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15.04.2007
Historique de la littérature Camerounaise. Yoshua Dibundu, Martin Itondo, Mumé Etia, Benjamin Matip,
Historique de la littérature Camerounaise
C’est ainsi que Yoshua Dibundu a écrit en 1896, en langue Duala, un ouvrage poétique intitulé Besesedi ba Yehowa (Les louanges de Yéhova), que Martin Itondo a publié en Duala, en 1933, Nkèti na Mongo (Flèches et lances) et en 1954 Myenge na Yesuya (Psaumes et Esafe), que Munz Dibundu, Martin Itondo et Paul Helmlinger ont publié un ouvrage en Duala intitulé Nimele bolo (Pousse la pirogue).
En 1848 déjà, un livre d’histoire fut publié en Duala : Kalat’s Mateo (Evangile de saint Matthieu), puis, en 1862, l’ensemble du Nouveau Testament en duala, soit 27 livres différents, et, en 1872, Betiledi Kalati ya Loba Mbu a koan (L’Ancien Testament), soit 39 livres. En un mot, le Cameroun a eu une Littérature en Duala, dès 1848, puis en Bassaá, Bulu, Bali et Ewondo, langues dans lesquelles la totalité ou une partie de la Bible (66 livres au total) a été traduite et lue par des nationaux.
Dans le domaine historique, on connaît l’ouvrage de P. Scheibiler, intitulé Myango ma Islam na ma Reformation o Mbèngè (Histoire de l’Islam et de la Réforme en Europe) [1926] et celui d’Itondo, Nkèti na mongo (1933).
Dès 1903 apparaissait le périodique Elolombe ya Kamerun (Soleil du Cameroun); en 1928 paraîtra régulièrement le mensuel rédigé en duala, Dikalo (Le message). En 1930, Mumé Etia publie Ikoli a bulu iwo na bulu bo (Les mille et une nuits). M. Itondo publie en 1938 Myango ma Mandesi Bell, une biographie.
Ces quelques exemples montrent que la littérature du Cameroun s’est d’abord exprimée en langue Duala. I1 y a eu des textes en Duala et en allemand pour l’apprentissage de la langue, des coutumes et mœurs et des aspects de la vie culturelle. En 1892, Th. Christaller publie à Bâle un Handbuch der Duala-Sprache (Manuel de la langue duala). En 1904 H. Seidel publie à Heidelberg Duala-Sprache in Kamerun. Systematisches Worterverzeichnis und Einführung in die Grammatik (La langue duala au Cameroun. Vocabulaire systématique et introduction à la grammaire).
En 1860 A. Saker avait publié un ouvrage intitulé Elements of grammar and vocabulary, Cameroon River. En 1934, M. Itondo et P. Helmlinger ont édité en duala l’ouvrage intitulé Minia na bedèmo basu (Nos proverbes et coutumes pour la lecture). Un journal politique et d’information rédigé en duala paraît à Paris dès 1932. Un hebdomadaire portant le titre de Jumwèlè la Bana ba Kamerun est publié à Douala en 1934; un almanach illustré est publié à Buéa en 1936 sous le titre Elangè Mbu (Annale).
Les lettres camerounaises sont donc en langue duala d’abord, puis en duala/allemand, duala/anglais, ensuite en bulu, bali, bassaá, bumoun, fulfulde et tunen. En fulfulde, nous avons plusieurs textes, tels ceux qui relatent l’histoire de populations du plateau de l’Adamaoua : Habarou lamorde Tchamba (Histoire du lamidat de Tchamba) ; Habarou lamorde Tibati (Histoire du lamidat de Tibati); No Yola en windiri habarou Tibati (Histoire de Tibati vue de Yola 1).
En tunen, nous possédons deux premiers travaux dont l’un est dû à l’oeuvre du révérend Wilhelm Koelle Sigidmung, publié en 1852 à Freetown (Sierra Leone). C’est un vocabulaire tunen communiqué par un groupe de sept Banen résidant dans la petite ville de Regent (Sierra Leone). L’autre ouvrage est dû au médecin militaire Hoesemann, qui participa à l’expédition de janvier 1901 dans le pays banen. L’auteur établit un vocabulaire de tunen sur les techniques et la vie matérielle. Mme I. Dugast a publié un Lexique de la Zangue tunen (Paris, 1967) et une Grammaire de tunen (Paris, 1971).
