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25.08.2005
Djebale : L’île éternellement rebelle
Dominique Bela
Cinquante ans après son invasion, le petit village affiche toujours sa résistance à la France.
Difficile de ne pas trembler devant le canon à feu qui surplombe de l’île de Djébalé. Le vieil armement est exposé comme un trophée de guerre aux touristes. Souvenir nostalgique d’un passé maculé de sang… Le voyage à destination de l’île de Djebale débute dans une petite gare fluviale située au quartier Bonabéri à Douala. Une fois par jour, une pirogue artisanale à moteur quitte ce quai situé non loin de la résidence du sous-préfet de l’arrondissement de Douala 4e, Antoine Bissaga. A destination de cette île, l’embarcation est la seule voie de communication en partance pour cette terre entourée. Le voyage dure près d’une heure au prix de 500 Fcfa (aller et retour). En ce mois d’août, il pleut particulièrement des cordes dans la ville de Douala. La pluie commencée très tôt ce matin continue de déverser ses flots dans le lit du fleuve alors qu’assis par petits groupes dans cette petite gare fluviale, quelques passagers devisent tranquillement attendant l’heure de départ.
Avec parfois femme et enfants, les touristes à destination de Djebale s’encombrent de nombreuses provisions. En majorité, ce matin, l’équipée est composée des revendeuses de bâton de manioc et de «mignondo». Ces femmes venues des différents coins de Douala vont acheter leur marchandise dans l’île à un bon prix pour la revendre dans divers marchés de la capitale économique.
Jusqu’à l’installation dans l’embarcation, l’ambiance est détendue et conviviale. Le point de départ pour Djebale est un mélange de ceux qui vont à destination de cette bande de terre noyée d’eau et les vendeurs de vivres dont le marché jouxte la gare portuaire, d’où part quotidiennement la pirogue qui lève l’encre dans quelques minutes. Un vieux transistor distille de la musique tandis que quelques adolescents jouent aux cartes. Au milieu de ce tout ce monde, on distingue plus facilement des pécheurs qui préparent leur filet.
Risque
Il est 8 heures. L’attente se poursuit. Le soleil tarde à montrer ses dardes. Le Wouri bruisse de vagues qui meurent paresseusement sur les quatre piliers du vieux pont dans cette zone de l’estuaire. Si l’on s’en tient à l’intense déploiement des engins lourds sur le lit de ce fleuve, les travaux de réhabilitation du pont sur le Wouri semblent atteindre leur vitesse de croisière. Une chaloupe transportant des gravats et du béton est stationnée dans les eaux non loin de l’ouvrage en chantier alors que quelques manœuvres vont et viennent.
On aperçoit aussi des creuseurs de sable en activité plus loin dans le cours. A l’aide des sauts, ils plongent dans les profondeurs du torrent pour y ramener le précieux gravillon. A un jet de pierre de là, des pêcheurs retirent leur filet de l’eau. Preuve que le poisson se fait plus rare en cette fin de saison sèche. De même que les pêcheurs se plaignent de la raréfaction des autres espèces animales aquatiques. L’embarcation se déplace lourdement sur l’eau et pour le premier venu, la partie ne semble pas gagner d’avance. La brise fraîche se mêle au parfum du sable chaud. Le calme est perturbé par le vrombissement des bateaux que l’on aperçoit au loin. 8 heures 30 min, la pluie vient de s’arrêter. Le lit du fleuve commence à renvoyer l’éclat de sa crue à l’apparition des premiers rayons de soleil. La barque qui transporte une trentaine de personnes, est une embarcation de fortune de bois monté. Pour sa solidité, il faut compter avec l’alliage composé de métal et de cuivre. Un mélange qui n’a malheureusement totalement pas résisté à l’usure du temps.
L’ouvrage est peint en blanc. Deux longs bancs servent de places assises pour les passagers qui, par petites vagues, sont montés à bord du vieux canot, serrés les uns contre les autres. Le visiteur prend conscience du risque permanent que vivent les 400 habitants de l’île de Djébalé. Obligés qu’ils sont, de faire le déplacement presque quotidiennement en partance ou à destination de l’île. L’embarcation ne dispose pas de gilet de sauvetage. L’eau rentre dans la pirogue dès qu’elle est à flot. Aucune règle de sécurité maritime n’est respectée par le conducteur. Mu par l’appât du gain, il a embarqué ce matin une trentaine de passagers, non sans prévenir qu’il est interdit de se pencher hors bord. Une fois le vieux canot dans l’eau, tout novice ne peut que se remettre à Dieu. Les passagers les plus téméraires ont pris place vers la proue de l’embarcation alors que le reste de l’équipée est assise vers le poste de pilotage. Parti du quai vers 09h, aprèe de multiples manœuvres du passeur, l’embarcation s’élance à un rythme accéléré. L’air du large se mêle aux effluves d’essence. Les eaux du fleuve dessinent une gigantesque lézarde autour du canot, alors que, derrière, Douala n’est plus qu’une minuscule tache. Un point noir qui diminue au fur et à mesure que la pirogue s’éloigne.
Alors commence la balade. Des deux côtés du fleuve, de grands palétuviers aux grandes racines entremêlées donnent un décor singulier à la mangrove des environs. Le clapotis des eaux, que l’on dirait salué par les cris des oiseaux perchés sur des arbustes, en rajoute à la beauté de ce décor. A écouter les pêcheurs commenter, l’eau du cours regorge des variétés d’espèces de poissons telles que les «wangas» (carpes) les «seys» (capitaines) les «nyatas» (les silures). La flore, quant à elle, est constituée des essences rares tel l’acajou, l’ébène et même l’iroko.
