Downloads   Galeries   Forums   Audios   Vidéos   Liens   Livre d´or   Partenaires   Contact   
  Accueil
  Actualité
  Régions/Peuples
  Historique
  Sawanité
  Le Ngondo
  Tourisme
  Littérature
  VIP
  F.A.Q
  Agendas
  Evénements
  Annonces
  Projets
  Communauté



      


Hebga tel qu’en lui-même (suite et fin)

 
6. Supérieur régional


Pendant les grandes vacances, j’obtins de confrères polytechniciens (Philippe Dubin, Henri Bussery), ou centraliens (Etienne Garin) de m’entraîner en mathématiques à l’Ecole Préparatoire Sainte Geneviève (Ginette pour les familiers), à Versailles. A raison de 4 à 5 heures par jour, ils me donnèrent de solides rudiments de calcul intégral et différentiel, de calcul vectoriel, d’analyse statistique et de probabilités. Ces confrères étaient dévoués mais exigeants. L’un d’eux me demanda un jour de discuter de moins l’infini à plus l’infini la fonction de la courbe normale de Laplace-Gauss. Il s’agit d’une fonction exponentielle plutôt ardue. Comme j’étais fort embarrassé, il me lança, avec un sourire indulgent: “Comment veux-tu voler sans avoir des ailes ?” Sauf erreur, leurs efforts portèrent du fruit : c’est à cette époque que je fis un manuscrit de 100 pages environ, intitulé Initiation à l’analyse mathématique. C était une sorte de Teach Yourself Calculus (Enseigne-toi toi-même le calcul intégral.) L’autodidacte était conduit en badinant, des simples fonctions de droite aux fonctions différentielles Je soumis mon petit travail au jugement de deux polytechniciens, l’un français le P Lapeyre S.J, éminent astronome dont il me serait donné de visiter l’observatoire à Changhai, en 1987, lors d’un voyage d’études en Chine ; l’autre polytechnicien, n’était autre que le Camerounais Nganso Sundji, le premier Africain, dit-on à conquérir son diplôme d’ingénieur à l’Ecole Polytechnique de Paris.

Séparément, l’un et l’autre me prodiguèrent des encouragements, mais l’ouvrage est resté inédit à ce jour. Durant mes études à la Sorbonne, je m’adonnais avec une application soutenue à la psychologie expérimentale et à la psychopathologie, travaillant sous la direction d’hommes aussi éminents que Daniel Lagache, président de la Société Française de Psychanalyse. Les travaux pratiques avaient lieu à la Salpêtrière pour la psychopathologie infantile, et à Sainte Anne pour les adultes. C’est que le ministère des malades, que j’avais entrepris dans mon pays rendait nécessaire pour moi, une plus ample information scientifique. Le Dr Lampérière nous enseignait à situer dans les ventricules du cerveau, uniquement à partir de l’observation du cycle menstruel, la localisation probable de la lésion que portait une épileptique souffrant du haut mal.

Pendant cette période de ma formation je ne fus pratiquement pas en contact avec des jésuites africains, sinon au hasard de leurs séjours au 42 Rue de Grenelle. En ces débuts des années 60, sévissait la guerre d’Algérie. Le terrorisme algérien du Front de Libération Nationale, (F.L.N) et le contre-terrorisme français de l’Organisation de l’Armée Secrète, (O.A.S) opéraient en plein Paris. Des bombes éclataient, des voitures piégées semaient la mort. Les fréquentes grèves du métro ou de l’électricité m’obligeaient à parcourir à pied les quelque 10 kilomètres de la Rue de Vaugirard pour me rendre de Vanves à la Sorbonne, ou en sens inverse, de Paris à Vanves. Les jésuites français de ma communauté n’accordaient qu’une attention distraite à l’Eglise d’Afrique, voire au continent africain. L’un d’eux, qui n’avait passé que six mois à peine en Haute Volta publia dans la Revue de l’Action populaire un article insultant sur l’Afrique. Je m’en plaignis à un Supérieur majeur.