La littérature camerounaise du début des années cinquante a d’abord été constituée par des études et recherches scientifiques dues à des étudiants et stagiaires de notre pays en France qui écrivaient dans leur bulletin intitulé L’étudiant du Kamerun, organe d’information et de culture de l’Union nationale des étudiants du Cameroun. Tous les problèmes du pays y étaient examinés et l’on y trouvait nombre d’essais en prose et de poèmes.
Parallèlement à L’étudiant du Kamerun paraissait à Paris le journal Kaso, alimenté par les articles des étudiants et intellectuels du Cameroun qui faisaient des études en France. Les deux organes de presse parlaient le langage de la vérité et du coeur, de la raison et de la science en même temps que les auteurs d’articles traitaient de questions de politique et d’économie, de littérature et de philosophie de l’action. Les Camerounais résidant en France ont coutume de se grouper pour s’affirmer en tant que communauté nationale. Ils forment des cercles de lecture, des associations sportives et d‘acteurs essayistes, poètes et prosateurs.
Les articles publiés dans L’étudiant du Kamerun aussi bien que dans Kaso furent très lus tant en France qu’au Cameroun à partir de 1947. Les genres étaient divers. Par exemple, on trouvait des textes à caractère politique dans la revue L’étudiant du Kamerun comme dans Kaso, que dirigeaient Michel Doo Kingué, François Sengat Kuo et Timothée Penda Mpanjo.
Les articles juridiques et historiques étaient dus à la plume de Benjamin Matip; les textes de littérature romanesque étaient fournis par des écrivains tels que Ferdinand Oyono et Alexandre Biyidi. Michel Doo Kingué est un grand artiste, très bon guitariste et animateur de la première troupe nationale du Cameroun, qui a connu en France un grand succès. Il a su tirer profit, avec une habileté remarquable, de la richesse du folklore.
Sengat Kuo, ancien responsable de l’exécutif de l’Union nationale des étudiants du Cameroun en France, a été l’un des piliers de la revue Présence africaine où il était rédacteur. On lui doit beaucoup d‘articles de fond de cette dernière revue, ainsi que de L’étudiant du Kamerun et de Kaso. Sous le pseudonyme de Francesco Ndintsouna, il publia Les peurs de latérite.
L’étudiant noir, organe d’information de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire en France, qui regroupe l’ensemble des étudiants noirs faisant des études en France. Un fort courant intellectuel est né du cercle de « L’étudiant noir » dont la principale revendication est l’indépendance de l’Afrique sur tous les plans, politique, économique et culturel.
L’étudiant africain protestant, organe d’information et d’éducation économique, politique et religieuse de l’Association chrétienne des Etudiants africains protestants (ACEAP). A sa création, Marie-Claire Ngo Matip, qui venait d’obtenir un prix littéraire avec sa brochure Ngonda, très appréciée de la jeunesse, fut chargée de la rédaction. Elle a été présidente de l’Union nationale des étudiants du Kamerun (UNEK). La revue a permis à un grand nombre d’intellectuels protestants d’écrire des articles sur des sujets divers. Hormis les thèses de licence en théologie, de doctorat ès sciences, lettres et philosophie, I’ACEAP a publié des essais de philosophie et d’éthique théologique.
Un des ouvrages sur la pensée nyambéiste, Clairières métaphysiques africaines, par J.C. Bahoken (Éditions Présence africaine, Paris, 1961), a posé les bases d’une problématique philosophique africaine et créé le courant de pensée nyambéiste. En 1968, J.-C. Bahoken a rédigé une oeuvre philosophique sur la Notion de l’ordre dans le système de pensée africain. La notion d’ordre tend à fonder une théorie de la connaissance au sens philosophique, d’une part, mais aussi la théorie de la connaissance des faits réels explicables à partir des expériences vécues. Par ce biais, Bahoken a ouvert une voie à l’épistémologie africaine. I1 a été président de I’ACEAP, directeur de la revue Parole (qui remplace L’étudiant protestant africain) et directeur de la revue Afrique- Univers, du Centre international de recherches africaines. L’un des rédacteurs de L’étudiant protestant africain est E. Njoh Mouelle qui y a publié plusieurs articles; il a rédigé une thèse de philosophie sur L’idée de profondeur chez Bergson et on lui doit une brochure de philosophie africaine intitulée Jalons.
