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04.08.2005

Les Black Styl’s 

Renaître de ses cendres ?

Jean-Célestin EDJANGUE

Ils ont fait danser des générations entières, il y a encore quelques années.  Les Black styl’s, même disloqués, restent un mythe vivant de la musique camerounaise.

“Il y a quelque chose d’inexplicable, de magique dans les disques des Black styl’s. Aujourd’hui encore, quand j’entends une de leurs compositions, je me lève spontanément.” Ce que raconte Jean-Pierre Mongam, chauffeur de taxi de 43 ans, à Douala, peut être partagé par nombre de Camerounais de sa génération. A l’époque où le groupe mythique faisait la pluie et le beau temps, un peu partout au pays, jusqu’en France, dans les années 1970, il avait à peine 15 ans : “Les Black styl’s ont bercé mon enfance et accompagné mon adolescence. C’était le groupe, à l’époque,” ajoute-t-il.

Pourtant, les choses n’ont pas toujours été simples pour Nkotti François, Toto Guillaume, Emile Kangue et Yves Lobe qui ont été les pionniers du groupe. Dans son domicile, à Bonaberi, où Le Messager l’a rencontré, Nkotti François se souvient du lancement des Black styl’s : “A l’époque, il y avait déjà Nelle Eyoum et les Négro/styl. Comme nous étions également tous noirs, j’ai pensé que les Black styl’s représentaient mieux l’idée de notre groupe.” Mais au départ de la fabuleuse aventure du groupe, il y a une succession de rencontres et d’histoires : “Je suis parti de Souza où j’étais à l’école, pour
Douala où mon parrain voulait ouvrir un cabaret dancing à Deido. Je deviens donc chanteur titulaire des fantastic boy’s où je rencontre les Jackson Berry et Nkake André avec qui nous ferons les premiers succès de ce qui aurait pu devenir les Black styl’s”, indique Nkotti François.


Davum bar

Mais dès 1972, Toto Ekanè Félix, alors gérant de Davum bar (à l’époque près de l’hôpital Laquintinie), ouvre ses portes à Nkotti François, qui remarquera rapidement un jeune guitariste, Mouellè Jean, qui semble déjà maîtriser la rythmique. C’est d’ailleurs lui qui amènera l’autre grand guitariste du futur groupe, le soliste Toto Guillaume : “A l’époque, rappelle Nkotti François, Toto Guillaume prenait des cours au Collège de la Salle. Il lui a donc fallu concilier ses études avec la vie du groupe.” A son tour, Toto viendra avec Essombè Enyawé Antoine qui sera le batteur des Black styl’s, au début. Dans l’orchestre de Davum bar, le bassiste Eboumbou qui était également chanteur, va être écarté au profit de Emile Kangue qui passait par hasard un soir par les lieux. Voilà donc constitué la première équipe du groupe qui sera peaufinée au gré des circonstances. Les membres ont décidé de jouer du makossa, résolument. Et lorsque Pierre Lenoir (surnom d’un Camerounais), alors guitariste et propriétaire des instruments de Davum bar rompt son contrat parce qu’il n’a plus de place dans le nouveau groupe formé par Nkotti François, les Black styl’s en la personne d’un certain Willy Saxe, vont avoir du matériel flambant neuf.

C’est finalement à Bonabéri, à Oryx bar, près du petit marché du secteur “Fin goudron”, que le groupe posera ses valises. Les Black styl’s deviennent un phénomène : “C’est à Bonabéri que nous avons commencé à flirter avec le succès populaire. Les gens venaient de partout. A pied, à vélo, en moto et en voiture, de Douala, Bonassama et Bonabéri,” indique le fondateur du groupe. C’est aussi dans cette période que Toto Guillaume envoie une lettre à Sono disque
France
pour solliciter un enregistrement d’au moins 8 titres. Mais le jour de l’événement, le batteur Essombè prend la clé des champs, direction la France via le Nigeria - ou les conseils de Toto et de Kanguè, c’est finalement Nkotti qui, en plus du chant, se résoudra à prendre les baguettes de batteur - Parmi les 8 titres, Sono disque choisira “Françoise”, une composition de Toto Guillaume et “Ndutu” de Nkotti François - le 45 tours fait un tabac : “Ce succès nous a dépassés et nous a grandis, sans jamais nous donner la grosse tête”, pense Nkotti. On est alors fin 1973. Moins d’un an plus tard, en 1974, la rencontre avec un nouveau producteur, Ndjoga Mathias, débouche sur “ô Sambo”, qui confirme le succès entrevu quelques mois auparavant.

