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06.09.2006
Cameroun : la guerre d’indépendance oubliée
L’Association des vétérans du Cameroun monte au créneaux
vendredi 4 août 2006 Par Valentine Lescot
Le Cameroun est, avec l’Algérie, le seul pays de l’ex empire colonial français à avoir connu des mouvements de luttes armées pour conquérir son indépendance. Une page sanglante et méconnue de l’histoire nationale qu’entend exhumer l’Association des vétérans du Cameroun.
S’ils ne se manifestent pas, l’Histoire pourrait les oublier. Marie Da Silva, 60 ans, ancienne combattante dans les maquis du Sud Cameroun, avait 8 ans quand l’armée gouvernementale a fait irruption dans son village, tuant la totalité de ses membres. « Nous étions 5 gosses a en avoir réchappé. Les rebelles nous ont alors recueillis. Quelques années plus tard, j’ai pris les armes », raconte-t-elle. Voici un volet du passé colonial plutôt méconnu des Français, et délibérément occulté côté camerounais. Mais il y a quelques semaines, les vétérans qui ont combattus pour l’indépendance, puis contre le régime du premier Président camerounais Ahmadou Ahidjo (1960-1982) ont refait parler d’eux, lors d’une conférence de presse à Douala le 5 juillet dernier. Leur première sortie médiatique depuis la fin des évènements en 1971. « Aucun livre d’histoire ne rapporte cette lutte au cours de laquelle de valeureux fils et filles de notre pays se sont sacrifiés », a expliqué Matthieu Njassep, ancien combattant emprisonné pendant 15 ans, et aujourd’hui Président de l’Association des vétérans du Cameroun (Asvecam) qui compte 200 membres.
Créée en mai 2005 « à l’occasion du cinquantenaire des massacres de mai 1955, commis sur ordre du Haut Commissaire Roland Pré lors d’un rassemblement de résistants à Douala », l’Asvecam demande aux autorités camerounaises de « rétablir la mémoire de ceux qui sont morts » et de reconnaître son implication dans la répression des indépendantistes. Faisant le parallèle avec la situation algérienne, l’association s’adresse également au gouvernement français. « Le Cameroun est, avec l’Algérie, le seul pays de l’Afrique coloniale à avoir mené une lutte de libération violemment réprimée par la France. Si celle-ci entreprend un rapprochement avec l’Algérie qui tienne compte du passé, il est inadmissible que le million de mort camerounais disparaisse dans la trappe de l’Histoire », déclare t-elle. Son président précise qu’il ne s’agit pas « d’ une démarche anti-française mais d’une volonté de se réapproprier notre histoire. »
Les archives militaires françaises toujours inaccessibles
Selon l’association, le pays compterait aujourd’hui plusieurs charniers. Elle entreprend actuellement de les recenser mais aussi de récolter témoignages, documents et photos. Car cette partie de l’histoire franco-camerounaise est encore en friche, comme le constate Achille Mbembe, professeur de sciences politiques et d’histoire à l’Université de Witvatersrand et chercheur au Wits Institute à Johannesburg (Afrique du Sud) : « Nous ne disposons guère, a l’heure actuelle, d’études sérieuses sur ce qui s’est passé. A ma connaissance, personne n’a, jusqu’à présent, eu accès aux archives militaires françaises. Lors de la rédaction de ma thèse, j’avais à plusieurs reprises sollicité du Ministère de la Défense l’accès à ces documents qui m’a été chaque fois refusé. Il est évident qu’il faut rendre public ces archives afin d’établir la vérité sur ce que la France a fait au Cameroun entre 1955 et 1967 ».
Retour sur l’Histoire. L’Union des populations du Cameroun (UPC), un parti politique d’idéologie communiste, est créé en 1948. Comme de nombreux mouvements indépendantistes africains, il est opposé à la colonisation. Son fondateur, Ruben Um Nyobé, plaidera sa cause jusqu’aux Nations-Unies. Personnalité dérangeante, il est assassiné 10 ans plus tard par des supplétifs de l’armée coloniale. Deux de ses collaborateurs subiront le même sort. L’UPC, frappé d’illégalité par l’administrateur colonial, entre alors dans la clandestinité et la résistance via l’Armée de libération nationale du Kamerun. (ALNK). La répression, contre les rebelles et les villageois qui les cachaient, est sanglante. Des chercheurs ou témoins [*] de l’époque parlent de bombardements au napalm par l’armée française.
En 1960, Ahidjo est porté à la présidence du tout nouvel Etat camerounais, mais avec l’aide de la France qui cherchait à maintenir le contrôle sur ses anciennes colonies. Considéré comme un usurpateur par l’ALNK, la guerre continue alors contre le pouvoir en place jusqu’en 1971, date à laquelle les principaux leaders, dont le président de l’Asvecam Matthieu Njassep, sont arrêtés, emprisonnés et pour certains condamnés à mort. Sous le régime d’Ahmadou Ahidjo, puis sous celui de Paul Biya (1982- ?) jusqu’au début des années 90 avec « l’ouverture démocratique », les anciens combattants vivaient dans la peur des représailles, témoins dérangeants d’une indépendance, pour eux, mal acquise. Ils entendent aujourd’hui sortir de l’ombre pour que la lumière soit faite sur une page sombre de l’histoire du pays et qu’on reconnaisse enfin le poids de leurs engagements et de leurs sacrifices.
[*] References: Achille Mbembe; Les écrits sous-maquis. Richard Joseph; Le mouvement national camerounais. Georges Chaffard; Les carnets secrets de la décolonisation. Guy Georgy; Le petit soldat de l’empire. Gaston Donnat; Afin que nul n’oublie. Mongo Beti; Le Cameroun d’Ahidjo. Yves Benot; Massacres coloniaux.
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