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13.12.2006
Dans les secrets du Mpo’o
Les membres de l’Actem viennent de célébrer leur fête coutumière.
1 - Le culte sacré de l’eau et de la forêt
La signification que revêtent l’eau et la forêt pour la communauté Elog Mpo’o ne se raconte pas au premier venu. "Il faut d´abord en référer à un des gardiens de la tradition." Le roi des Adiè est presque inaccessible, autant que les chefs traditionnels. Quant aux Mpèpè, ils sont aussi difficiles d´accès que mystérieux. La raison avancée est simple. "Nous ne voulons pas divulguer nos secrets", sérine en effet les personnes rencontrées."Sans trop rentrer dans les profondeurs, je dirais que ces deux éléments rentrent dans la théogonie du peuple Mpo´o", explique en effet Jean Michel Dupong.
Pour comprendre l´importance de l´eau et de la forêt, il faudrait remonter très loin dans l´histoire des Elog Mpo´o. "Les Elog Mpo´o se retrouvent près de l´eau de manière accidentelle", raconte le délégué à la culture de l´Actem. Il y a près de 700 ans, ils vivaient dans la savane, plus au Nord. Puis, débute le mouvement migratoire vers leurs zones actuelles de localisation. "Au cours de ce mouvement, ils ont traversé la forêt et ont appris à se servir des secrets de celle-ci", raconte cet initié. Plus tard, les peuples se dispersent et sont obligés de traverser certains fleuves. La plus grande traversée fut celle de la Sanaga. "Là encore, ils sont obligés de connaître comment les génies de l´eau fonctionnent et surtout savoir comment les dompter", continue Jean Michel Dupong. Au bout du cycle, les Elog Mpo´o ont intégré les cultes de l´eau et de la forêt dans leur religion traditionnelle. "C´est une religion très forte chez nous. Nous croyons à des forces existantes dans ces deux éléments. Ces forces nous permettent de maîtriser la nature et de mieux y vivre", explique Jean Michel Dupong. L´eau et la forêt constituent donc tout un culte pour cette communauté. Le résultat de ce culte est la fête du Mpo´o au cours de laquelle des rites traditionnels (réservés aux initiés) sont exécutés.
2. Le pagne de tous les symboles
Le week-end dernier (8 au 10 décembre) de milliers de personnes venues des quatre coins du pays arpentaient joyeusement les rues d´Edéa. Signe d´identification : leur tenue vestimentaire. De loin, la couleur du tissu alterne entre le vert et le bleu avec des rappels de jaune et de noir. De plus près, il présente plusieurs motifs et dessins. Seulement, tous les natifs Mpo´o ne sont pas capables de donner une signification à ces motifs. "Tout ce que je sais, c´est qu´il est le symbole de notre communauté", tente d´expliquer Suzanne, une fille Mpo´o. Nombre de personnes interrogées n´en disent pas mieux. Seuls les initiés en savent quelque chose. "Aucun des dessins que vous voyez sur ce pagne n´est gratuit", avance Sam Théophile Ebobisse. Le secrétaire administratif de L´Actem se réfugie derrière la barrière du secret et du sacré pour ne pas s’entendre sur le sujet. "C´est un pagne qui nous identifie. Mais il a une dimension sacrée très forte que nous ne pouvons pas aborder", renchérit-il.
Les motifs du pagne sont nombreux. On peut y voir des palmiers, un homme d´un certain âge avec un chasse-mouche dans la main, un autre sur une pirogue en train de jeter un filet dans l´eau. "Tous ces symboles appartiennent à la théogonie des Elog Mpo´o, à leurs croyances, à leur religion traditionnelle", explique Blaise Bwemba. Et Sam Théophile Ebobisse d´ajouter : "le palmier représente la forêt tandis que le pêcheur représente la culture de l´eau". Sa Majesté Parfait Etomene, le secrétaire exécutif de l´Actem, va un peu plus loin. "Le pagne représente la dualité culturelle et traditionnelle propre à notre peuple" explique-t-il avant de conclure lui aussi : "je ne peux me permettre de donner les explications profondes de tous ces symboles."
Le pagne actuel des Mpo´o date des années 60. Il n´a presque jamais changé, sauf lors d´une édition dans les années 70 où on l´avait commandé en violet, par mégarde. Il y a deux ans, on y a ajouté un macaron de feuille (sorte de nœud), signe d´union des Elog Mpo´o. Mais encore, il a fallu six ans (et près de 24 réunions du conseil Mpo´o) pour l´intégrer parmi les motifs du pagne. L’autre changement est son port. Le pagne se porte de deux manières. Chez les hommes, il se noue au niveau des reins et se met avec une chemise ou une chemisette. Les femmes doivent l´avoir en kaba. Tous les fils et filles Mpo´o l’ont en tenue traditionnelle. Mais, pour des raisons personnelles. Certains en font des tenues modernes.