Un autre événement, en ce milieu des années 70, va contribuer à asseoir la popularité des Black styl’s. C’est le fameux concert donné dans la salle du Capitole, à Yaoundé : “On a pris l’avion à Douala pour la capitale. Il y avait un monde fou le long du trajet. On a été escorté jusqu’à l’hôtel des députés. Je me suis demandé à un moment si c’est le chef de l’Etat que les gens attendaient,” lance Nkotti François. Avant ce concert, le groupe joue au Mont Cameroun bar de Bali
. C’est là que Yves Lobè, le talentueux batteur va rejoindre les Black styl’s. Il ne les lâchera plus jusqu’à la dislocation.
Au plus fort du succès, Jean Paul Kodia, producteur d’origine congolaise que l’on a cru reconnaître derrière “ô Sambo”, contacte Toto Guillaume par Ndjoga Mathias. Le prince de la guitare solo de l’époque ne rate pas une si belle occasion. Le voilà, en 1976, parti sous le ciel parisien, perfectionner sa formation au conservatoire. Et lorsque Alexandre Ebonock (aujourd’hui décédé) qui vivait en France offre aux Black styl’s l’opportunité d’enregistrer un album à Paris, le groupe saute dans le prochain avion : le 20 septembre 1978, une dizaine d’artistes conduits par Nkotti François débarquent à Paris. Ils enregistrent au studio Harisson à Pantin, jouent au Bataclan.
L’album conçu est un succès international. On croit les Black styl’s à jamais la postérité.
Un autre album sortira bien en 1979, mais déjà la séparation semble inéluctable.


Destins divers…

A l’origine de la dislocation du groupe, des dissensions internes entre Emile Kanguè, qui est sollicité par son cousin pour un contrat au Mt Manengouba bar (à l’époque au niveau de Mobil Bonakouamouang) et le reste des Black styl’s. D’autant qu’en partant, il débauchera également Monny Muller. Finalement, le groupe survivra tant bien que mal à cette nouvelle reconstitution. Mais les Eyoum Paul, à la guitare basse, Mbanguè au chant, Jackson Berry, à la guitare solo, Eboulè Albert et autres Lobè Yves, Nkotti François et Nyakè Aurélien, le pianiste, qui représentent ce qu’on a appelé le 2e Black styl’s n’auront pas la même flamme des débuts du groupe : “Le phénomène groupe, avoue Nkotti François, c’est comme l’homme.
Il naît, grandit, vieillit et meurt.”

Les Black styl’s joueront jusqu’en 1987, avant de se mettre entre parenthèses. Ils auront un sursaut entre 1993-94 avec pour la première et dernière fois dans l’histoire du groupe, une chanteuse pour suppléer ou compléter le registre masculin : Nadia Ewandè. Le nouvel album intitulé “Makossa” accompagné d’un clip est bien accueilli. Ce clip vaudra d’ailleurs à Nkotti François d’être fait, en 1995, “citoyen d’honneur de la ville de Bruxelles.” Malgré tout, les Black styl’s devront définitivement se séparer. Certains d’entre eux, comme Emile Kanguè qui, tout en continuant de jouer de la musique aux Etats-Unis s’est découvert une autre passion, l’informatique, ou encore Toto Guillaume qui vit de la musique en France et Nkotti François, partagé entre la commune de Bonaléa dont il est maire et la musique, ont réussi leur reconversion.

D’autres, en revanche, ont eu moins de chance. Lobè Yves, à
Bali, traîne une paralysie des membres pendant que Mouellè Jean noie ses soucis dans l’alcool. Quant à Monny Muller, il fait toujours le bonheur de nombreux groupes dans les cabarets de Douala
.
Le fondateur des Black styl’s, Nkotti François, a un autre projet en tête : “Les Black styl’s, c’est une expérience extraordinaire voulue par Dieu. Je vais lancer un Black styl’s junior l’année prochaine,” annonce-t-il, comme pour pérenniser à jamais le groupe mythique des années 70-80.


 

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