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15.10.2010
Manu Dibango - Jean Serge Essous, qui était le maître ?
La transmission de l’histoire de la musique congolaise des deux rives du fleuve est truffée de contrevérités, ces vraies-fausses vérités qui modèlent les versions selon les protagonistes qui s’attribuent souvent le beau rôle. Faute peut-être d’ouvrages en nombre suffisant écrits sur cette musique. Déjà que les acteurs de cette musique ne sont pas toujours des sources dignes de foi, la mort de bon nombre d’eux n’arrange pas les choses. L’une des controverses les plus significatives se retrouve dans deux chansons de l’OK Jazz dans lesquelles Franco cite les co-fondateurs : on n’y retrouve pas les mêmes personnes. Autre sujet que nous évoquons dans cet article : les relations de travail entre Manu Dibango et Jean Serge Essous. Il est, en effet, fréquent d’entendre certains médias et personnalités soutenir que Jean Serge Essous fut le maître de Manu Dibango ce qui est loin d’être la réalité.
Pour revenir aux origines de cette relation, signalons que Manu Dibango a découvert le jazz en jouant le piano et le saxophone aux débuts des années 50 et, en 1956, il se produisait déjà dans des boîtes de nuit en France et en Belgique. Le musicien camerounais était déjà un féru du jazz. Pendant ce temps, Essous s’initiait à la flûte et à la clarinette sous la férule d’Isidore Diaboua Lièvre. Les deux auront un point commun : la rencontre avec Grand Kallé. Essous, en 1955, lors du séjour de l’orchestre Negro Jazz à Léopoldville, où il a joué aux côtés côté du Grand Kallé aux Éditions Esengo avant d’intégrer le Tout Puissant OK Jazz puis, plus tard, le Rock’A Mambo. Quant à Manu Dibango, c’est lors du passage de Grand Kallé avec l’African Jazz à Bruxelles en 1959, qu’il avait rencontré ce chanteur. Grand Kallé va l’engager dans son orchestre et l’amener à Léopoldville, l’actuelle Kinshasa où il est resté trois ans avant de regagner le Cameroun.
Ce rappel chronologique rappelle qu’avant la rencontre de Manu Dibango et Essous dans African Team vers les débuts des années 70, le saxophoniste camerounais était déjà un artiste accompli avec déjà des collaborations notoires avec Nino Ferrer et Dick Rivers, des grands musiciens français de l’époque. Cependant, c’est Grand Kallé qui l’a initié à la rumba congolaise. C’est donc à tort que le magazine Evénementiel du mois d’août 2010, paraissant à Brazzaville, qualifiait Essous d’« encadreur de Manu Dibango ». Une information, hélas, reprise sans vérification par le magazine Grands Lacs de septembre/octobre 2010. Aussi, lors des funérailles de Jean Serge Essous, le ministre congolais de la culture, dans son oraison funèbre, avait qualifié Essous de maître de Manu Dibango. Cette entorse à la vérité historique méritait une mise au point. Essous et Manu Dibango ont joué ensemble au sein d’African Team dont le maître et le patron était Grand Kallé. D’ailleurs, Nino Malapet, l’alter ego d’Essous a reconnu la qualité de Manu Dibango en ces termes : « C’est le maître et c’est un géant. Quant Kallé l’avait découvert, il avait déjà la formation de Jazz. Et Kallé était sensible aux instruments à vent. »
Herman Bangi Bayo (AEM) http://www.afriquechos.ch ================================================ MEMOIRE D’UN BAOBAB DE LA MUSIQUE !! JEAN SERGE ESSOUS : UN MONUMENT DE LA MUSIQUE CONGOLAISE Les chansons de Jean Serge Essous ont bercé de nombreux mélomanes et plusieurs générations aux quatre coins de la planète. Sa voix sirupeuse, sortie des profondeurs de la poésie, est un creuset d’émotions, un bonheur et une douceur pour les matins câlinés des amoureux. Saxophoniste, hors pair de la génération de l’inventeur du « Soul Makossa », le grand Manu Dibango, Jean Serge Essous est, avec Nino Malapet le duo qui a tenu depuis plus d’un quart de siècle la section cuivre du mythique et monument orchestre, les Bantous de la Capitale. C’est donc, une interview-vérité que nous a livrée le plus talentueux des artistes Congolais des deux rives du Stanley – Pool, Nzadi ; ce fleuve – Congo qui a tant inspiré chanteurs et explorateurs comme André Gide. Voyage vers le futur avec Jean Serge Essous.