Mais ce dernier prit fait et cause pour son compatriote et me mit en garde contre une attitude qui ne manquerait pas de me faire passer pour un homme manquant de jugement. J’observai que, maîtrisant trois ou quatre langues européennes et ayant séjourné des années dans plusieurs pays d’Europe je n’avais jamais eu la prétention de juger ce continent dans son ensemble, tandis qu’un individu qui ne parlait que sa langue maternelle et ne connaissait rien à l’Afrique avait l’outrecuidance de nous exécuter en trois mouvements deux temps ! De lui ou de moi, qui manquait de jugement ? Peu après, la province de Paris décida de fonder à Abidjan l’Institut connu sous le nom d’INADES. La consultation s’était limitée à quelques jésuites français ou américains, à l’exclusion totale des ecclésiastiques ou laïcs africains présents dans la capitale française. Et pourtant certains d’entre nous étaient hautement compétents en économie, ou en d’autres sciences sociales : attitude discriminatoire marquée au coin du paternalisme condescendant qui caractérise bon nombre de nos missionnaires. En 1963, je rentre au Cameroun pour enseigner au collège Libermann, mais en 64 et 65 des séjours à Paris me permettent d’achever l’essentiel de mes études supérieures.

Le Troisième An. (Chez les jésuites un noviciat de maturité après quelques années de service dans l’apostolat). Vers fin Août 1965, le R.P. Philippe Laurent, Provincial de Paris, m’envoya au Troisième An, à Cleveland (Ohio, USA). Le Père Instructeur, Henry Birkenhauer, était considéré comme l’un des quatre plus grands sismologues des Etats-Unis, et avait commandé une expédition importante au Pôle Sud lors de l’Année géophysique internationale.
En même temps, il se révéla un religieux d’une grande profondeur spirituelle. Sous sa direction, la grande retraite fut pour moi une expérience inoubliable. Du 18 au 24 Septembre, je m’étais appliqué à méditer la Passion du Seigneur. Le soir du 26, à 22h15, je lisais au lit la Vie de Sainte Brigitte de Suède par J. Jorgensen. On sait que petite enfant, cette sainte avait reçu des Révélations et Visions sur la Passion. Je lisais son récit de la crucifixion quand je fus transpercé de douleur et versai des larmes abondantes. Je grelottais, tremblais et pleurais, répétant avec émotion : “ Pourquoi avons-nous tué si cruellement le Fils de Dieu, notre frère aîné que Dieu nous avait donné ? Pourquoi ai-je péché, pourquoi ai-je participé à cette action abominable ? Seigneur, pourquoi avez-vous laissé torturer si cruellement votre Fils innocent, le Seigneur de gloire, par de vils pécheurs ?… Pardonne-nous, Seigneur Jésus ! Je ne savais pas que tu avais tant souffert ! “ Je me levai, m’agenouillai près de mon lit, priant Dieu avec d’abondantes larmes de nous pardonner un crime aussi affreux, en considération de l’effroyable Passion de Jésus-Christ. Je continuais à grelotter, à trembler et à sangloter. Le jour suivant, à la concélébration, larmes et sanglots encore durant tout le canon.
Pendant plusieurs jours j’étais prostré, et tout me ramenait à la Passion, même les mystères joyeux ou glorieux du rosaire. Mes confrères me suggérèrent de consulter un médecin. Redoutant une illusion diabolique, je m’en ouvris au Père Instructeur. L’homme de Dieu me rassura : non, il ne s’agissait pas d’une illusion, mais d’une grâce. “C’est une période de vaches grasses, de consolations intenses. Il est probable que viendra celle des vaches maigres, d’une sévère désolation spirituelle. ” Tout se passa ainsi : j’éprouvai plus tard, à Abidjan l’une des sécheresses les plus rudes de ma vie. Au Troisième An, je liai amitié avec un jésuite américain, le P. Robert Bireley, historien de l’Eglise, avec qui je corresponds depuis lors, et qui m’a reçu plus de dix fois dans plusieurs de nos résidences de Chicago, surtout à Loyola University, de 1966 à 1998. Pour une raison inconnue, mes visites aux USA ont toujours été pour moi des moments de grande ferveur spirituelle. Ayant voyagé intensivement à travers la planète (Afrique, Europe, Amérique et Asie), je voudrais, dans la mesure du possible, suivre tantôt l’ordre géographique et tantôt l’ordre chronologique, quitte parfois à me répéter, mais comment éviter cet inconvénient ? Mon premier séjour américain dura 13 mois. Au cours du Troisième An, le P. Instructeur m’avait envoyé à Montréal, au Canada pour donner une retraite à des richissimes bourgeois de Pointe Claire.

