expliquer le « jeu colonial » du dilatoire politique ; lequel « jeu » consistait à nous refuser de manière polie et voilée, la liberté et l’indépendance au profit de la « communauté française » qui est l’anti-chambre de l’indigénat et de la colonisation ; bassement physique et aliénant intellectuellement. C’est pourquoi, je pense que la problématique de ce Cinquantenaire n’est pas unidimensionnelle pour nous confiner à une vision étriquée de notre pays ; mais plutôt multidimensionnelle et fortement endogène afin de solliciter en permanence, l’excellence de la maîtrise du savoir et du génie de notre diversité culturelle. Parce qu’incapable de conclure sur les perspectives de la nouvelle société en cours d’élaboration, c’est donc à partir des questionnements subséquents à la problématique de ce Cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun que je pourrais très modestement dire que : si tout n’a pas marché, c’est que quelque chose a marché…
Raison de plus d’inviter à une intense réflexion, nos universitaires, intellectuels et cadres afin d’assumer pleinement leur part de responsabilité intellectuelle et managériale dans la marche du Cameroun. En fait d’éclairer par des voies et moyens, le cheminement que doit suivre notre pays pour s’estimer libre et indépendant. Après avoir collecté et regroupé des éléments nécessaires à cette « réflexion », les analyser, les synthétiser puis les traduire en termes de « Défi », de « Constat d’impasse » ou de « Bilan contrasté » qui permettent de concevoir « autrement », le développement et l’indépendance du Cameroun.
Pourquoi pas un Colloque économique ?
Hier, l’Afrique aphone et soumise ne pouvait crier au scandale pour avoir assisté impuissante au partage scandaleux de ses territoires ; de ses filles et fils ; et à la dislocation manifeste de ses structures sociales de gouvernement ; aujourd’hui, elle prend conscience de ses insuffisances en se projetant dans l’avenir par cette « Charte de l’union africaine » qui déclare que : « la diversité culturelle constitue un facteur d’équilibre ; une force pour le développement économique de l’Afrique ; la résolution des conflits ; la réduction des inégalités et de l’injustice au service de l’intégration nationale. Mais aussi un facteur d’enrichissement mutuel des peuples et des nations ».
C’est ainsi que d’aucuns aujourd’hui partagent largement dans le monde, l’idée qu’une République centralisée, indivisible, porteuse d’une citoyenneté unitaire et non différenciée a été dans la plupart des pays de l’Europe de l’Est et d’Afrique une « recette du désastre ».
Comment donc comprendre pour supprimer ces subtilités intellectuelles érigées en concepts dangereux et totalitaires si nous n’avons plus, ni la liberté ni l’indépendance de notre propre intelligence ? La souveraineté de nos convictions tant économiques, politiques que culturelles ?
© Le Messager
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