Le tam-tam, organe d’information et de culture de l’Association des étudiants catholiques africains en France, animé par une équipe dynamique et perspicace. Le tam-tam a publié de nombreux articles sur l’éducation, l’économie, la philosophie et les croyances religieuses. Du cercle du « Tam-tam » émergent plusieurs écrivains, dont Thomas Melone, qui a publié notamment, aux Éditions Présence africaine, De la négritude dans la littérature négro-africaine (1962) et Mongo Beti : un homme un destin (Paris, 1972). Il est aussi l’auteur de nombreux articles parus dans la revue Présence africaine et dans Abbia. Professeur titulaire, il fut chef du Département de littérature africaine comparée à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Universite de Yaoundé.
Avec une équipe d’enseignants et d’écrivains camerounais, Melone vient de publier un ouvrage intitulé Melange, préfacé par l’académicien français Roger Caillois. G. Ngango a publié de nombreux articles d’économie dans la revue Présence africaine et participé à la rédaction de l’ouvrage collectif intitulé Personnalité africaine et catholicisme (Éditions Présence africaine, Paris, 1968). Docteur ès sciences économiques, Ngango est agrégé de sciences économiques et doyen de la Faculté de droit et sciences économiques de l’Université de Yaoundé.
Benjamin Matip a publié Afrique nous t’ignorons, son premier récit, puis L’Afrique aux Africains ou Le manifeste négro-africain, étude choc des problèmes actuels du monde négro-africain. En 1958, il a participle au Ier Congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne et à la Conférence de Tachkent, ou il fait adopter le fameux Appel aux écrivains du monde entier lancé par les intellectuels afro-asiatiques.
Il a publié une brochure sur l’histoire de l’Afrique intitulée Heurs et malheurs des rapports Europe-Afrique noire dans l’histoire moderne du Ve au XIIIe siècle. L’originalité de cette étude tient au fait qu’elle constitue la première présentation africaine de cette histoire sur laquelle seule l’Europe s’était jusqu’ici prononcée; c’est un livre d’un grand intérêt pour les hommes politiques et pour tous ceux qui veulent connaître l’histoire de l’Afrique. Dans Afrique, nous t’ignorons, Matip stigmatise l’exploitation des paysans par les commerçants européens, alors que dans ses contes publiés dans A la belle étoile, il reste dans l’Afrique des mythes et des légendes. Il a publié Afrique ma patrie aux Editions du peuple africain à Yaoundé dans les années 1960-1962 et, enfin, une pièce de théâtre : Le jugement suprême, critique de la vie contemporaine au Cameroun, notamment en ce qui concerne la maîtrise des apports de la civilisation étrangère par les nationaux, la mentalité née des contacts de civilisations, l’incompréhension et les difficultés que rencontre l’intellectuel désireux d’intervenir dans la lutte quotidienne contre la maladie, l’ignorance et les croyances et le manque d’éducation.
Matip, plus qu’aucun autre auteur de sa génération, a su poser dans cette pièce la question de la personnalité culturelle de l’Afrique en général et du Cameroun en particulier. Des passages entiers de son oeuvre sont écrits en langue maternelle, le bassaá, chaque fois qu’il s’agit de mettre en relief un trait essentiel de l’âme de son peuple.
La revue Abbia (bilingue), organe national, mène une croisade littéraire au Cameroun. Abbia est dirigé par le Dr Bernard Fonlon et son équipe de rédaction se compose de MM. Bryant Ako, J.C. Bahoken, B. Bilongo, P. Biya, M. Diwouta-Loth, R. Diziain, M. Doo-Kingué, G. Ebanga, E. Epanya Yondo, P, Fokam. Parmi les collaborateurs à cette revue figurent S. Mairie, Moutongo Black, J.C. Ngally, J. Ngo Mai, I. Njikam, L.Z. Nkwetta, Th. Nyemp, A. Tefak, M. Towa, N. Atangana, J.A. Kisob, B. Matip, Mbassi-Manga, F. Loung et Eldridge Mohamadou.