Au-dessus de la verdure flamboyante, de grands oiseaux aux ailes larges et au bec pointu animent un concert de cris. Cette musique est une invite à la découverte. Non sans former quelque osmose avec la nature chatoyante. La pirogue à moteur poursuit inexorablement sa route. Après la peur du début, vient le moment de l’exaltation des bienfaits de la nature. Le voyageur est enivré par le parfum de l’océan. La sérénité et le silence de la grande bleue laissent libre cours aux rêveries. L’assurance du pilote suggère à l’abandon. La barque vient d’atteindre les côtes de l’île de Bonaessengue. Un atoll inhabité, d’où jaillit une flore exceptionnelle. «Aucune carte n’indique l’existence de cet îlot», commente un passager.
Le conducteur de la pirogue précise cependant que l’île de Bonessengue possède une faune constituée de grands singes. Après une vingtaine de minutes de navigation, au loin, on aperçoit un petit village de pécheurs. «Nous sommes à l’île de Djébalé», murmure le passeur. La pirogue amarre sur une plage sauvage que surplombent des palétuviers. On sort de la barque, ravi d’être arrivé sain et sauf à l’île. Une fois pied à terre, commence donc la découverte de ce qui fut jadis la plaque tournante du commerce entre le Moungo (Dibombari, Bakoko, Banendele) et le Wouri.
Ce fut aussi la base arrière des Allemands pendant les deux guerres mondiales. Premier arrêt, le mausolée Sylvestre Essome. Ce personnage, pourfendeur de la France, fut l’un des chefs les plus charismatiques de l’île de Djébalé. Il mourut en prison pour ses idées. «Ils sont nombreux, les fils de Djébale qui sont morts parce qu’ils soutenaient l’Allemagne. Cela est compréhensible. Pendant la période allemande, toutes les grandes décisions se prenaient à Djébale par les Allemands. Les Allemands nous ont beaucoup aimés. Quand la France arrive, en réalité, très peu de Djébalois veulent collaborer. Cette période a été très conflictuelle», reconnaît, amer, le chef Alfred Tanga.
Une fée
Comme symbole de la résistance à la France à cette époque dès l’entrée de l’île, un canon à feu accueille le visiteur. Le vieil armement de guerre est enterré à moitié au sol et fait face au fleuve. La balade se poursuit à travers un petit chemin sinueux qui conduit à travers le village. La vieille église allemande, qui a déjà fait son temps, domine l’île et les maisons construites pour la plupart en matériau provisoire. La population vit essentiellement des produits de la pêche et de l’agriculture.
A Djébale, il est difficile de voir des ordures traîner au sol. Alexandre Mouelle est chargé d’assurer la salubrité de l’île, une tâche que ce père de huit enfants, âgé de plus de 50 ans, prend avec beaucoup de sérieux. «Tout ce que je demande aux autorités, c’est de nous faire respirer par les fosses nasales. Nous avons besoin d’électricité. Tout le monde a fuit l’île à cause du manque de courant. Les maisons sont vides, il n’y a personne pour y habiter», se plaint-t-il.
L’école primaire publique, qui a eu pour élèves William Eteki Mboumoua et bien d’autres hauts cadres de l’administration, fonctionne grâce à quelques élites qui prennent en charge les salaires des maîtres bénévoles. L’eau potable est une denrée rare.
Selon les explications du chef de Djébalé 1, le projet majeur qui devait sortir l’île de son enclavement a été détourné par des autorités dont il tait les noms. «L’actuel pont sur le Wouri devait partir de Bonamoussadi derrière la station Mobil, pour arriver à Djébale et sortir par Bonendalé. Ce projet a été détourné du temps de l’ancien chef de d’Etat», soutient-il. Avant de renchérir sur la même lancée: «Selon le schéma directeur de la ville de Douala, l’île de Djébalé est située en plein centre la métropole économique. Comment expliquer donc notre dénuement? En fait, nous souffrons de l’absence des fils de Djébalé dans les hautes sphères de l’administration». Le village dispose d’un petit centre de santé aux équipements peu modernes.
L’on situe la découverte de l’île de Djébalé au début du premier siècle. La légende rapporte que l’île porte le nom d’une fée, Jobale, qui fut l’épouse du premier chef de l’île, Male Male.
«Notre peuple est parti du fleuve Congo. Nos ancêtres se sont d’abord installés au centenaire à Akwa. Le type de pêche qu’ils faisaient nécessitait qu’ils soient sur une terre plate. Le centenaire est une colline et l’eau était juste à côté. Un jour, le premier fils de Male Male est parti à la pêche, il a vu une île inhabitée, il a essayé de débroussailler et a vu une terre plate et c’est comme ça que les Djébalois se sont installés ici», raconte Alfred Tanga, chef de Djébale 1.
Sur le plan démographique, l’île de Djébale est habitée par 400 âmes, dont 46 enfants âgés de 6 à 14 ans. Du fait des dissensions, le village a été scindé en deux agglomérations, dont Djébale 1 et 2. Djébale 1 est composé de trois grandes familles: les Moussombi, les Bonamandengue et les Bonassame. Djébale 2 est subdivisé en cinq grandes familles: les Bonabekoulé, les Bonabile, les Bonambaka, les Bonassango et les Bonambongo.
Il est 17 heures, alors que le soleil commence à regagner son nid, la pirogue se remet sur les flots pour le voyage retour qui parait plus court qu’à l’aller. Et provoque moins de frayeurs.
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