Hexagone : Parlez-nous de votre vie avant de devenir musicien ? Jean Serge Essous : Je suis né le 15 janvier 1935 à Mossendjo. J’ai fait mes études primaires à la grande école de Poto-Poto, à Brazzaville, jusqu’à l’obtention de mon certificat. En 1949, j’ai satisfait au concours pour poursuivre mes études à Mbounda, à Dolisie, qui fut l’école de formation des instituteurs. Beaucoup de gens y sont passés, parmi lesquels le président actuel du Congo. Après quelques temps, j’ai eu maille à partir avec ma mère qui, elle, s’est trouvée abandonnée par mon père, le feu Essous François. Cette situation difficile a fait que je renonce à mes études. H : À quand remontent vos débuts en musique ? JSE : J’ai eu un contact très tôt avec la musique, dès mon enfance, puisque j’étais scout, donc éclaireur. Le scoutisme à notre époque était de mise, et c’est dans ce monde que j’ai appris la musique grâce à mon encadreur, Diaboua Isidore, surnommé Chef Lièvre. Revenu à Brazzaville, après mon passage à Mbounda, j’ai commencé à jouer dans son orchestre en manipulant de la flûte. J’avais en ce moment-là, entre 14 et 16 ans. Quoi que je jouais au football dans l’équipe B de l’Etoile du Congo, aux côtés de Bamana l’enfant terrible, j’avais toujours une passion pour la musique. Et avec des amis, nous avons crée un groupe.
H : Quel a été votre premier orchestre ? JSE : Mon premier orchestre s’appelait « Les compagnons de la loi », et appartenait à M.Diaboua. C’est là que tout a commencé. Mais on ne s’est pas arrêté là. En 1953, nous avions créé un groupe nommé Negro Jazz avec Ganga Edo, Nkouka Célestin, Nino Malapet, Bitsoukou Théo, avec pour chef d’orchestre Kaba Joseph. Après les répétitions, nous allions faire des essais chez Faignond, à Poto-Poto, qui était, à l’époque, le haut lieu de l’ambiance à brazzaville.
H : Comment le public a accueilli votre orchestre ?
JSE : Nous étions très appréciés. C’est ce qui a fait que nous obtenions un contrat pour jouer au Bar Faignond trois fois par semaine. Grâce à notre talent, nous avons rencontré le grand Kallé Jeff Kabasele qui, lors d’une de ses tournées à Brazzaville, va nous inviter à Léopoldville (Kinshasa)
H : Ainsi commence donc votre carrière à Léopoldville ?