Dans le premier numéro, le directeur, le Dr Fonlon, passait en revue les écrivains noirs anglophones de Kampala. Dans le deuxième numéro, N. Atangana présentait une étude sur les cultures africaines et le développement, expliquant que « parler de la culture au peuple suppose au préalable l’existence sous une forme pratique et vivante de la culture ».
Dans ce même numéro, C. Ngande parlait de la poésie camerounaise et B. Matip présentait sa pièce de théâtre intitulée Le jugement suprême. Abbia est une revue sérieuse qui traite de la politique culturelle avec courage et dynamisme et qui a influencé les écrivains de la première décennie de l’indépendance du Cameroun.
Cameroun littéraire, organe d’expression de l’Association nationale des poètes et écrivains camerounais (APEC), est dirigé par Philombe Rene et Epagna Yondo. Il a publié un roman peignant la situation coloniale au Cameroun et intitulé Kamerun! Kamerun! (Éditions Présence africaine, Paris, 1960). Sa poésie est engagée et nationaliste.
J.P. Nyunai y a écrit Salut à la nation camerounaise, La nuit de ma vie, Chansons pour Ngo-Lima, Pigments sang. Citons encore, parmi les collaborateurs de cette revue, C. Ngande, J.L. Dongmo, A. Okala, E. Alima et P. Kayo, dont les oeuvres sont bien connues du public national.
En dehors de tout cercle et de toute revue, il convient de citer un écrivain de marque, Francis Bebey, compositeur, guitariste et écrivain, auteur de Le fils d’Agatha Modiou (Éditions Clé, 1967), Embarras et compagnie (editions Clé, 1968), La poupée Ashanti (1972) et Trois petits cireurs (1972).
G. Oyono Mbia s’est rendu célèbre avec sa pièce Trois prétendants ...un mari, aux Éditions Clé, 1964. Autre pièce de cet auteur : Jusqu’à nouvel avis. R.G. Medou Mvomo a écrit Afrika ba’a, récit autobiographique. Ph. Ombede (dit Philombe) est l’auteur de Lettres de ma cambuse, Le bouc sanguinaire de Papa Mboya, Sola ma Chérie, Un sorcier blanc à Zangali.
Ikelle-Matiba s’est rendu célèbre avec son ouvrage Cette Afrique-là (Editions Présence africaine, 1963). M. Sop Nkamgang est l’auteur de l’ouvrage intitulé Les contes et légendes du Bamiléké (3 vol., 1970), de Trois symboles et chants d’unité (Imprimerie Saint-Paul) et de La femme prodigue, théâtre (Editions Clé, 1968).
Les auteurs Camerounais écrivant en anglais
On se rappellera que l’anglais était enseigné dans toutes les écoles de l’ex-État du Cameroun occidental, en même temps que le Duala et le Bali. Toute la population de cette région parle l’anglais ou plutôt le pidgin, anglais populaire du Cameroun. Des revues culturelles nous aident à connaître quelques noms d‘auteurs écrivant en anglais. La revue Ozila est bilingue et constitue, au sein de l’université, la tribune de l’intelligentsia de la jeune Université de Yaoundé. La revue Abbia, dont nous avons déjà parlé, est également bilingue et a une grande audience. Dans le premier numéro d’Abbia, JA. Kisob a écrit un article sur le « pidgin english » et signalé les ouvrages intitulés Kurzes Handbuch für Neger- Englisch an der West Küste Afrikas unter besonderer Beruecksichtigung von Kamerun, par G.V. Hagen (Berlin, Dungeldey und Werres, 1913), Anonymous, petite grammaire pidgin, suivie d’un lexique français-pidgin (Mission catholique, 1945), et Catéchisme en français-pidgin (1939). Dans le numéro 2 d’Abbia, on trouve « Cameroon poetry » de Ch. Ngande, « I am vindicated », de S. Maimo et dans le numéro 5 « Cameroon : A marriage of three cultures », de Fr. Mbassi Manga.