Plusieurs d’entre eux affirmaient posséder un avion et un bateau personnels. Je n’ai pas souvenance d’avoir bénéficié de leur générosité, “ pour les oeuvres ”, selon la formule classique. Je fis un court séjour au scolasticat de l’Immaculée Conception à Montréal. En l’an de grâce 1966, il regorgeait d’étudiants jésuites. Quelques uns sympathisèrent avec moi, et promirent d’aller un jour au Cameroun, si les Supérieurs le leur permettaient.

Malheureusement, après Vatican II, notre scolasticat se vida, et mes espoirs furent déçus. Le 10 Mai nous quittâmes Cleveland, et je commençai un long périple à travers les maisons de la Compagnie. Je visitai ainsi, tour à tour Detroit University, dans le Michigan. J’y appris, avec stupeur, que le budget de cette institution était cinq fois supérieur à celui de l’Etat du Cameroun ! Ce fut ensuite New York City, puis Georgetown University à Washington D.C. Avec l’autorisation de l’évêque de Pittsburgh (Pa), je passai deux mois à St Mary’s of Mercy Church, afin de suivre un Programme d’été en linguistique bantu à Duquesne University, tenue par les Spiritains Les cours étaient assurés par le Pr. Cole, un Blanc d’Afrique du Sud, qui enseignait à Watesrand University. Il maîtrisait sept langues bantu Ma confusion fut grande lorsque des étudiants blancs reçurent de meilleurs notes que moi en basaa, ewondo et douala ! Le Dr Cole se faisait donner le nom d’un fruit de chez nous, en l’une ou l’autre de ces langues, et en tirait le nom de l’arbre correspondant, en mettant correctement le ton ! “ Vos langues, me dit-il, sont comme mathématiquement structurées, ce qui rend possible des dérivations logiques ”. Qui donc avait eu le toupet de prétendre que les créateurs de ces merveilles étaient englués dans le magma d’une pensée prélogique ? C’est suite à cette expérience, et après avoir rencontré en Afrique même des Américains blancs parlant couramment nos langues apprises chez eux que j’introduisis à Libermann l’étude de trois ou quatre parlers camerounais : bamiléké, basaa, douala et ewondo. Pendant mon séjour à Pittsburgh je bénéficiai de la bienveillance d’un riche juif américain. On s’était rencontré par hasard à l’aéroport. Il m’emmena chez lui, dans une somptueuse limousine et me donna, selon ses propres termes “ l’hospitalité d’Abraham ”. Il me fit admirer sa belle bibliothèque, et s’étant aperçu que je déchiffrais quelque peu l’hébreu, il me prit en sympathie, puis me fit reconduire à St Mary’s of Mercy Church. Le 6 Août, le cours de linguistique achevé je partis pour Jersey City dans le New Jersey. Un prélat de Sa Sainteté, curé de Christ the King’s Church, m’avait accueilli, à ma demande, pour un ministère paroissial.

Ayant appris par une étudiante de Paris, que mon père était mort à Edéa (Cameroun), en Juillet, je me demandais comment les confrères jésuites de Douala avaient omis de m’en informer. En fait, mon courrier dormait dans la boîte du prélat. La bonne m’expliqua : “ Il ne s’intéresse pas à son propre courrier. Quant à celui des autres ! ” Le 1 er septembre 1966, je regagnais Paris. Je passai quelques mois au 35 rue de Sèvres. Le Centre – Sèvres n’existait pas à l’époque. La communauté regroupait des jésuites appliqués à toutes sortes d’apostolats. Pour ma part, je préparais ma thèse de troisième cycle en philosophie, thèse que j’allais soutenir en 1968 à l’Université de Rennes. Elle s’intitulait : Le Concept de Métamorphose d’hommes en animaux, chez les Basaa, Duala et Ewondo, Bantu du Sud Cameroun. Il s’agissait d’une étude de philosophie du langage, à partir de mythes, contes, récits non européens mais africains, non grecs mais Bantu, ce que ne pouvaient tolérer les théoriciens de l’anti-ethnophilosophie.

