Je voudrais du fond de mon cœur partager avec vous le souvenir de la musique africaine qui a bercé mon enfance, puis vous amener progressivement à l’époque actuelle. Je vous demande d’avance de pardonner les erreurs dues aux oublis d’une mémoire d’enfant et d’avoir la bienveillance d’éclairer ma lanterne et celle des internautes qui seraient passionnés par cette aventure. Je vous remercie d’avance.
LES ANNÉES 50
Je commencerai ce voyage musical aux débuts des années 50. En effet, c’est à cette époque que j’ai commencé à écouter la musique africaine grâce aux nombreux disques vinyle 78 tours que ma grand-mère jouait sur son gramophone, elle s’appelait Victorine ETONDE TONGO. C’est du reste le début des enregistrements sur disques de la musique africaine. C’était une immense joie pour moi que de tourner la manivelle de cet appareil quand il ralentissait et que les voix devenaient caverneuses et faisaient peur aux tout petits. Le gramophone s’emballait alors et accélérait la musique qui devenait beaucoup plus aiguë. On aurait dit des voix des dessins animés de WALT DISNEY. C’était vraiment très marrant. L’appareil se stabilisait ensuite et tout redevenait normal. Une voisine, Suzana KWATE, amie d’enfance de ma grand-mère avait aussi un gramophone. Quand le nôtre s’arrêtait, c’est la voisine que nous entendions. Des fois les musiques se mélangeaient et me familiarisaient à la polyphonie et à la polyrythmie.
J’ai commencé à déguster le guitariste camerounais EPATA, le chanteur Noah NGUINYA avec les disques OPIKA, les artistes du Congo Léopoldville ( Kinshasa ) WENDO et Paul KAMBA sur les disques NGOMA ou LONINGISA. La voisine avait un faible pour la musique des Caraïbes. Alors j’ai apprécié LOS MATAMOROS sur les disques GV et la biguine de Sam CASTANDET et un certain ALFONSO. Déjà on entendait la musique américaine avec Marilyne MONROE et IN THE MOOD de Glenn MILLER. Plus tard, Jackie et Rameau LOBE donnèrent un nouveau souffle au son camerounais.
LOBE RAMEAU qui était aussi un peintre de talent a véritablement révolutionné la musique camerounaise et a créé une grande polémique sur la suprématie ou non de WENDO.Les nationalistes du Cameroun soutenaient leur compatriote sans faille alors que les indifférents et les Africains d’origine étrangère déjà nombreux à cette époque ( Sénégalais, Togolais, Dahoméens aujourd’hui Béninois, Nigérians, Congolais, etc…) affichaient un dévouement féroce pour le guitariste chanteur du Congo. Nous devons à Jackie et Rameau LOBE des titres inoubliables tels SESE qui veut dire la souffrance, la douleur et même la maladie. Le texte de cette chanson est émouvant. Il dit :
OI BWA MBA A SESE OI BWA MBA A NIN SESE
MULEMA MWA SESE MWE BOBE OI BWA MBA
EPRUNGA BOMBO E TITI NDONGO OA BWA MBA
ESELE MBA E NA DE NA NYO OI BWA MBA A NIN SESE….
Ce qui veut dire en Français:
Ne me tue pas, ô douleur, ne m’emporte pas, ô maladie.
Un cœur meurtri fait souffrir, ne me tue pas,
Ce n’est pas grand chose que de manger un morceau de sucre
Ne m’achève pas. Laisse moi boire et manger
Ne m’emporte pas, mal mystérieux.
Nous lui devons aussi
MALEYA MA SITA JACKIE :
A SITA JACKIE MALEYA MONGO ME BOBE
A PAPA RAMEAU MALEYA MONGO BOBE
NA BAI MUMI A’ I NANGE NDABO E O O
MUMI MO A WU T’EBOLO A NANGA NDE NGEYA E
NA BANGA MO NU MUT’ A MBAMBA NA PANGA MO PANGA !