L’ÉVOLUTION DE LA LITTÉRATURE CAMEROUNAISE
La lecture des textes et ouvrages d’auteurs camerounais permet de constater plusieurs faits essentiels. D’abord, une relation constante entre l’expression littéraire et l’action politique dans la culture. Par la littérature orale ou écrite on use d’un certain langage qui sait manier le mot, le rendre magique, persuasif. Dans leurs écrits les auteurs participent aux échanges d’idées et aux grands débats. Le livre parle avec plus ou moins d’autorité selon qu’il domine suffisamment la matière qu’il traite et défend avec énergie les aspects essentiels de la vérité. C’est la littérature engagée.
On voit en outre que l’émergence d’une jeune littérature n’a été favorisée au Cameroun que par les épreuves imposées par les circonstances politiques du moment. Au XIX~siècle, la politique coloniale de l’Europe a imposé une culture dont la littérature servait les intérêts et visait l’assimilation culturelle et l’aliénation de la personnalité africaine. Les auteurs camerounais écrivant avant les années soixante ont engagé une lutte sans merci contre le colonialisme culturel et politique et pour l’affirmation de leur identité tant culturelle que politique. Leurs ouvrages étaient des ouvrages de combat dans tous les domaines - éthique et religieux, culturel et économique, linguistique et historique ou poétique.
On a déjà cité l’hebdomadaire publié en duala en 1934 sous le titre de Jumele la bana bu Kamerun (L’éveil des enfants du Cameroun), et Kaso, organe des étudiants du Cameroun en France que dirigeait Sengat-Kuo, grand poète et politicien émérite. I1 est l’auteur de Fleurs de latérite (1959)’ peinture de l’époque coloniale et de Heures rouges, dont le titre seul vaut tout un programme de politique culturelle. Son cousin Elolongue Epanya-Yondo a publié, juste à la veille de l’indépendance, Kamerun! Kamerun!, véritable plan de lutte pour la libération culturelle écrit en poèmes où percent ici et là un nationalisme ardent et la préoccupation de l’affirmation de la personnalité culturelle nationale.
Ensuite viennent des ouvrages et des études scientifiques qui constituent l’ossature de la littérature camerounaise de portée mondiale. Thomas Melone a fait paraître en 1962 sa brochure De la négritude dans la littérature negro-africaine, et consacré une grande partie de ses recherches au roman d‘avant 1960 : il a écrit deux thèses de doctorat d’État sur deux romanciers, Mongo Beti et Chinua Achebe. Thomas Melone est le premier défenseur de la politique culturelle du Cameroun à l’intérieur comme à l’extérieur. Il écrit en français et en anglais avec une maîtrise parfaite, ce qui confère à son oeuvre une dimension internationale, et son éloquence lui a acquis une renommée mondiale.
E. Njoh-Mouelle, dont nous avons parlé plus haut, convie à vivre dans l’action. Dans son ouvrage De la médiocrité a l’excellence (1971), il aborde le problème du développement. On lui doit également Jalons (1971), ouvrage où il part à la recherche d’une mentalité africaine, deux essais intitulés La réussite et l’échec et Réflexion sur la sagesse, et des articles, notamment « La tentation de la facilité » (Abbia, no 25)’ ( Littérature et développement et L’université et la personnalité africaine. Rappelons de nouveau le nom de J.C. Bahoken et sa thèse de philosophie sur L’ordre dans le système de pensée africain.
A l’aube de l’indépendance, les auteurs nationaux, libérés de l’occupation étrangère, se consacrent à la recherche de l’identité nationale et à la production d’oeuvres populaires d’éducation culturelle au sein des cercles et associations qu’ils fondent. C’est ainsi qu’ont vu le jour l’Association des poètes et écrivains du Cameroun, dont le chef de file est Philippe-Louis Ombede (dit Philombe), la Fédération des associations de jeunesse des arts et lettres du Cameroun qu’anime Charles-Henry Bebbe, ancien secrétaire général de la Commission nationale pour l’Unesco. Cette organisation comprend des troupes et des mouvements culturels qui font un travail en profondeur auprès de la population tant urbaine que rurale et constituent ainsi des structures d’encadrement efficaces pour la réalisation d’une politique culturelle démocratique au sens africain du terme.