Dès cette époque déjà je m’étais inscrit en faux contre la glose érudite en philosophie et en théologie : Le mythe chez Platon. La mal, selon Saint Augustin Cette nouvelle scolastique, prônée par des penseurs nègres complexés et honteux de leur fond culturel au nom d’un universel introuvable, m’horripilait. Ils ne maîtrisaient pas mieux que les ethnophilosophes, les philosophes européens de l’antiquité, du moyen-âge ou des temps modernes, pas davantage les sciences de la nature, les mathématiques ou les sciences humaines, sur lesquelles, à les entendre, se fondait la vraie philosophie. Alors ? J’estimais que nous devions nous donner la liberté de penser, à partir de notre perception des problèmes humains, comme l’avaient fait les philosophes grecs, allemands ou français.

6. Supérieur régional

Le 9 Septembre 1968, en la fête de Saint Pierre Claver, le R.P Jacques Lesage, Provincial de Paris reçut mes grands voeux au collège Libermann, et me transmit ma nomination comme Recteur du collège et Supérieur de la Région du Cameroun nouvellement érigée, par le P. Pedro Arrupe, Préposé Général de la Compagnie de Jésus. Mon ami Mgr Albert Ndongmo, évêque de Nkongsamba voulut bien me servir de parrain. N’ayant aucune expérience de supérieur même d’une petite communauté, je me voyais confier une Région de l’Ordre. Mon premier geste fut de consulter mes confrères jésuites camerounais, pour recevoir d’eux conseils et suggestions. Grande fut ma déception : aucun d’eux ne jugea opportun de me répondre par oral ou par écrit ! Ils seraient d’autant plus à l’aise un jour, pour émettre des critiques acerbes sur ma façon de traiter les personnes et leurs problèmes. Ma tâche fut plutôt rude, soit en raison de mon tempérament et de ma grande sensibilité, soit parce que mes confrères ne me firent guère de cadeaux. Je n’avais aucun droit à l’erreur.

L’admoniteur que le Provincial m’assigna, un religieux français, me fit plus d’une fois des remarques appuyées. Le Préfet des Etudes, j’ignore pourquoi, alla jusqu’à encourager les professeurs laïcs à grever s’ils n’obtenaient pas une augmentation de salaire. Mais ce qui me fit le plus de peine, c’est la destruction par le feu de mes photos de famille et de mes manuscrits de musique profane et religieuse enfermés dans une petite valise au grenier. Le destructeur aurait agi à découvert, et ne s’en repentit jamais ! Un autre incident me surprit fort : me trouvant un jour dans la résidence jésuite de Loyola University à Chicago, j’entendis avec stupeur un confrère français, écrivain réputé, déclarer, à table : “ Le P. Hebga a peut-être réussi comme intellectuel, mais comme supérieur, quel échec !. ” C’est le portrait flatteur que répandaient sur moi ses congénères de la Région du Cameroun., vexés d’être gouvernés par l’un de “ ces Africains qui manquent de maturité. ” Dans la même mouvance, un Provincial canadien de passage, se permit d’emmener au Canada, sans en référer, ni à moi ni au Provincial de Paris, un frère camerounais qui, du reste se maria clandestinement et fut remercié de la Compagnie.

L’une de mes grandes joies durant mon mandat fut la confiance que me témoigna toujours le Père Général. Il me félicita même d’avoir refusé d’aliéner notre unique maison d’alors, la résidence Saint François-Xavier à Yaoundé. Il nous rendit visite au collège de Douala, puis à Yaoundé. Par contre les fonds de la Région du Cameroun étaient gardés et gérés à Paris. Cet arrangement sur lequel je n’avais même pas été consulté, me vaudra plus tard l’éloge d’avoir été un supérieur peu dépensier. L’un de mes plus grands chagrins, ce fut le départ de la Compagnie et de l’Eglise du ci-devant P. Fabien Eboussi Boulaga, ancien responsable du Département de théologie au Grand Séminaire de Nkolbisson, et dont j’avais reçu les voeux de profès.

