Downloads   Galeries   Forums   Audios   Vidéos   Liens   Livre d´or   Partenaires   Contact   
  Accueil
  Actualité
  Régions/Peuples
  Historique
  Sawanité
  Le Ngondo
  Tourisme
  Littérature
  VIP
  F.A.Q
  Agendas
  Evénements
  Annonces
  Projets
  Communauté



      


Les visages ont vieillis par Simon Njami, Cameroun

 
Quelque chose, quelque part, demeure. Et même si plus personne, jamais, ne courra vers moi, sous le soleil, les bras emplis de fleurs, même si ne persiste plus que le souvenir du souvenir, il reste une trace, un sillon. Cette force de dire non, malgr


Je me souviens. Il y avait du soleil. Les gens riaient et parlaient fort, dans une langue que je ne comprenais pas bien. Ils s’agitaient autour de moi en m’appelant « papa ». « Petit papa ». Le regard de mon père. Le sourire de ma mère. C’était la première fois que je mettais les pieds dans ce pays qui était aussi le mien.

Et l’on m’accueillait comme on accueille celui qui revient d’un voyage très long. Je n’avais jusqu’alors pour seuls horizons que des champs enneigés et des toits pointus, des feux de cheminées. Des Noëls blancs. Et voici que dans les rues, des gamins en maillots de corps couraient vers nous, le rire aux yeux et dans les mains des brassées de fleurs. Ils criaient « joyeux Noël ! ». Ils étaient tous Noirs !

Je me souviens. Ce Noël-là, dans le jardin de la maison de mon père, mes sœurs, mes frères et moi, nous avions enseveli des jouets dans la terre meuble, nous jurant, croix de bois, croix de fer, de revenir un jour. Plus tard. Et alors rien n’aurait changé. Les yeux mécaniques de ces petits animaux articulés nous reconnaîtraient, nous attendraient. J’ai un peu honte de trahir ce secret si longtemps entre nous conservé, mais il faut sans doute des moments, de ces moments où la trahison n’a plus de sens. Où trahir, c’est se contraindre au silence.

Je suis revenu. Encore et encore. J’ai su comprendre et parler cette langue bassa. Les visages ont vieilli. Certains que j’avais cru connaître, que j’avais trop mal aimés, sont partis. Le temps laisse sa trace, et tout se lézarde. Mais demeurait toujours, vivace, le souvenir de cette sépulture improvisée, quelque part dans cette terre. Et toujours revenait le regard de mon père, calme, détaché.

Dieu sait que je l’ai haïe cette terre, comme, sans doute, il peut arriver de haïr un être particulièrement cher. La haine se mérite, n’est-ce pas ?

J’avais douze ans. Treize, peut-être. Je ne sais plus. Papa était parti depuis quelques mois, nous laissant seuls à Paris avec ma mère. Et des hommes aux yeux fuyants sont venus. Sans oser nous regarder en face, ils ont dit à ma mère que les Chiens avaient osé mettre mon père en prison. Pour avoir trop parlé. Pour avoir su dire non. Simplement. Ils ne pouvaient pas savoir, les imbéciles, la graine amère que leur impuissance ferait germer. Et je me promettais d’être fort. Exemplaire. D’avoir la force, toujours, de dire non, lorsque les mots ne seraient plus entendus. Lorsque la folie s’emparerait des âmes. Trois lettres simples. Mais les promesses, pour solennelles qu’elles soient, ne résistent pas toujours à l’implacable logique de la vie.

Je suis revenu. Moi qui m’étais juré de ne jamais plus fouler le sol de cette nation qui pouvait se rendre coupable de telles lâchetés. Une nation à ce point avilie qu’elle devenait incapable de souffrir sa propre vérité.

Combien de temps cela a-t-il duré ? Trop longtemps. Sans doute. J’avais renié mes jouets. Ces pauvres choses que les heures, les jours et les années se seront appliqués à souiller, à corrompre. J’avais, vraiment, je dois bien en faire l’aveu, tenté d’extirper de moi cette chaleur qui, longtemps, m’avait enveloppé, comme une seconde peau. M’avait préservé de la folie schizophrène. Ce fut mon père, encore, qui m’enseigna le pardon. Avec patience. Avec amour.

Et me voilà. Le soleil est bien le même. Le même ? Non. Il porte désormais en lui quelque chose de cruel et de dévastateur. Les rires. Ces rires qui pour moi résumaient tout, renfermaient tout, ces rires ont perdu de leur éclat. Ils résonnent à mes oreilles comme des sanglots qui n’oseraient pas dire leur nom.

Je savais lire les silences. Entendre les regards. Me réchauffer à la moiteur de ces corps dans lesquels je retrouvais des frères. Comme un aveugle, un sourd, j’avais acquis mon langage propre, mes références qui ne devaient rien à l’acuité des cinq sens physiologiques. Car, dois-je avouer encore, je ne connais de ce pays que ce que j’en ai rêvé. La montagne, le désert, la mer, la forêt. Les sept collines qui, à Yaoundé comme à Rome, rythment l’espace, structurent le pouls de la ville. Et quelques mots. De ces mots qui s’impriment obstinément sur la poussière fine de nos mémoires : « Ô Cameroun berceau de nos ancêtres... » Les paroles d’un hymne que je n’ai pas écrit. Qui n’a pas été écrit pour moi. Je suis un étranger ici. Comme j’ai pu l’être à Lausanne, à New York, à Paris... Et je suis chez moi aussi, bien sûr. Parfois me revient, au détour d’un rythme entendu dans la rue, quelque part, une réminiscence atavique qui me fait esquisser quelques pas d’une danse que je connais pas, mais que je sais être justes.