JSE : Oui ! Nous avons joué dans cette ville plusieurs spectacles de haute facture. Cela nous a amené à signer un contrat de six mois avec un Camerounais qui était propriétaire d’un bar très célèbre à Léopoldville. Nous étions toujours basés à Brazzaville malgré ce contrat, et allions juste le week-end à Léopoldville. Un jour, Henri Bowane nous invite, moi et Nino, à accompagner un jeune artiste qui enregistrait au studio Loninguissa de Limété, et le jeune en question c’était Luambo alias Franco. C’est là que nous l’avions rencontré. On devrait donc travailler son disque qui s’intitulait « Ba petits mbongo luwo », c´est-à-dire les petits n’ont plus d’argent. Cette chanson a eu un grand succès. H : À quel moment êtes-vous devenu sociétaire de l’Ok-Jazz après votre rencontre avec Franco ? JSE : Quand je rencontre Franco, j’ai 21 ans, lui 18 ans. Il fallait donc créer un orchestre et lui trouver un nom surtout qu’un blanc nous avait proposé un contrat. Le nom de Ok-Jazz va être donné par Mr. Cassien, président de tous les métis du Congo-Léopoldville. Il avait un bar appelé OK Bar : on entre OK, on sort KO. Etant donné qu’on répétait dans son bar, il nous a proposé le nom de OK JAZZ. Voilà comment est né le nom de OK JAZZ. Comme Franco me faisait confiance, et surtout que j’avais découvert des erreurs sur le contrat que ce blanc nous avait proposé, Luambo m’a demandé d’apposer ma signature sur ledit contrat. Par là, je suis devenu le tout premier chef d’orchestre de l’OK JAZZ.
H : Pendant combien de temps êtes-vous resté à la tête de l’OK JAZZ ?
JSE : Un an seulement.
H : Pourquoi cette courte durée ? JSE : (Sourire). La raison est simple. Je ne pouvais pas décevoir celui qui m’avait emmené à Léopoldville, c´est-à-dire Bowane. Lorsqu’il m’a proposé de jouer dorénavant dans une boite qui s’ouvrait, je ne pouvais pas refuser. Je suis donc parti avec Rossignol, et nous avons créé « Rocamambo ». Après, j’ai fait venir de Brazzaville Pandi et Nino Malapé avec lesquels nous avons animé Rocamanbo de 1957 à 1959. Pendant ce temps, Franco a fait venir de Brazzaville Ganga Edo, Nkouka Célestin et de la Lune. Mais, en 1959, tous les artistes de Brazza décident de rentrer au pays, parce que le vent des indépendances faisait peur. H : Qu’avez-vous fait à votre retour à Brazzaville ?
JSE : Nous avons créé l’orchestre « Bantous », avant qu’il ne devienne « Bantous de la capitale ». Cet orchestre fut donc créé par ceux qui revenaient de Léopoldville. H : Parlez-nous de votre aventure africaine, notamment en Afrique de l’Ouest ?
JSE : J’ai quitté le pays avec les Bantous pour représenter le Congo au premier festival des arts nègres à Dakar organisé par le président Senghor. Nous sommes en 1960. Avant cette date, nous avons joué à Abidjan et dans d’autres villes en Afrique de l’Ouest. C’est ainsi que le président Houphouët Boigny va nous inviter pour se produire à la fête de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Vu notre prestation, on va signer avec l’hôtel Ivoire, à Abidjan, un contrat de six mois. Malheureusement ce contrat va être interrompu par le ministre des affaires étrangères du Congo qui, lors de son voyage à Abidjan, nous contraint de rentrer au pays. J’ai refusé de rentrer, car je n’appréciais pas guère cette manière de couper de l’appétit aux gens. C’est ainsi que j’ai décidé de partir en Europe, à Paris, par bateau.
H : Comment ça s’est passé à Paris ?
JSE : À Paris, j’ai retrouvé mon frère Manu Dibango qui m’a bien reçu, que j’ai connu en 1960 par l’entremise de Kabasele, à Kinshasa. Il m’a sollicité pour jouer à sa place et m’a laissé toucher le cachet qui lui était destiné. Vous voyez !
H : Qu’est ce qu’il faut retenir de votre passage aux Antilles ? JSE : Je suis allé aux Antilles accompagné de mes amis de l’Orchestre les Rico Jazz que nous avions créé à Paris. Nous animions les mariages des Congolais de deux rives à Paris. Mais la Martinique nous a attirés grâce à Bayonne dont la famille disposait d’un site touristique là-bas. Nous y sommes restés pendant cinq ans au lieu de deux semaines prévues. Après la Martinique, je suis rentré au pays, avec un enfant comme souvenir en 1971.
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