Dans sa lettre adressée à la consulte, il écrivait notamment : “ Vous avez la chance d’avoir un Verbe incarné. ” Le P. Durand-Viel, ancien Provincial de Paris, et mon prédécesseur dans la charge de recteur du collège Libermann m’avait suggéré de solliciter l’exclusion de Laurent Onana. Je n’en fis rien. Laurent fut envoyé en théologie à Fourvière, puis à Paris d’où il ramena un doctorat de troisième cycle en Lettres classiques. A sa mort en 1978, il était chargé de cours à l’École Normale Supérieure de Yaoundé, et supérieur de la Maison Saint François-Xavier.

Le P. Eric de Rosny avait exprimé le désir d’étudier “ le monde des guérisseurs ”. Malgré les réticences de la consulte régionale et de l’évêque de Douala, je lui donnai le feu vert. J’admirais son courage et sa ténacité : il n’avait pas hésité à loger chez un chef tenu pour un redoutable sorcier, M. Dibunjé, dans la région de Dibombari. Il eut même le courage de s’infliger de longues heures de pirogue pour se rendre à la Rivière aux serpents et à Jebalè. Ce fut peut-être l’une des épreuves imposées à ceux qui sollicitaient d’être initiés à voir l’invisible, à avoir quatre yeux. L’ethnographe français fut-il réellement initié ? Rien n’est moins sûr. Les initiateurs demandaient un prix que le religieux refusa net : à savoir qu’il “ donnât ” sa mère. Eric de Rosny fit paraître plusieurs livres d’ethnographie dont Ndimsi, Ceux qui voient la nuit, et Les Yeux de ma chèvre qui bénéficia d’une publicité fracassante dans les colonnes de Paris Match. Je n’ai pas cru devoir accepter la proposition qu’il me fit un jour : “Donnez-moi vos interviews de malades pour que j’écrive là-dessus. ” Nos points de départ et nos méthodes de travail étaient trop divergents pour qu’une étroite collaboration fût possible. J’avais reçu une solide information en mathématiques, physique, psychologie générale, expérimentale et pathologique, et je ne nourrissais aucun préjugé contre la rationalité du discours africain touchant la sorcellerie ou la cure traditionnelle.

Mon confrère, quant à lui, me semblait, comme tant d’autres, égrener des anecdotes, dont il tirait parti avec beaucoup d’intelligence d’ailleurs. D’autre part, il s’étonna un jour devant moi de mon insistance à “ chercher le rationnel dans tout ça, au lieu de recourir à la théorie des niveaux du discours ”. Je dois rendre hommage à l’honnêteté intellectuelle dont il fit preuve en me faisant tenir un article paru dans la revue Ethiopiques, article dans lequel Lylian Kesteloot, professeur de littérature négro-africaine à la Sorbonne, établissait un parallèle entre deux chercheurs jésuites, l’un européen et l’autre africain, étude comparative à l’avantage du second. Dans ma thèse de Sorbonne, La Rationalité d’un Discours Africain sur les Phénomènes Paranormaux parue aux éditions l’Harmattan en 1998, j’ai pris position par rapport à la recherche de deux ethnographes français, René Bureau et Eric de Rosny. Je ne reviendrai pas là-dessus.1