C’est peut-être tout simplement cela, l’appartenance. L’aptitude à esquisser un pas de danse, à rester dans la mesure d’un rythme que l’on portera toujours en soi. Cette terre si rouge du pays de la forêt. Ces femmes aux hanches pleines. Ces enfants dont j’aurais pu être le père...

Quelque chose, quelque part, demeure. Et même si plus personne, jamais, ne courra vers moi, sous le soleil, les bras emplis de fleurs, même si ne persiste plus que le souvenir du souvenir, il reste une trace, un sillon. Cette force de dire non, malgré la mort qui rôde, malgré les fatalités mauvaises. Et le sourire de ma mère. Et ces jouets, je le sais, qui m’attendent, qui nous attendent tous quelque part. Pour l’éternité. Et le regard de mon père...

© Simon Njami

Simon Njami est né en 1962 à Lausanne, Suisse, de parents camerounais. Après des études de droit et de lettres, il travaille comme journaliste et se consacre à la littérature. Il a publié Cercueil et Cie, Ed. Lieu Commun 1985 ; Les enfants de la Cité, Ed. Gallimard Jeunesse 1987 ; Les Clandestins, Ed. Gallimard Jeunesse 1989 ; African Gigolo, Ed. Seghers 1989 et une biographie James Baldwin ou le devoir de la violence, Ed. Seghers 1991. Il a, d’autre part, dirigé le numéro spécial Ethnicolor de la revue Autrement en 1987, et publié une nouvelle La Peur dans le Serpent à Plumes, 1990. Il est l’un des fondateurs de Revue Noire, où il a signé de nombreux textes.
 DANS LA MEME RUBRIQUE
Attribution du 2ème prix Moumié - Un article confond Woungly Massaga
Selon René EMEH ELONG et Franklin NYAMSI de deux membres de l’UPC, Il y a à charge de W. Massaga des "Pièces à conviction d`un parcours de traîtrise"....

« Man pass man » : Honneur et gloire à l’immortel Ernest Ouandié ! par Beng Yves.
« La gravité de la situation de même que l’amour que nous portons tous à notre pays commandent que tous les Kamerunais se donnent la main pour porter le coup décisif au régime néocolonialiste agonisant. » Ernest Ouandié...

Dibango recalé face à Jackson et Rihanna
Manu Dibango avait engagé une nouvelle action en justice contre les maisons de disques de Michael Jackson et Rihanna pour avoir utilisé sans son autorisation le thème musical de Soul Makossa. Un magistrat parisien a jugé ce mardi 17 février, irreceva...

Connecting to a proud heritage - The Kemet way
Aisha recalls on one of her visits to Kemet, visiting a temple with paintings of medical instruments, and historical records of surgeries and medicines that were used in the BC era. Recognising some of the instruments as instruments used in modern me...

Manu Dibango : « Quand on dit ivoirité, je rigole ! »
J’ai gagné contre Jennifer Lopez. Et j’en ai encore plusieurs en cours dont un contre Rihanna. Alors elle, c’est pire, elle a crédité le morceau à Michael Jackson, mon propre plagiaire!...

David Siegfried Etamè Massoma : Un détective au sommet de l´Etat
Né le 08 août 1946 à Ndoungué, dans le département du Moungo, province du Littoral, il est titulaire d`une licence en Sciences économiques de l`Université de Yaoundé...

Le destin tragique de « l’âme immortelle du Peuple kamerunais ».Il y a 61 ans naissait l´UPC
C’était le 10 Avril 1948. C’était un Samedi.Il faisait chaud ce jour-là. Docteur Samuel Mack-Kit – Président de l’UPC
...

Henriette Ekwe de son nom de guerre "Nyangon". L´âme de l´UPC
Elle fait partie depuis plusieurs années déja des figures médiatiques connues des camerounais. La directrice de publication de l`hebdomadaire Bebela a été et reste une militante politique engagée....

La leçon d´ATT
ATT saura t-il résister à la tentation de ne pas modifier la constitution?...

La Renaisance Africaine du rêve à la réalité...
A Dakar, ancienne capitale de l`Afrique Occidentale française, à quelques encablures de Gorée île au passé tragique, se dresse désormais un monument qui traduit la prise de conscience d`un peuple pour un nouveau départ....

   0 |  1 |  2 |  3 |  4 |  5 |  6 |  7 |  8 |  9 |  10 |  11 |  12 |  13 |  14 |  15 |  16 |  17 |  18 |  19 |  20 |  21 |  22 |  23 |  24 |  25 |      ... >|



Jumeaux Masao "Ngondo"

Remember Moamar Kadhafi

LIVING CHAINS OF COLONISATION






© Peuplesawa.com 2007 | WEB Technology : BN-iCOM by Biangue Networks