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12.08.2007
Valère Epée : Duala Manga Bell, un exemple de patriotisme
Valère Epée (Ebele Wei) Homme de culture et de lettres, il parle du "Tét’ Ekombo 2007" qui se tient à Douala. Propos recueillis par Dippah Kayessé ----------
Que prévoit cette année le calendrier des activités commémorant la pendaison en 1914 à Douala de Rudolf Duala Manga Bell?
Cette année, les festivités s’étalent sur quatre jours. Tout a commencé hier, 8 août, avec le dépôt de gerbes sur les tombes de Rudolf Duala Manga Bell à Bonanjo, Adolf Ngosso Din au cimetière Njo-Njo et Richard Din Manga, mort bien plus tard, mais pour la même cause. Nous visiterons aussi et bien évidemment le site où Rudolf Duala Manga Bell a été pendu. Au cours des visites essentiellement méditatives, nous allons procéder à des rituels habituels c´est-à-dire des prières, l’hymne Tét’Ekombo (Père de la patrie). Puis, les jours suivants il est prévu un concert de musique religieuse, une conférence publique, une procession dans la ville et plusieurs autres attractions culturelles…
Erigé en héros national par décret présidentiel depuis une vingtaine d’années, la commémoration du décès de Rudolf Duala Manga Bell reste malgré tout confiner au seul canton Bell…
La fête Tét’Ekombo est célébrée tous les ans depuis 1936. Jadis fête du Ngondo, elle a cessé de l’être le jour où un de nos chefs traditionnels a pris sur lui la lourde responsabilité de déclarer que ce n’est qu’une fête du canton Bell. Et puis, tous les autres ont bêtement suivi alors que Rudolf Duala Manga Bell et les autres ne sont pas morts pour la cause du canton Bell mais pour le Cameroun tout entier. Nous aimerions bien que l’Etat, qui a fait de Rudolf Duala Manga Bell ce héros national, se penche davantage sur ce problème. A ce titre, c’est une prérogative de l’Etat d’aider à matérialiser cet héroïsme. N’oubliez pas que l’Etat a donné à une promotion de l’Ecole militaire inter armes de Yaoundé le nom Rudolf Duala Manga Bell. A défaut donc d’une intervention de l’Etat, Dieu merci, la famille royale et la communauté belloise ne l’ont pas oublié et lui rendent un hommage tous les ans.
Qui était Rudolf Duala Manga Bell?
Généalogiquement, Rudolph Duala Manga Bell était le fils de Manga Ndumbé, l’architecte et le propriétaire de la Pagode à Bonanjo. De cette noble naissance, Rudolf Duala Manga Bell a surtout tiré des enseignements moraux, beaucoup de courage et de l’intérêt pour la nation. Son nom est évocateur de son héroïque combat face aux Allemands. Jusqu’à sa mort, il a lutté contre l’expropriation des Bellois dans le cadre d’un projet d’urbanisation des Allemands qui impliquait plutôt l’instauration de l’apartheid dans la ville de Douala. Il devrait avoir dans les cantons Bell, Akwa, Deido…un quartier blanc et un quartier noir. Sa pendaison en 1914 commence avec la lettre qu’il avait envoyée au sultan Njoya, roi des Bamoun, lui demandant d’unir leurs forces pour contrer le diabolique projet allemand. La même lettre de sensibilisation avait été envoyée à Henri Madolla à Kribi et Martin Paul Samba à Ebolowa. Malheureusement, le sultan Njoya va remettre ce courrier à un ecclésiaste allemand, qui, à son tour, va le transmettre au gouvernement colonial. Lequel va s’offusquer de ce que l’on a fini par qualifier de haute trahison sous prétexte qu’il voulait soulever le peuple camerounais contre l’empire allemand. Arrêté, il sera rapidement jugé puis pendu le lendemain, 8 août. D’autre part, c’était un homme de foi. Libéré pour aller faire ses adieux à sa famille, il a eu l’occasion de s’évader mais a tenu à mourir au nom du peuple.
Que reste-il donc de l’héritage de Rudolf Duala Manga Bell?
C’est un gros point d’interrogation. A travers ces célébrations annuelles, le canton Bell voudrait poser à la conscience de tous, la question de ce que nous avons fait de l’héritage si précieux de ces martyrs héroïques pendus ou fusillés. Dans l’attitude responsable de Rudolf Duala Manga Bell, il y a ici une grande leçon à tirer pour les générations actuelles et futures. Autour de nous, difficile de retrouver un Rudolf Duala Manga Bell. En ces temps où les patriotes sont de plus en plus rares dans notre société où nos politiciens n’ont aucun respect pour la parole donnée. Après la seconde guerre mondiale, nous avons vu des organisations d’hommes telles que l’Upc et le Ngondo pleines de patriotes. Ces organismes considérés comme les principaux artisans de l’indépendance au Cameroun bombardaient les Nations unies de pétitions et envoyaient en permanence des délégations pour défendre notre cause.
A Yaoundé, la statue de Charles Atangana a été érigée, à Ebolowa, celle de Martin Paul samba et, tout récemment à Eséka, celle de Um Nyobé. A quand un buste de Rudolf Duala Manga Bell à Douala?
Une statuette ne suffit pas pour faire de quelqu’un un héros national ou encore la désignation d’une promotion. Il faut bien que l’Etat accompagne cette désignation d’actes concrets sur le terrain pour pouvoir donner à son décret tout son poids. C’est à lui qu’il revenait donc de prendre des initiatives, d’encourager les artistes à confectionner des effigies, des statues en mémoire de ces héros nationaux. A Eséka et à Ebolowa, ce sont les communautés qui se sont chargées de l’érection des statues, et le politique en a tiré profit. Nous avons néanmoins trouvé un artiste capable d’ériger une statue, un buste selon son inspiration. Les artistes savent bien à quel moment commence l’œuvre mais jamais à quel moment ils la termineront à cause des aléas de la vie.
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