D’emblée j’adoptai une approche scientifique de l’univers du paranormal, rejetant l’alibi, le fourre-tout de l’irrationnel, cette explication commode mais brumeuse à souhait du discours africain touchant la sorcellerie, la magie et tous les maléfices. Cette explication, pseudo scientifique n’était qu’une fuite en avant, un subterfuge, où transparaissaient l’embarras et le désarroi du chercheur refusant de renoncer à ses préjugés de départ. Je n’acceptais pas davantage la théorie des niveaux du langage, chère à Placide Tempels, qui ne reconnaissait aux “ primitifs africains ” qu’une rationalité sui generis. Je m’insurgeais aussi contre la tentative, intellectuellement peu honnête, d’assimiler ma diaconie des malades, basée sur une recherche scientifique et théologique, avec les rites syncrétiques des dames Mala et Marie Lumière, femmes parfaitement incultes et qui, tout en se disant chrétiennes, voire catholiques affirmaient que “ la bible et le Saint-Esprit rendent fou. ” Envoyé par Mgr Simon Tonyè, alors archevêque de Douala, pour m’enquérir auprès de Mala sur sa “ cure chrétienne ”, je reçus la réponse suivante : “ Dieu ne m’a pas dit de répondre à l’archevêque ! ”. La cause était entendue. Plusieurs années plus tard, le Cardinal archevêque Tumi condamna, dit-on, la liturgie curative de Mala et de Marie Lumière, la déclarant anti-chrétienne.
Tout en étant Recteur du collège et Supérieur régional des jésuites du Cameroun, je continuais mes activités d’enseignant : je donnais un cours de philosophie en terminale A, et parfois les jeudis après-midi, j’offrais aux élèves de terminale C qui le désiraient et qui formaient le groupe Jeune Science un petit entraînement en analyse mathématique. Mais surtout je remplissais les fonctions de professeur missionnaire à 1 Meinrad Hebga : La Rationalité d’un Discours Africain, p.326 suiv. l’Institut Catholique d’Abidjan : Anthropologie africaine : schéma pluraliste de la personne, sorcellerie, magie, prière chrétienne de délivrance. En 1972, le P. Birkenhauer, maintenant Président de la John Carroll University à Cleveland (Ohio) m’invita en qualité de Visiting Lecturer. J’y donnai les mêmes cours, cette fois en anglais. C’est à cette occasion que je découvris le Renouveau charismatique. Le groupe qui priait et chantait à l’université avait été initié par un jésuite du Département de physique. A cette époque où un hédonisme déchaîné faisait fureur en Amérique du Nord, le Renouveau, lancé en 1901 par le pasteur méthodiste Charles Parham, opérait des conversions spectaculaires surtout parmi les jeunes. Il faisait vivre un christianisme ardent, joyeux, engagé. J’étais gagné. De retour au pays je tentai de former un petit groupe de prière, mais sans grand succès.

Il faudra attendre jusqu’en Septembre 1976 à Yaoundé. Nos confrères jésuites du Tchad avaient, depuis longtemps, postulé du Préposé général, la fusion de leur énorme Mission avec la Région du Cameroun de la Compagnie de Jésus. C’était, de toute évidence, pour sortir de l’enclavement tchadien et avoir accès aux ports camerounais de l’Atlantique. La fusion fut accordée à la fin de mon mandat, et Le Père Général ne tarda pas à ériger la Province d’Afrique de l’Ouest confiée naturellement à un religieux français. Le premier provincial fut le P. Vandame, futur archevêque de N’djamena (Tchad). Cette drôle d’Afrique de l’Ouest englobait aussi le Tchad, le Gabon, la République centrafricaine, ancienne Oubangui-Chari, la République du Congo – Brazzaville. Comme les répartitions portaient une marque géopolitique indubitable, de notre Province furent exclues les ex-colonies sous mouvance anglo-saxonne, espagnole ou portugaise. Etait-ce seulement question de contraintes linguistiques ?

Voire !

Malgré les récriminations et la cabale d’un lobby européen contre ma méthode de gouvernement, le Préposé général d’alors, le P. Pedro Arrupe, n’écourta pas mon mandat. Au contraire il le prorogea d’un an : 7 ans au lieu des 6 habituels. Il faut dire que j’entretenais d’excellents rapports avec lui, et qu’il me témoigna toujours sa confiance. J’eus même la surprise, avant de sortir de charge, de recevoir un éloge appuyé de mon Provincial de Paris, le P. Philippe Laurent, celui là même qui m’avait envoyé faire mon Troisième An à Cleveland (Ohio, USA). Je m’entendis dire que j’avais bien géré les fonds de la Région du Cameroun, fonds qui, il faut le souligner, avaient été gardés à Paris par prudence… Merci quand même ! Tout compte fait, mon expérience de Supérieur majeur me fut utile pour mon apostolat dans l’Eglise catholique romaine. J’y découvris la vérité d’une réflexion faite par l’abbé Mazzolari. Pendant que le cardinal Montini, futur Paul VI, était encore archevêque de Milan, il dut signifier à l’abbé Mazzolari, écrivain et prédicateur connu, que sur l’ordre du Saint-Office, il était interdit de prédication et de publication. Le prêtre répondit qu’il baisait la main qui lui scellait la bouche. “ Car, ajouta-t-il, il ne suffit pas de souffrir pour l’Eglise, il faut encore souffrir par l’Eglise. ” Devenu pape, Paul VI, en visite à Milan, rappela cet épisode et déclara qu’il continuait à méditer sur ces paroles avec toujours plus d’humilité. A mon petit niveau, je suis sûr que j’ai fait souffrir injustement des subordonnés, mais des supérieurs m’ont, à coup sûr, mis au supplice plus qu’à mon tour. Ainsi va l’Eglise.