A TOMBI NANGA L’EBOKO NA BANGA MO BANGA !…
Traduction :
Sœur Jackie, tes conseils ne sont pas bons.
Papa Rameau tes conseils sont durs.
J’ai épousé un homme qui ne dort pas à la maison.
Après le boulot il découche .
Je vais le laisser tomber.
Cette femme frivole, je vais la renvoyer ( chez ses parents.)
Il découche tout le temps, je vais l’abandonner.
Abandonne-le !…
Je citerai aussi EPUPA et CATHERINE BAR….
Rameau LOBE LOBE a formé un jeune artiste en herbe à qui il a transmit son grand talent.
Ce jeune va porter beaucoup plus loin le rayonnement de son illustre maître .
Ce disciple s’appelle EBOA LOTTIN A SAME.
ETIA NKONGO ANDRE
Une voix de velours à vous donner la chair de poule. Ce chanteur incomparable était aussi un auteur compositeur d’un romantisme émouvant. Il avait aussi une autre corde à son arc : le violon. Alors que d’autres violonistes de sa génération avaient opté pour une approche classique de cet instrument ( GUILLAUME MBOKA TONGO MPONDO , DOUMBE EYANGO… )
ETIA NKONGO avait un feeling de tzigane, un coup d’archer phénoménal à scier son violon en deux. Il fut surnommé BACHICHA. Ce monument de la musique camerounaise, animateur de talent connut hélas de grands malheurs familiaux avec la perte de sa sœur ELIZABETH, ensuite la mort dramatique de son frère EKWALLA NKONGO lynché par des hooligans après un match de football où le LEOPARD DE DEIDO ( l’équipe de son quartier ) avait remporté la coupe.
ETIA NKONGO était accompagné par le grand guitariste TOBBO EITHEL, lui aussi auteur compositeur interprète. EITHEL fit une carrière honorable à PARIS et accompagna GILLES SALA entre autre. Il enregistra également plusieurs disques dont MAKOM MESE.
ETIA perdit la vie dans un tragique accident de voiture. BACHICHA nous a légué des œuvres émouvantes telles que :
NA BOLA NDEDI ( dédié à son frère assassiné )
NA BOLA NDEDI E BINYO LO DIPA NDE
NA YEYE NA MAA E BINYO LO BWA NDE MBA
A’YO SE NJO A WAS’A BOBE E ( bis )
NA TE MISIYA LO DIPA NDE
NA TE MISIYA E LO BWA NDE MBA
Ce qui signifie : J’implore votre pitié et vous continuez à me frapper,
Je vous le signifie avec mes mains, et vous continuez à me lyncher.
Que ce monde de méchant est cruel
J’ai beau crier, vous continuez à me donner des coups,
J’ai beau supplier, vous m’assassinez.
ELIZABETH
ELIZABETH O DI MEYA OA ( 4 fois )
MILEMA MI MONYA WEYA O NYOLA PULISE LONGO
MILEMA MI MONYA WEYA O NYOLA SIBISE LONGO
DISI MENDE PON DIMBEYE O NYOL’A NDUTU
DISI MENDE PON DIMBEYA OA ELIZABETH ASU NYA BWAM ( bis )
Traduction :
ELIZABETH nous pleurons pour toi
Les cœurs sont en feu pour ton enterrement
Les cœurs sont en feu pour ta disparition.
Nous ne pourrons t’oublier, à cause de la peine que nous avons.
Nous ne t’oublierons jamais, notre charmante ELIZABETH
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JO TONGO "AFRO ROOTS"
Jo Tongo est Camerounais. Arrivé en France en 1964, il commence des études de pharmacie. Mais la musique a toujours été présente.
Après avoir appris la guitare en autodidacte, il prend des cours de piano classique et entre au conservatoire national supérieur de Périgueux (France). Mais, pour le père de Jo, il n´était pas question de faire de la musique un métier. Parallèlement, il poursuivra des études de comptabilité pendant trois ans.
