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21.02.2007
Les Bassas du Wouri s’opposent à une succession aux forceps.
Le préfet Atebede veut imposer un chef
"Selon la loi camerounaise, ne peut prétendre être chef supérieur que celui dont le père l´a été au moins une fois." Ces paroles sont de Bernard Atebede, le préfet du Wouri. Il les prononçait hier soir, mardi 20 février, vers 20 heures, à la sous-préfecture de Douala 5e. Le préfet mettait ainsi fin à une demi-journée de palabres pour désigner le chef supérieur du canton Bassa du Wouri. Les originaires des 23 villages du canton étaient réunis pour connaître enfin leur nouveau chef supérieur, après quatre ans d´intérim. Le début de la cérémonie était prévu à 12 heures. Le préfet du Wouri est arrivé à 13h30. Aussitôt, Bernard Atebede convoque une concertation à huis clos avec les chefs traditionnels du canton. Durant de longues minutes, rien ne filtre des discussions dans la salle de réunion de la sous-préfecture. Quarante-cinq minutes plus tard, les chefs traditionnels sortent de la salle. Tous sont furieux contre le préfet du Wouri. "Les chefs ne sont pas d´accord que le préfet nomme le chef supérieur du canton Bassa", explique François Somon Moussongo, une élite du canton qui s´est chargée de calmer les autorités traditionnelles. Les chefs de 3e degré du canton Bassa entendent faire prévaloir la tradition. "Le chef supérieur du canton Bassa a toujours été désigné par un vote des notables", arguent les gardiens de la tradition. Désabusés par l´attitude du préfet "qui veut absolument placer un de ses sbires", les chefs se réfugient dans un bistrot non loin de là, après avoir menacé de quitter les lieux.
Vers 15h30, Bernard Atebede entre en conclave avec la famille Mbody. Près d´une heure plus tard, il ressort pour lancer à la foule présente : "les cardinaux sont en conclave et nous allons tout simplement attendre la fumée." Seulement, après son retour vers 17 heures et demie, le préfet n´a toujours pas de solution. Il convoque une fois de plus les chefs traditionnels pour les sermonner. Durant une heure, le préfet récrimine les malentendus au sein du canton. Et de nouveau, il accorde une heure aux chefs traditionnels pour se concerter. Finalement, aux environs de 20 heures, Bernard Atebede décide de se "laver les mains" en mettant en avant l´argument de la loi camerounaise sur la désignation des chefs supérieurs en cas de vacance. Les partisans de Me Gaston Mbody se mettent à jubiler. Les chefs traditionnels n´ont rien manifesté. Rien n´indique pour autant qu´ils ont baissé pavillon et que la longue vacance au trône des Nsa’a du Wouri est terminée. Ils brandissent à leur tour la lettre circulaire du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation.
Les instructions du Minatd
Leurs appréhensions se fondent sur une lettre circulaire du Minatd qui date du 9 mars 2006, relative à “ gestion des chefferies traditionnelles ”. Marafa Hamidou Yaya stigmatise “ la gestion délibérément fantaisiste et essentiellement controversée des chefferies traditionnelles par les autorités administratives ”. Ce constat peu reluisant mais en tout cas accablant se traduit notamment par :
la violation volontaire et aux fins inavouées de la procédure réglementaire de désignation des chefs traditionnels, ainsi qu’une prise en compte insuffisante et inégale des us et coutumes des populations concernées ; - des vacances injustifiées et prolongées à la tête des unités de commandement traditionnel résultant soit des décès des titulaires, soit alors de leur mise à l’écart par les autorités compétentes qui croient exercer un pouvoir de destitution qu’aucun texte ne reconnaît. Le refus suspect de donner suite aux demandes d’informations sur les situations exactes prévalant au sein des chefferies à des crises répétitives. Et le Minatd de poursuivre :
Outre les multiples contestations, requêtes, dénonciations et désagréments consécutifs à ces dérapages, de telles pratiques dont les autorités administratives assument la paternité, sont de nature à ternir l’image que les pouvoirs publics se font de la chefferie traditionnelle et à fragiliser par voie de conséquence, la cohésion sociale que vous devez toujours maintenir au sein des collectivités traditionnelles.
“ Aussi, pour mettre fin à toutes ces dérives, je vous demande instamment d’observer scrupuleusement les hautes instructions du chef de l’Etat prescrivant de surseoir à la création de nouvelles chefferies jusqu’à l’aboutissement du projet de réforme en cours. ” Il s’agit de la révision de la loi de 1977 sur la chefferie traditionnelle.
L’interprétation de la loi
Le patron de la préfectorale engage néanmoins les autorités administratives au respect minutieux de la procédure réglementaire de désignation et de destitution des chefs, telle que stipulée dans les dispositions pertinentes du décret n°77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des chefferies traditionnelles. Il les invite enfin à pourvoir à toutes les vacances constatées ça et là, et dont l’issue ne serait bloquée que par le fait des chefs de terre.
Dans le cas du canton Bassa du Wouri, il s’agit de procéder au remplacement d’un chef de premier degré décédé. La majorité des chefs de troisième degré et notables veulent élire un nouveau comme l’ont été feu Conrad Mbody et ses prédécesseurs. A cet effet, ils ont adressé une lettre à Bernard Atébédé dans laquelle ils lui rappellent qu’en l’absence des textes du Premier ministre et du Minatd dont le préfet aurait fait allusion aux chefs traditionnelles, confirmant la succession de père en fils, c’est la loi n°77/245 du 15 juillet 1977 qui régit l’organisation des chefferies traditionnelles. Malheureusement, selon eux, le préfet du Wouri en fait “ une interprétation erronée et dépourvue de toute logique ”. Et ils le renvoient à l’interprétation de ce texte faite par la Chambre administrative de la Cour suprême du Cameroun dans son jugement n° 63/Cs/Ca/79-80 du 25 septembre 1980. La correspondance des chefs, notables et élites Nsa’a du Wouri met le préfet en garde : “ Si vous nous nommez Monsieur Mbody Epée Gaston, vous cessez d’être en phase avec le Minatd dans sa lettre circulaire n°00670 / Lc/Minatd /Dot, et vous aurez ainsi contribué énormément au sous-développement du peuple Bassa et à un désordre indescriptible dans le canton dont vous serez seul responsable devant l’histoire. “ La sagesse populaire impose que vous suiviez les garants des traditions Bassa que sont les chefs traditionnels et les notables constitués pour une consultation digne de foi. ” Chaud devant.
Par Alain Noah AWANA Et Jacques DOO BELL Le 21-02-2007
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