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30.11.2007

Exclusif ! Entretien avec le Pr. NJOH MOUELLE 

Qu’est-ce qu’un sawa ?

Njoh Mouelle : À vrai dire l’appellation sawa est relativement récente. simplement Les sawas étaient désignés encore récemment comme étant des doualas. L’embrouillamini créé par l’administration coloniale dans les découpages machiavéliques des unités administratives a laissé l’impression que l’ethnie douala ne concernait que les populations enfermées dans le périmètre du département du Wouri qui se confond avec la ville de Douala. Les ethnologues n’ont pas de mal à montrer que les coutumes, les traditions, les dialectes des habitants de cet étroit périmètre de la ville de Douala sont identiques à ceux des populations plus nombreuses tout autour de Douala et peuplant les unités administratives du Nkam, notamment les ewodis et les bodimans du bas Nkam, ainsi que les mbangs du nkam nord dont le parler est quasi identique à celui des bakokos,  de tout le Moungo autochtone avec ses abos, ses pongos, bakokos, balongs, bonkengs, bakakas et mbos, des bakokos de la Sanaga Maritime, des balongs, bakossis, bakweris, bakundus, etc.de la province du sud-ouest, des batangas du département de l’océan. Je ne voudrais pas que mon énumération soit considérée comme exhaustive ; elle se veut simplement illustrative. Pourquoi l’appellation sawa s’est-elle imposée récemment ? Parce qu’elle est plus intégrative géographiquement  parlant, (Ces populations occupent la côte du Cameroun et les colons redoutaient cette intégration). Il faut aussi se dire que la première appellation de ces populations par le terme générique de « douala » n’était pas injustifiée ! En effet l’appellation douala renvoyait à un arbre généalogique faisant remonter à l’aîné des .quatre fils de Mbedi Mbongo, le grand ancêtre commun, à savoir Ewale’a Mbedi. Ewale qui est devenu duala à la suite des déformations crées par le colon. Tandis que les doualas de la ville de Douala  ont donc comme ancêtre Ewale, tous les autres sawas dont les coutumes et les parlers (langues, dialectes) sont similaires à ceux des doualas, ont comme ancêtres les trois autres frères de Ewale qui s’appellent Bojongo’a Mbedi, Mudibe’ a Mbedi, Kole’a Mbedi. Le groupe ewodi auquel j’appartiens, par exemple, a comme ancêtre Mudibe’a Mbedi. Ewale’a Mbedi ayant été le fils aîné de Mbedi Mbongo, le hasard de l’Histoire aurait donc semblé consacrer une sorte de droit d’aînesse des descendants directs de Ewale’a Mbedi sur tous leurs autres cousins descendants de Bojongo’a Mbedi , Mudibe’a Mbedi et Kole’a Mbedi. Ceux-ci avaient choisi d’aller s’installer sur d’autres terres pas très éloignées de celles qu’avait choisies le frère aîné.
           
Je dois ajouter que la très récente extension de la fête du Ngondo à tout l’espace sawa a largement contribué à consacrer la désignation par le le terme sawa de tous ces descendants de Mbedi’a Mbongo, le vrai dénominateur commun de tous les sawas. Je termine donc en vous disant que le sawa serait donc celui dont l’arbre généalogique le ferait remonter à cet ancêtre commun qu’est Mbedi Mbongo, lui-même fils de Mbongo , l’ancêtre des ancêtres.

Qu’est-ce qui fait la sawanité?

            Njoh Mouelle : Les sawas continuent d’être fiers d’avoir été les premiers à entrer en contact avec les Blancs, c’est-à-dire avec la modernité, d’une manière générale. Occupant l’espace de front de mer qui ouvrait sur l’extérieur par les océans, ils n’ont eu de cesse de traiter les populations de l’intérieur du pays comme des « broussards », des gens de l’intérieur. Tout cela n’a plus, à mon sens, qu’une valeur anecdotique aujourd’hui.Il n’empêche que la sawanité, telle qu’elle est reconnue par les autres compatriotes fait d’eux des gens travailleurs, rigoureux, aimant bien s’habiller (influence peut-être du contact qu’ils ont eu, les premiers, avec les Blancs, tant ici au pays qu’en se rendant  au « pays des Blancs ». Autre caractéristique importante : ils sont généralement des nationalistes et des patriotes. L’histoire de l’Assemblée traditionnelle du peuple sawa, le Ngondo, est là pour en témoigner. De même le martyr de Roudolphe Douala Manga et Ngosso Din, pendus par les Allemands par amour de leur peuple, alors qu’il leur a été proposé de s’enfuir la veille du jour fixé pour leur pendaison. Il ne faut pas oublier que l’appellation Cameroun a d’abord concerné la côte et plus particulièrement Douala, appelée par les Allemands « Kamerun Stadt », à un moment de l’Histoire. Tout cela rend les sawas plus que fiers, même si aujourd’hui, d’autres compatriotes les trouvent vantards et trop fiers. Mais cela pourrait bien se dire d’autres familles ethniques du Cameroun. Donc pas d’absolutisation de quoi que ce soit.