Manu Dibango est un ami d´enfance de son père.
Jo est un fan parmi les fans et un oncle journaliste va permettre la rencontre. Manu a besoin d´un guitariste. Ils travailleront ensemble pour composer, arranger et enregistrer.
Puis, un guitariste du groupe de Manu, Slim Pezin, lui propose d´intégrer le groupe de Mike Brant dont il sera le bassiste de 1970 à 1972.
Une tournée africaine l´amènera au Sénégal, en Côte d´Ivoire, au Togo au Nigéria et au Cameroun.
Jo Tongo est donc retourné dans son pays : "J´avais besoin de suivre mon chemin, de retrouver mes racines les plus profondes, je ne voulais plus revenir ici". Il y est resté trois ans pour revenir en France en 1975.
Puis, en 1977, une autre tournée le mène en Allemagne où il séjournera deux ans, pour travailler avec Soul Tramp pour les GI´s dans les bases américaines.
En 1979, il représente le Cameroun au festival de la francophonie de Nice. Et en 1982, il obtient l´examen d´arrangement de la SACEM.
Il enregistre alors une dizaine d´albums avec le groupe Tabala et part en tournée en Suisse en 1984 avec le groupe Memphis Slim puis participe au festival Afro Rock au Zénith.
"Chez nous, on [les musiciens] est des êtres dangereux". Jo Tongo était au Cameroun à l´époque d´Ahmadou Ahidjo. Il était numéro 1 sur les radios locales et, à l´occasion d´entretiens avec des journalistes, il s´est exprimé sur des sujets sensibles. Ses idées n´ont pas plu."On m´a donné un mois pour partir du pays."
C´est en 1982 qu´il reviendra au Cameroun à l´occasion de l´inauguration du palais présidentiel. "ça a été comme une reconnaissance".
En 1992, une tournée l´amènera à Nice où il décidera de s´installer. Et en 1993, il forme le groupe The Lions qui s´est produit dans des soirées privées, des piano-bars et autres festivités.
Le disque qui vient de sortir au mois de janvier de cette année, "Afro Roots", est "la synthèse de toutes les musiques que j´aime, que j´ai jouées. C´est de la world music, j´appelle ça de la sun music."
Les paroles sont en douala, en français et en anglais sur une musique africano-mondialiste (soul, ragga, afro-antillais).
On reconnaît, au djembé, Ichiaka Tolo, dont nous avons parlé dans le numéro de janvier dans la rubrique Coup de Cœur.
Pour ce disque, qui lui a demandé un an de travail, Jo Tongo ne s´est servi que très peu de l´ordinateur. "Ce qui marche maintenant, c´est la techno. De plus en plus, l´Occidental nous impose le robot. Moi, je refuse d´être un robot."
Jo Tongo est son propre producteur. Il est maintenant à la recherche d´un distributeur.
Il a réalisé un clip sur la musique d´Afro Roots.
Avec une formation d´audiovisuelle suivie à Cannes, il veut également se lancer dans le cinéma. "J´ai beaucoup de choses à dire, à raconter. J´aimerais faire de la musique et du cinéma en alternance, un an sur deux. Mon idole, mon maître véritable, c´est Charly Chaplin."
Comme il le dit dans une de ses chansons, "j´ai plus d´une corde à ma guitare".
"Je pense déjà au prochain disque qui serait une compilation de tous les disques que j´ai faits jusqu´à présent."
Son album "Afro Roots" est un véritable enchantement. A la fois doux, rythmé, langoureux, tranquille et joyeux, il nous enveloppe de bien être. Toute sa musique donne du plaisir.
On ne peut écouter mut´a munyenge sans bouger et les voix de bosambo sont un ravissement, avec le grand plaisir de retrouver les sons d´Ichiaka Tolo.
Nice, février 1999
Contact :
Jo Tongo, 6 rue Lamartine, 06000 Nice (France) – Tél. : 04 93 92 92 74