|
26.08.2005
" Evolution Culturelle, Dynamiques identitaires et Traditions ...." par Denise EPOTE DURAND
EVOLUTION CULTURELLE, DYNAMIQUES IDENTITAIRES ET TRADITIONS
WORLD CULTURE FORUM, SAO PAULO – 1ER JUILLET 2004
Denise EPOTE DURAND, Directrice de TV5 Afrique, Paris
Mesdames, Messieurs, Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse : ma qualité de femme et d’africaine à ces assises m’amène à mesurer ô combien est capital et vital l’enjeu de la diversité culturelle pour les faibles. Je constate que les femmes sont très peu représentées ici, or messieurs la diversité culturelle ce serait aussi d’accepter qu’elles prennent plus souvent la parole dans ce genre de rencontre. Je referme ici la parenthèse.
Parce que les médias jouent un rôle central dans la dynamique planétaire de la mondialisation, en ma qualité de journaliste, je mesure la rapidité des changements et leur impact sur les populations car on peut même parler aujourd’hui de la mondialisation de l’émotion, l’Euro au Portugal nous en donne encore l’exemple. Elle est la conséquence directe de la puissance des médias qui, grâce au satellite, ont supprimé les frontières.
Née en Afrique Centrale, je revendique ma culture bantoue. Mon passage à l’école française, loin d’occulter et de gommer cette identité, m’a fait connaître les joies de la cohabitation pacifique, car je me suis approprié le français. Plus qu’une langue de travail, il est pour moi une langue de partage dans un espace de solidarité et de coopération comptant 50 millions d’individus, où l’unité se pense dans la diversité.
Au sein de TV5, vitrine de la Francophonie plurielle, aux côtés de Belges, de Canadiens, de Suisses et d’autres Africains, je me nourris aux couleurs et aux accents de cette Francophonie différente du français hexagonal dont Senghor dit : « qu’elle est un humanisme intégral qui se tisse autour de la terre ». Je suis donc convaincue qu’il ne peut y avoir de diversité culturelle sans diversité linguistique. Derrière chaque langue il y a une culture et plus il y a de cultures et plus le monde est riche de nos différences. Aujourd’hui le repli identitaire ou communautaire est fustigé car il est, dit-on, meurtrier. Doit-on pour autant y renoncer ? En tant que substance sur laquelle on se replie, oui l’identité communautaire est meurtrière. Mais l’identité communautaire en tant que parcours est fondamentale et salvatrice. A l’Est, le communisme a voulu gommer les différentes identités.
Fort heureusement, elles sont restées en hibernation et la fin du communisme à marquer leur éclosion. Chaque fois que l’on veut bâillonner une identité culturelle, on crée des conditions de résistance qui conduisent très souvent au repli identitaire. Aussi, l’intégration des immigrés, à laquelle sont confrontés aujourd’hui plusieurs états du Nord, ne peut se faire sur la base d’un renoncement total de soi. Ces immigrés sont la somme d’identités malienne, ivoirienne, sénégalaise, algérienne, puis française. C’est donc à juste titre qu’Aimé Césaire dit : « il y a deux façons de se perdre, soit par dissolution dans l’universel ou par repli dans le particulier ». Parce que l’homme est générateur et porteur de culture, tout développement qui se ferait sans la culture conduirait à un appauvrissement de l’homme, privé ainsi de paix, de progrès, de justice sociale et comble de tout, de dignité.
Pour l’Africaine que je suis, la tradition est un vivier dans lequel tout individu puise sa vitalité. Mais les traditions ne doivent pas être immuables, elles ont besoin d’une remise en question. Elles doivent s’adapter au temps, sinon elles courent le risque de devenir un frein. Elles doivent se conformer aux exigences des temps modernes tout en gardant leur esprit. La globalisation présentée comme une menace pour nos artistes a, certes, des effets pervers qui conduisent à nier leur génie. Les grandes firmes du Nord à cause du monopole de la production et de la diffusion leur imposent leur diktat. Nombreux sont les artistes qui sont donc contraints à produire une édition internationale et une édition locale car les pulsions de leurs différents publics sont aux antipodes.
La réalité historique du Brésil a forgé une danse et une musique qui porte les stigmates du parcours du peuple brésilien. Mais changer la samba pour l’aligner au goût du paysan de l’Alabama conduirait à la dénaturer ! Si la globalisation et les négociations de l’O.M.C. parviennent à faire main basse sur les productions de l’esprit, ce serait la porte ouverte à un monde de tensions. Ce sont des particularités que l’on gommera pour faire le lit du fondamentalisme, alors que par essence l’artiste est libre et son génie décalé qui fait son originalité ne saurait être embrigadé par des textes. Mais la globalisation a également des effets positifs. C’est pour cela que notre mobilisation doit être sans relâche, pour permettre aux oeuvres de l’esprit d’être diffusées aux quatre coins du monde, en un mot, assurer leur promotion. A TV5 c’est notre credo. Ce n’est pas un hasard si nous avons emprunté à Pascal cette célèbre phrase, devenue la signature de la chaîne : « le centre du monde est partout ». L’acceptation de l’autre aussi bien dans son passé que dans son présent ne peut être qu’un facteur d’équilibre et de paix. La paix de l’esprit qui est primordiale à la créativité d’un artiste car, dans le besoin, il est une source qui tarit. Cependant, l’abondance n’est pas forcément source de créativité. Il y a un juste milieu à trouver.
90 % de la vitalité d’un pays reposant sur la culture, il est urgent que les gouvernements des pays du Sud placent la culture au coeur de leur politique de développement et ce, malgré le recadrage qui leur est imposé par les institutions de Bretton Wood. La culture est un élément fondamental du développement économique, à nous de convaincre ceux qui continuent à l’ignorer. Il faut donc repenser les politiques de développement en y intégrant une dimension culturelle. Je suis convaincue que c’est dans la culture que nous trouverons les réponses aux interrogations de plus en plus pressantes des temps modernes.
Je ne terminerai pas mon propos sans mentionner la richesse foisonnante de la culture de l’exil. Le combat de ces femmes et de ces hommes arrachés à leur terre n’a pu être mené et entendu que parce qu’ils sont restés ancrés dans la culture de leur terroir qui devient facteur de résistance. Si Myriam Makéba, loin de sa terre natale, avait renoncé aux traditions zouloues et aux cliks song, elle n’aurait pas été Mama Africa. Preuve que l’identité culturelle n’est pas liée au sol, mais à une somme de vécus que l’on porte et transporte en soi.
|
|
|