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15.03.2008

Mamy wata: arreter la déraison capitaliste qui tue la mer 

Aux hommes sensibles, elle a de tout temps inspiré des hymnes sublimes. Ou des ritournelles comme celle du Charles Trenet qui obsède la mémoire de tout le peuple de France, évocatrice d’évasion, de farniente, et des premiers congés payés en 1936 pour les ouvriers au pays de Jean Jaurès. Elle est au cœur du Moby Dick d’Hermann Melville que je préférais de loin à mes devoirs de latin en cinquième. On peut parler d’elle des heures durant sans se lasser, rien qu’en vertu de l’étendue qu’elle occupe. Quand la langue française la dit d’huile, il faut la voir étale, sans la moindre risée à sa surface, lisse comme un miroir : pas de vent dans les voiles immobiles. A l’inverse de cette sérénité, elle peut être si furieuse, si formidablement démontée, si destructrice, et surprendre des pêcheurs dans leurs frêles et fragiles esquifs, comme dans le golfe du Bengale, il y a quelques jours.

Elle : la Mer. Titulaire à temps plein des deux tiers de la surface du Globe. Des organismes translucides et phosphorescents qui peuplent les abysses océaniques, aux baleines que les Japonais traquent sans merci et au mépris des conventions internationales, en passant par les si fluides squales et des raies au dard si mortel, c’est le plus vaste biotope de la planète. Voie de communication millénaire, reliant les terres émergées, elle a mis en contact les peuples depuis les âges obscurs de notre odyssée humaine : ses retraits, des transgressions marines, ont ouvert des passages d’une plaque à l’autre à pied aux premiers colonisateurs de la planète. Et puis est arrivé le temps des caravelles portugaises : une autre Histoire a commencé, avec la Traite négrière. Et si la Mer pouvait parler, elle dirait cette tragédie…

Poubelle ou réserve de vie ?

C’est un réservoir colossal d’énergie latente, la Mer : les cyclones comme Katarina y puisent sans modération celle avec laquelle ils vont aller frapper à terre quelques jours plus tard. Sans faire de détails, sans faire de différence entre riches et pauvres. La communauté internationale la célèbre demain, la Mer, sous le signe du transport. Des milliers de navires la sillonnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, affrétés pour déplacer des marchandises d’un port du Globe à un autre, entre fret spécialisé et vrac : le capitalisme ne s’arrête jamais. Dans cette noria incessante des échanges figurent une classe particulière de navires : les pétroliers. Qui vont des modestes rafiots aux super tankers de quatre cents mètres de long jaugeant quatre millions de tonneaux. Des monstres flottants, bourrés de technologies sophistiquées, que le canal de Suez et celui de Panama connaissent bien, passes de routine d’un plan d’eau mondial à un autre plan d’eau mondial.
Le transport du pétrole est responsable de l’une des pires formes de pollution qui soient aujourd’hui : la marée noire. La Mer et tout ce qui y vit suffoque quand une coque brisée libère sa cargaison gluante de mazout. L’autorité ad hoc de régulation mondiale a mis bon ordre au fil des ans en matière de sécurisation, en édictant des normes comme les doubles coques, certes, mais le chantier reste ouvert, et la vigilance s’impose. Toutefois, dans le transport maritime, les pétroliers ne sont pas les seuls souilleurs de ce milieu opulent de vie.

Moult commandants sans scrupule considèrent qu’ils peuvent tout bonnement vider en mer la “ merde ” des entrailles de leurs navires, sûrs qu’ils sont de ne plus encourir les foudres de Poséidon, la divinité masculine grecque de la Mer qu’on représente armé d’un trident. Le défunt régime soviétique a tué, comment le dire autrement, la mer d’Aral : un des plus grands lacs intérieurs du monde, devenue au fil des ans une décharge dantesque, sans nom. L’Antiquité frémirait de voir que notre âge traite ainsi la Mer : l’outrage est ignominieux. Il y a du viol écologique dans cette absence de vergogne, dans cette inconsidération flagrante.

Là où il se trouve, Einstein peut se réjouir : sa théorie de la relativité générale est au principe du Gps ou système de positionnement global. Moyennant l’immatriculation des navires, en combinant observation satellitaire, géographie et informatique, cet outil qui a d’autres usages plus cool permet optimalement de suivre les bateaux à la trace- leur sillage- ou presque : les fripouilles sont donc sous très haute surveillance dorénavant. Mais quand même : l’homme est-il vraiment si nul, parfois ? Déféquer en quelque sorte dans la Mer n’empêche guère les coupables de dormir tranquille : les autres êtres vivants doivent parfois s’étonner…

La chaîne biologique

La Mer que les insensés souillent allégrement est cette réserve alimentaire qui nous fournit poissons et autres crustacés dont la cuisson exhale des fumets si alléchants. Un brochet braisé au bord de l’Océan Atlantique à Kribi, sur la plage, au clair de lune, avec le mugissement de la houle en fond sonore. Ou des crevettes roses délicatement fricassées dans une sauce à la tomate et accompagnées d’un piment léger : paradisiaque. Le revers de la médaille est foudroyant : que viennent à être avariées des crevettes, des huîtres, le poisson banal même, et on frôle la mort. Ceux et celles à qui c’est arrivé déjà en parlent avec la chair de poule, des années après : c’est un empoisonnement violent qui implique des toxines virulentes.
Poissons et autres crustacés appétissants ne sont pas du tout à l’abri des substances polluantes que recèle désormais la Mer, pas plus que le plancton qui est la base de leur régime alimentaire : ils trinquent en fait gravement. Et de l’avis des guetteurs écologiques qui veillent vaillamment au créneau, le plancton ne se porte pas bien et des menaces pèsent sur la chaîne biologique qui relie les êtres vivants les uns aux autres par le biais de l’alimentation. De sorte que le commandant du bateau et son équipage qui vident la cale de leur navire dans la Méditerranée, peuvent retrouver un jour, qui sait, leur souillure chimique dans une boîte de sardines quelconque. Le retour du bâton ne concerne pas que les autres…

Dans l’estuaire du Wouri et plus haut vers l’embouchure, le tableau que brossent les riverains est troublant. Les témoignages évoquent la baisse des prises au fil des saisons ; tel résident de Youpwé, au village des pêcheurs, se souvient d’avoir vu passer sous ses fenêtres, devant chez lui et s’étaler dans la mangrove, une énorme nappe d’huile rouge ; des filets contrevenant aux normes, avec des mailles trop fines, sont utilisés au grand dam des alevins qui s’y prennent et finissent ainsi leur cycle de vie prématurément, au lieu que ce soit en adulte accompli, au-dessus d’un lit de braises rougeoyantes dans une “ rue de la joie ” animée.

La Mer est sous forte pression de l’Âge du Profit, de la création de valeur pour les actionnaires des firmes globales qui arment des flottes sur les océans du Globe. Les conséquences de notre bêtise humaine vont tôt ou tard nous rattraper : ne nous faisons vraiment pas d’illusions trop longtemps, car c’est couru d’avance. La question demeure : combien faudra-t-il de catastrophes encore avant que la Raison reprenne le dessus sur la déraison capitaliste qui fait suffoquer la planète, ses mers et l’humanité ? Reste à dire à la Mer “ Bonne fête, Mamy Wata ! ”. Sachant que cette expression signifie littéralement “ Mère-Eau ”, il va de soi que la vie sur Terre se trouve sous la houlette des ondines de la Mer.

Par Par Lionel MANGA
Le 28-09-2006
 

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