Quelles suggestions feriez-vous au Ngondo 2007 pour la jeunesse sawa en particulier ?

            Njoh Mouelle : C’est un peu juste à présent, des suggestions pour la jeunesse en particulier, pour un ngondo qui va se tenir dans un mois et demi. Ma suggestion générale, valable pour l’avenir de la jeunesse, consiste à chercher des solutions pour renforcer l’encadrement de cette jeunesse en vue de leur faciliter l’insertion dans la vie professionnelle. En ce qui concerne les activités traditionnelles au sein du Ngondo, je pense qu’il faut poursuivre ce que le défunt Prince Dika Akwa a si bien accompli de son vivant en direction des jeunes ; je veux parler de leurs multiples initiations aux traditions. A cet égard, la création des écoles pour l’apprentissage de la culture traditionnelle, des écoles de  danses en particulier,  devrait sérieusement être envisagée afin de mettre sur pied un de ces jours un véritable festival à l’instar de ce qui se passe à Rio de Janeiro.

Quelles leçons tirez-vous de votre passage au gouvernement ? Avez-vous des regrets ou alors tirez-vous quelques satisfecits ?

            Njoh Mouelle : Douze mois de participation à l’activité gouvernementale, c’est un peu court pour en tirer des leçons. J’ai au moins la satisfaction personnelle d’avoir engagé pas mal d’actions qui pourraient être soit continuées, soit interrompues.

Par-delà les remous que provoque l’instauration en France des tests ADN pour les procédures de regroupement familial, il y a en filigrane la notion de « famille » qui fait débat. N’est-ce pas une vision universaliste de penser comme la majorité parlementaire française, qu’elle est uniquement cellulaire (mère, père, enfants). Pour vous, philosophe, quelle définition attribuez-vous à la famille ?

            Njoh Mouelle : Ce dont il s’agit dans l’utilisation des tests ADN concerne la famille de sang. Tous ceux qui voient circuler dans leurs veines le sang des ascendants. Les enfants des familles polygamiques ne sont pas moins des membres d’une famille de sang puisque le géniteur, époux de plusieurs femmes est supposé conditionner le bagage génétique des enfants de toutes ses épouses. Si certains enfants des familles polygames de chefs traditionnels par exemple, ne portent pas des gênes du chef de famille parce que nés des œuvres d’un « coupeur de bois », (désignation donnée aux amants plus ou moins officiels de certaines épouses du harem du chef) il reste indéniable que dans ce contexte culturel déterminé, ils font bel et bien partie de cette famille, leur mère n’étant pas entrée dans les faveurs du chef par effraction !Il y a donc bel et bien au départ une conception de la famille basée sur le lien du sang, avec extension aux cousins, bien entendu, et un élargissement culturel qu’entraîne le type de contrat de mariage auquel on a affaire. Le cas des enfants adoptifs qui n’ont aucun lien de sang avec leurs parents adoptifs vient renforcer la nécessité d’une compréhension du sens de la famille élargie à la dimension culturelle et non restreinte au lien de sang.
            A partir de là, il faut dire que chaque état a le droit de réglementer son immigration comme il lui semble correspondre à ses intérêts. L’universalité d’une conception de la famille pourrait être reconnue facilement sans que cela supprime la confrontation des intérêts sur le marché du travail, par exemple.

Le peuple sawa est-il une famille ?

            Njoh Mouelle :
Comment ne pas le penser ? Quand on considère la constance des traits de caractères chez telle ou telle ethnie, les sawas compris, force est de constater qu’il y a quelque chose qui rappelle ce lien du sang dans le fait de retrouver le même tempérament chez tous les individus du groupe. Comment ne pas penser que les « etons », par exemple sont une famille, eux qui se reconnaissent eux-mêmes comme étant de tempérament chaud ! Les sawas et leur sens des harmonies chantées ? On me dira que la culture occidentale les aura beaucoup plus marqués dans ce sens ? C’est sans doute vrai aussi. Mais je ne vois pas comment ne pas répondre par l’affirmative à votre question à partir du moment où l’arbre généalogique les fait remonter tous à un même ancêtre Mbongo Mbedy...

L’exercice de la pensée dans le champ de la politique militante peut-il laisser indemne la liberté de conscience à laquelle tout philosophe est attachée ?

             Njoh-Mouelle : Ecoutez ! Je vous renvoie à la lecture de mes livres, « Député de la nation » ou encore le tout dernier sorti pendant que j’étais membre du gouvernement et intitulé : « Discours sur la vie quotidienne ». Lisez-les et dites-moi si le philosophe ne s’y est pas exprimé librement. Beaucoup de mes lecteurs ont été étonnés de la liberté d’écriture que j’y ai manifestée.

Voilà, Cher M. Ngome Kangue. Je vous remercie de votre sollicitation.
 

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