Avant 1960, l’échec de la politique culturelle d’assimilation appliquée par l’administration coloniale avait engendré une abondante littérature romanesque dénonçant les méfaits de la colonisation qui frustrait les colonisés, les exploitait et les aliénait spirituellement, économiquement et moralement. Dès l’indépendance, l’an 0, la forme de lutte change sans pourtant que la politique d’assimilation culturelle de l’occident désarme.
En effet, on est à l’époque des conventions et des accords culturels qui, d’une façon subtile, enchaînent plus fortement l’âme africaine. Toutes les institutions - constitutions, organisations, formes de manifestations culturelles - sont calquées sur l’occident. La politique culturelle requiert de gré ou de force les conseils techniques de l’occident. Ainsi, on utilise le français et l’anglais comme langues officielles et donc langues de culture et de définition de la politique culturelle. Le néo-colonialisme culturel prend, avec des armes nouvelles, la place qu’occupait l’administration coloniale. Les écrivains continuent à dénoncer et à combattre cette politique d’assimilation culturelle.
La musique
Alors qu’en Amérique ou en Europe, la vogue est au jazz et à la musique pop, après les negro-spirituals qui sont les productions culturelles de l’Afrique de la diaspora, en Afrique et au Cameroun en particulier on assiste à un retour aux sources et à l’authenticité musicales. La position du gouvernement camerounais et du peuple tout entier est claire : donner une forte impulsion aux oeuvres musicales nationales.
D’une part, avec l’indépendance des Églises chrétiennes du Cameroun, la musique connaît un véritable regain. Avant 1960, les paroisses protestantes des missions chantaient des hymnes en langues maternelles sur des musiques européennes, exception faite de l’Eglise baptiste camerounaise du pasteur Lotin Same, grand compositeur, poète et homme d’une éloquence sacrée extraordinaire. En effet, le Mwemba ma Bana b’Ekombo a Kamerun (The Native Baptist Church) a été la première institution de réhabilitation de la personnalité religieuse et culturelle du Cameroun.
La politique hymnologique conçue par elle s’affirme aujourd’hui tant dans les chorales chantant en duala, bamiléké, bulu et bassaá que dans la Messe de l’abbé Ngoumou ou de l’abbé Endène Mbedi. D’autre part, on assiste à une explosion de la musique folklorique qui permet aux groupes sociaux de chanter dans leurs langues maternelles.
La radio et le disque ainsi que les bandes magnétiques concourent efficacement à la réalisation de cet aspect de la politique culturelle. La liste des compositeurs et chanteurs serait trop longue à citer, mais il faut mentionner en particulier Francis Bebey, Manu Dibango, Lotin Eboa, Jean Bikoko, Andre Marie Tala, Marie Nzie, qui sont à la fois interprètes et compositeurs.
L’indépendance du Cameroun a donné lieu à l’éclosion de la chanson populaire camerounaise qui recherche l’identité et oeuvre pour l’union culturelle nationale dans le respect de la diversité des modèles. L’hymne national d’aujourd’hui est l’ancien chant de ralliement camerounais de la jeune chorale de l’École normale de Foulassi, dont les paroles sont écrites en duala et en bulu, mais il existe un autre chant patriotique qui fut composé par Ndumb’a Bebe (mort en 1950) à la mémoire du martyr de Duala Manga. Il l’a appelé Tet ekombo (Père du pays). En voici les premiers couplets :
Duala Tet’ Ekombo Ye! Sango Ekombo Di meya Wa O! Jalèbè Wa Binyo makom lo bi mongèlè mam Man na bana ba Kamerun nyèsè Embè tè, nde le si bobisè ... Akwanè pè Loba Jongwanb Tonja nu tiinbisà momènè Ka Yuda; su lao ja bè pè ka la Yuda
Timbisèle Tet’ Ekombo Ye! Sango Ekombo! Di meya Fra O! Jalèbè Wa Tet’ Ekombo Ye! Sango Ekombo Di meya Wa! Oh! Jalèbè Wa Bodu Bwaba n’esodisodi! A Ngoso ya, to dièlè mba! Di langueye Bambambè myango Né nika nde e timbino bè! Di somonè Mbongo o mika na Yahwe! Dongo abino di bulabèlè Bawenya na bawedi ba ni tusabè Masango mabu ma dumbabè
Ne tè Kwala, o bawèlè ... Ná ate ye nde na mènè ... Natèna kwa n, mbon, a baba e dubabè Timbisèlè Tet’ Ekombo Yè! Sango Ekombo! Di meya Wa! O Jalèbè Wa! O sibanè Ekombo ango na boti Wamènè o tèno pè na dikoti! Po ango nya ngum son nin, Aba! nga nja so nu mapondè mo To Ekomb’ e si masawea Sango to muna buka njan Misima mao mi pepi nde bèn ba bato Mbako a Yahwe o buse ná : Yin ndengè di makusano I timbe nde misima ma bana basu.