Durant ma charge de Supérieur Régional, je reçus un réconfort spirituel de la part de deux confrères français, le P. Lapeyre dont j’ai déjà parlé à propos de mon essai inédit Initiation à l’analyse mathématique. Ce savant polytechnicien était aussi un religieux exemplaire et même un saint. Il poussait la charité jusqu’à excuser même l’inexcusable. Il était, sans avoir été nommé aumônier d’hôpital, le consolateur reconnu et réclamé par les malades des hôpitaux de Douala, sans frontières de confession chrétienne voire de religion. Epuisé de fatigue, il finit ses jours à Paris dans la grande communauté du 42, Rue de Grenelle. Un autre jésuite français, le P. Pierre Crouigneau, ingénieur de l’Ecole Centrale était un bourreau de travail. Bien que malade, et malgré mes remontrances, il passait des nuits debout dans notre laboratoire de physique pour préparer ses cours.

Mais surtout il quêtait, avec succès, auprès de ses anciens camarades d’Ecole, en faveur des malades, notamment ceux de la léproserie de Dibamba. Lui aussi a fini ses jours dans son pays. L’on m’a parfois demandé pourquoi j’ai toujours travaillé au Cameroun. Certains confrères immigrés ont même déclaré que les jésuites camerounais n’ont pas l’esprit missionnaire Je pourrais répondre que Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus au fond de son carmel fut une missionnaire exceptionnelle sans jamais sortir de France

Certes mon cas est très différent : je ne suis pas une cloîtrée et je suis loin d’être comme Thérèse un géant de la sainteté dans l’Eglise catholique romaine. J’observerai cependant que je n’ai jamais refusé une obédience de la part de mes supérieurs ; et si je n’ai pas sollicité d’eux d’être envoyé quelque part en Afrique, dans une mission tenue par des jésuites, c’est que tous ces territoires gouvernés par des Européens ou dominés par leur influence numérique ou financière, étaient contre-indiqués pour un homme dont la réputation avait été démolie par qui l’on sait. De coeur, je m’unissais à l’apostolat de mes confrères dispersés à travers le monde. Un épisode me confirma dans cette façon de voir. Lors du synode romain sur le thème Le sacrement de la Réconciliation, un article de moi se félicitant du décret par lequel, quelques années auparavant, le Vatican définissait les conditions d’une absolution collective sans confession individuelle, avait été publié dans la revue des Comboniens Nigrizia. Selon un archevêque africain, plusieurs évêques même européens dudit synode, approuvèrent ma suggestion que des péchés collectifs comme le racisme ou le tribalisme fussent traités de cette manière-là : une communauté coupable demande pardon à une communauté lésée. Malgré tout je fus la cible de deux cardinaux allemands qui auraient détecté dans mon article une hérésie ! Conséquence ? Peut-être : un autre article fut refusé par notre revue française Etudes, puis par son équivalent italien La Civiltà Cattolica. , laquelle conseilla de le faire paraître dans une autre revue jésuite italienne Missioni. Moi qui avais déjà perdu mon poste d’enseignement à l’Université grégorienne (Rome) et avais été expédié à l’Institut Catholique d’Abidjan (Côte d’Ivoire) dans les années 70 après la parution de mon livre Emancipation d’Eglises sous tutelle, je ne voulais nullement renoncer à écrire et à publier. Pour cela mieux valait rester dans mon propre pays où je disposais d’une certaine assise. Mon premier “ exil ”, m’assura plus tard le Père C, Recteur magnifique lors de mon expulsion, avait été demandé par un archevêque camerounais à Mgr Benelli, substitut à la Secrétairerie d’Etat du Vatican, et plus tard archevêque de Florence. Je ne voulais pas causer de l’embarras à des étrangers. D’autre part, la Fraternité Ephphata initiée à Yaoundé (Cameroun) et combattue par des ecclésiastiques et des laïques influents, avait besoin semble-t-il, de ma présence, pour mener le combat de la survie et de l’expansion. Cela dit, je reconnais qu’un service de quelque durée dans un pays étranger m’aurait, sans doute, apporté une expérience plus riche dans l’apostolat. Ce manque n’a pas été compensé par mon engagement dans l’International Association for Mission Studies (IAMS). Les Colloques de cette Association m’ont fait voyager en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord, et en Asie, mais chaque fois pour quelques jours seulement. Non je n’ai pas eu la chance d’être missionnaire au sens reçu du terme. On ne peut tout faire.