3. La jeunesse désinteressée
" J´ai été initié au cours du Mpo´o. Maintenant, je n´ai pas l´impression qu´elle est toujours une fête d´initiation. Elle est devenue plus commerciale." Les paroles de Marc Achille Yocko sont pleines de regret. Ce jeune homme de 28 ans est un Adiè, des clans Mpo´o. Selon lui, les jeunes ne s’intéressent plus à la tradition. Et pour causes. La difficulté de transmission du savoir ancestral. "Les jeunes apprennent la tradition, mais seulement de manière orale. Ils ne la vivent plus, ce n´est plus un mode de vie pour eux", sérine Marc Achille. Ambroise Biyiha, un autre fils Mpo´o a une autre explication. "J´ai du mal à saisir notre culture. Tout est fait pour que je ne la vive pas au quotidien. Et nos aînés y sont pour beaucoup, puisqu´ils ne nous aide pas à nous en imprégner", accuse-t-il avec emphase. Marc Achille va plus loin. "Les jeunes ignorent que le Mpo´o est quelque chose de plus profond. Ils prennent plutôt cela comme du folklore", conclut-il. Jean Michel Dupong, délégué à la culture de l´Actem, apporte une autre explication : "les jeunes considèrent la tradition comme un courant ésotérique. Cela leur fait peur et les empêche de s´intéresser à leur tradition et à leur culture". "jusqu´ici, tous les efforts ont toujours été faits pour un meilleur transfert des valeurs traditionnelles de génération en génération." Et puis, "c´est déjà un pas que le Mpo´o revête toujours son aspect traditionnel", argue-t-il.
Les structures d’encadrement des jeunes au sein de l’Actem ne manquent pourtant pas. Sam Théophile Ebobisse, le secrétaire administratif de l´Actem, reconnaît tout de même un fait : "dans certaines familles, il peut arriver que des jeunes soient déconnectés de leur culture, par exemple sur le plan linguistique." Parfait Etomene reste confiant : "un programme d´initiation défini par les patriarches est en cours d´élaboration pour amener les jeunes à réintégrer leur tradition."
4. Les Elog Mpo´o au Cameroun
Le peuple Elog Mpo’o est constitué de quatre lignages majeurs (ou clans) qui se réclament d’un ancêtre éponyme commun, “ Lipoo Li Mingenda Mi Bet Ben ”, qui veut dire “ l’eau de la chute qui ne remonte jamais à sa source ”, de son vrai nom Nnanga Mbang Ngue. C’est l’usage qui l’a abrégé en Mpo’o. Ces clans sont issus à la fois de sa descendance directe et de sa descendance collatérale. Sa descendance directe est composée de ses fils Likande, Mpam, Ang, Biangue, Linyima, Mbambo, Likika et Mpague, et sa descendance collatérale de ceux de ses frères Pekè, Nso’o et Njob, de son oncle Mbang et de son neveu “ Dibom ”.
Partie de Ngog Litua (situé dans le district de Nyanon) où Mpo’o lui-même a vécu il y a plus de 600 ans, cette descendance a essaimé dans toute la zone côtière du Cameroun et au-delà. Seul Nso’o Mbang Ngué, son jeune frère, ancêtre direct des Biso’o (district de Nyanon qui abrite la grotte sacrée), est resté sur place pour garder le dernier berceau connu de notre peuple. Du fait de cette dispersion et au regard de la cristallisation territoriale inhérente à la colonisation d’une part, et de la mise en place d’un Etat moderne au Cameroun d’autre part, les Elog Mpo’o se retrouvent aujourd’hui et depuis de nombreux siècles comme autochtones dans les départements de la Sanaga Maritime, du Wouri, du Nkam, du Moungo, du Nyong et Kellé et de l’Océan, plus précisément dans les arrondissements d’Edéa, Dizangué, Mouanko, Douala 3ème, Nkongjonck, Dibombari, Messondo, Dibang, Bot Makaka, Kribi et Bipindi, et dans les districts de Nyanon et du Nord Makombé.
D’autres communautés, bien que ne faisant pas encore formellement partie de cette l’assemblée coutumière et traditionnelle, ont été identifiées comme étant de souche Mpo’o. Il s’agit des Bonabékombo, des Yadimbam et des Yambongkwak (Douala 1er dans le Wouri), d’une partie des Etoudi dans le Mfoundi, des Yembong dans les départements du Dja & Lobo et de la Mvila.
D’autres encore se retrouvent dans les départements de la Haute Sanaga (Nanga Eboko et Batschenga), de la Mémé (Kumba), du Ndian (Mundemba), et même hors des frontières du Cameroun, notamment en Guinée Equatoriale et en République démocratique du Congo (Province de l’Ituri, chef-lieu Bounyia).
Des contacts et des recoupements sont en cours afin de reconstituer la généalogie de ces communautés, et de déterminer leur itinéraire migratoire avant d’envisager leur intégration dans la grande famille des Elog Mpo’o.
Par Alain NOAH AWANA à Edéa Le 13-12-2006
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