Français Seigneur du pays (Père du pays) Oh! Seigneur du pays Pour toi nos pleurs Nos deuils ! nos lamentations ! Vous, amis, connaissez mes pensées concernant tous les Camerounais Tenez ferme, sans faiblir ... Implorez le secours de Dieu Quiconque s’est constitué Judas, sa fin sera celle de Judas Refrain Seigneur du pa.ys Oh! Seigneur du pays! Pour toi nos pleurs Nos deuils ! nos lamentations ! Père du pays, Seigneur du pays Oh! Seigneur du pays Pour toi nos pleurs! Nos deuils, nos lamentations ! Route longue dans la solitude O brave Ngoso, tiens-toi compagnie! Rapportons la nouvelle aux aïeux Comme il est advenu! Citons Mbongo au tribunal du Très I1 y a violation dans le partage des Vivants et morts sont persécutés. Leurs biens sont arrachés avec violence Ce qu’à ma déposition, tu témoignes, Seigneur, cela eut lieu effectivement De tout temps le témoignage de deux personnes a été digne de foi
Refrain Père du pays, Seigneur du pays Seigneur du pays! Pour toi nos pleurs! Nos deuils ! nos lamentations ! Tu mourus sans regret pour ton pays Te donnant en rançon pour lui! La voici, ton épée de héros, Hélas, qui donc se sent capable de la brandir hormis Toi Le pays ne rétribue point Le père et le fils plus que l’étranger (l’étranger gagne plus que le père et Ses chances sont pour les étrangers Que la sentence vienne de Yahvé (du Que toutes ces peines que nous subis- Deviennent les bénédictions de nos enfants
Ces paroles dénoncent les multiples violations dont les Camerounais furent victimes depuis l’arrivée de Mbongo en Afrique et elles ont nourri la foi patriotique de ceux qui les entonnaient à chaque anniversaire du héros. Elles annoncent aussi l’avènement de l’indépendance, ère du mieux-être où s’épanouira la culture nationale.
Mentionnons encore Kinshasa, 0 bia de Francis Bebey et Idiba i busi bwan, chansons contemporaines certes, mais qui évoquent l’histoire douloureuse de notre Afrique qui se libère progressivement de la colonisation culturelle.
Les contes
Dans chaque conte, il y a un début qui pose une question : par exemple, Angingila ye? (Qui est dans cet os?) et une réponse Ewese (Le vrai savoir).
Dans le mboma, légende d’Esow’a Djèkì la Ndjambè Inono na kwa Mtolo, qui raconte la bataille de Djèki de Ndjambè, l’omniscient, et de kwa, le sanglier primordial, les officiants posent la question et l’auditoire répond.
Groupe des oficiants I, I,’auditoire, assemble’e Emonymony ? Ohé. A mapata m a Ngoso? Malong m a nkwa Ekumbalan? Esaka Owoni e? OWOO! Ayè! Ayè. O dièle mba ... ? Mulema m u si dolè.