Pierre Meinrad Hebga

Source: la dialectique de la foi et de la raison.
Hommage à pierre Meinrad Hebga,
édition terroir, 2007

 DANS LA MEME RUBRIQUE
Manu Dibango compose Kirikou
Le nouveau film d’animation du réalisateur français Michel Ocelot, Kirikou et les bêtes sauvages, est baigné de musique. Rencontre avec Manu Dibango, principal compositeur de la bande originale...

Gorée, L’Ile aux révoltes1 : Révélations et sources historiques, par Alain Anselin 29/09/2006
Gorée, point d’ancrage le plus emblématique peut-être, au sens de premier site de transit et de traite des Esclavisés africains à avoir acquis dans la mémoire collective des Africains et Afrodescendants le statut de lieu de mémoire, d’histoire, retro...

Family Tree of Seqenenra Tao I -- 17th & 18th Dynasties
XX...

Dr. Ben: The Nile Valley Civilization and the Spread of African Culture
the Ashantis, the Yorubas, and all the other African people, were not always where they are now. Arab and European slavery made the African migrate from one part of the African world to the other. Africans still have the same hair-cut, and the same b...

HOMMAGE A LA MEMOIRE DE RUBEN UM NYOBE PÈRE DE LA REVOLUTION KAMERUNAISE
Par Ndjel KUNDE - © Peuples Noirs Peuples Africains no. 9 (1979) 145-154...

RELIGION OU COLONIALISME ? par Ruben UM NYOBE
© Peuples Noirs Peuples Africains no. 10 (1979) 55-65 - La religion doit fixer les premiers regards sur l`administration. C`est surtout par le fait qu`elle impose que peuvent être contenus les esclaves... Nécessaire à tous les hommes elle n`a plus...

EVOCATION - LE 6 NOVEMBRE 1982 DANS NOTRE HISTOIRE
La suite de la contribution de Abel Eyinga....

Francis Bebey - Sortie cd - Original Masters, vol. 1 - 23/05/2005
A l`occasion du quatrième anniversaire de la disparition de Francis Bebey (le 28 mai 2001), paraît le premier volume d`une série de reéditions de ses œuvres....

Ahmadou Babatoura Ahidjo, il y a 17 ans: 30.11.89- 30.11.06 tradition : ostracisme et violence à l’encontre des morts; Achille Mbembe
Jusqu’alors, cette violence avait surtout frappé les vaincus de l’histoire coloniale. Le plus célèbre de ces «héros maudits» de la fut Um Nyobè. Ce fut aussi le cas de Moumié, de Ouandié. Douala Manga Bell et Paul Martin Samba ont fait l’objet d’une...

Interview Video et nouvel ouvrage du professeur Cheikh Anta Diop
Vous pensiez avoir lu tous les ouvrages du professeur Cheikh Anta Diop ? Les éd. Menaibuc, les éd. Silex - Nouvelles du Sud et l’IFAN vous invitent à découvrir "ARTICLES" de Cheikh Anta Diop....

   0 |  1 |  2 |  3 |  4 |  5 |  6 |  7 |  8 |  9 |  10 |  11 |  12 |  13 |  14 |  15 |  16 |  17 |  18 |  19 |  20 |  21 |  22 |  23 |  24 |  25 |      ... >|



Jumeaux Masao "Ngondo"

Remember Moamar Kadhafi

LIVING CHAINS OF COLONISATION






© Peuplesawa.com 2007 | WEB Technology : BN-iCOM by Biangue Networks