Texte traduit en franqais O Très Haut (O sublime Dieu) Exact, Toi, l’Immortel suprarégent de l’espace (Maître de l’univers) O guide, à quelle moisson A rencontrer les puissances (États nous convoques-tu ? des trublions) S’agit-il de révolution ? Non, simple mise en garde, car un brin d’herbe qui fume peut causer un grand incendie. Mais un tel désordre alrivera-t-il (Bien sûr), la menace plane ici et la, chez nous? partout. O Mère, O Mère, que me lègues-tu (de quoi me fais-tu héritier) Mon coeur n’a plus de beauté (il est troublé, inquiet, désolé)
Mais alors dis à ton Ame de choisir J’ai choisi (je viens de choisir)
Chaque fois que l’un des groupes parle, le tam-tam-parleur joue quelques notes d’accompagnement. Il joue : Lo kukulu logo lohulo! Lo kukulu logo lohulo! Nj’u Tusè? Nj’u Tusé? (Qui te donne la force et l’intelligence de pouvoir choisir? Qui te fait vibrer intérieurement pour opérer ton choix?) Réponse de l’interlocuteur : Nyumb’u Dibenga! (Le Suprême - le Tout Puissant-1ntelligent).
La civilisation du Cameroun et sa littérature reposent sur une puissante tradition orale, sur une société communautaire où la littérature et la civilisation sont non seulement le patrimoine commun le mieux partagé, mais aussi des biens collectifs, en ce sens que chaque génération doit enrichir l’oeuvre selon un processus dynamique, afin que les générations futures y retrouvent un capital ancestral.
La littérature orale est quelquefois simplement stylisée en idéogrammes clairs rappelant la très lointaine littérature hiéroglyphique des bords du Nil, qui a pour pendant les manuscrits en mum chez les Pamoun, dont l’originalité fait la fierté de la république.
Tout cela est à découvrir, à analyser, à comprendre et à développer par le dynamisme interne des Camerounais : écrivains, penseurs, chantres, poètes, joueurs d‘instruments de musique ou conteurs de légendes, de mythes ou d’histoire. C’est une oeuvre d’avenir et de foi ardente qui sera possible grâce à la révolution culturelle, ou mieux, au renouveau culturel, processus mis en place pour extirper toutes les manifestations du néocolonialisme culturel et mettre un terme à l’imitation des modèles culturels étrangers.
Notre civilisation sera redécouverte et réhabilitée grâce aux travaux de nos spécialistes, géographes, linguistes, sociologues, anthropologues, politicologues, juristes, etc., qui oeuvrent déjà à l’intérieur des zones de culture déterminée par nos provinces.
La mise en oeuvre d’une politique culturelle authentiquement camerounaise exige d’abord une souveraineté politique complète, l’affirmation de notre personnalité et la volonté du peuple camerounais de bâtir une nation forte, prospère et efficace où les citoyens aient le droit à l’initiative créatrice dans le domaine culturel.
Il faut ensuite une volonté de renouveau dans le domaine de l’éducation et de la formation des citoyens, ce qui implique qu’on remette en honneur les valeurs de notre humanisme traditionnel. Nous devons rejeter les modèles de culture importés et par conséquent les projets de société conçus par les autres, en particulier par les anthropologues et ethnologues allogènes.
Ensuite, notre politique culturelle exige du penseur comme du chercheur une analyse objective et critique du passé et du présent, afin de déterminer la voie dans laquelle nous voulons nous engager. La culture est le moyen par lequel toutes les finalités de la destinée du peuple camerounais s’articulent et s’organisent en programmes divers dans le cadre d’un plan de développement socio-économique d’ensemble de la nation.
Enfin, cette politique culturelle suppose la participation du peuple tout entier. Les actions culturelles sont désormais conçues tant au niveau de la cellule villageoise qu’à celui de la communauté nationale. Toutes les manifestations, les actions et les réalisations concourent à la réalisation d’une économie culturelle qui nécessite une harmonisation de la politique économique et sociale avec la politique de l’éducation et de la formation des hommes appelés à réaliser le projet authentiquement camerounais de société.
Reference : (Extraits) La politique Culturelles en Republique Unie du Cameroun. Les Presse de l’Unesco, 1975. Par J. C. Bahoken et Engelbert Atangana
Adaptation ("Sawanisation") par Le WebAdmin de PeupleSawa.
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