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12.04.2008

Entretiens avec Aimé Césaire 1 

Édouard J. Maunick: Aimé Césaire je vous ai donné rendez-vous pour parler assez longuement avec vous et quand vous êtes entré tout à l’heure je vous ai dit bonjour Aimé comment vas-tu et puis tout de suite on est devant un micro je ne sais plus comment je dois dire. Alors mettez-moi sur le bon chemin?

Aimé Césaire: (rire de Césaire) Je crois qu’il faut faire comme tu as envie de faire. C’est surtout ça.

Exactement. Je crois que je vais te tutoyer.

D’accord !

Le reste ferait faux je crois. Et je lis tout de suite comme je le ferais souvent au cours de ces entretiens.

Alors Aimé la première question qui me vient, c’est de te demander parce qu’on est insulaires tous les deux, c’est de te demander ce que tu penses de la dimension d’une île dans la vie d’un homme.

Ah! je crois que tu as mis le doigt sur une chose très importante. Vraiment je ne m’y attendais pas du tout. Je ne m’attendais pas à cette question mais c’est très important. Le thème de l’île, c’est pas un thème littéraire enfin toi qui est d’une île tu sais très bien l’importance fondamentale que ça a. C’est le symbole d’un tas de choses. D’abord l’île c’est tout bêtement ce phénomène géographique d’une terre entourée d’eau. Et quand je pense à l’île, je pense évidemment d’abord à ma Martinique, je pense à nos Antilles avec tout ce que cela comporte de soleil, de chaleur, de joie.

Et puis aussi il y a un autre aspect. Il y a un lieu clos, c’est une chose qui est chaleureuse, une chose bonne en soit, c’est un peu la couveuse. Mais, c’est aussi l’univers de la claustration. Il y a ça. Nous sommes, j’ai trop souvent le sentiment quand on est là-bas depuis très longtemps qu’on macère dans des problèmes qui sont souvent quand même petits, mesquins, puisque hélas le destin nous a fait petit, n’est-ce pas, y a un petit peu l’atmosphère du camp de concentration. Je l’ai éprouvé en tout cas très fortement.

Et puis alors dynamiquement y a aussi autre chose. Je ne me cite pas souvent, mais j’ai écris – je ne sais plus où d’ailleurs – y a un vers de moi qui me reviens. Je dis: «toute île appelle, toute île est veuve» et c’est vrai. Y a le sentiment, le besoin d’un dépassement. L’île appelle d’autres îles. L’île appelle l’archipel. L’île appelle le continent, chez moi; et par conséquent et tout naturellement chez moi l’île Martinique, l’île Antilles appelle au fond le continent, la mère Afrique. Alors ce qui fait que finalement, je peux dire que l’île, le thème de l’île ce sera un motif qui expliquerait bien des aspects de mon œuvre, en tout cas qui résume beaucoup de ma propre sensibilité.

Oui! C’est bien d’avoir ajouté le mot «ma propre sensibilité» après avoir parlé de ton œuvre car je crois qu’il n’y a pas de distance entre toi et ce que tu as écrit. Alors si tu veux, nous allons nous rapprocher encore un peu plus de ceux-là qui nous écoutent. L’Afrique pour toi après avoir parlé de l’île. L’Afrique pour toi, c’est quoi?

D’abord il faut dire tout de suite que je connais fort mal l’Afrique. Mais c’est une chose très frappante parmi les hommes de ma génération – c’est par là d’ailleurs que j’ai paru singulier à tant de mes compatriotes – je n’ai jamais pu considérer que les Antilles définissaient pour moi, la définition d’une patrie. J’ai toujours eu le sentiment qu’il y avait un au-delà et cet au-delà c’est précisément l’Afrique.

Je sais bien que c’est une Afrique pas toujours de fantaisies. C’est une Afrique sentimentale, c’est une Afrique cordiale qui n’a peut-être aucun rapport avec ce qu’est l’Afrique des manuels de géographie ou bien l’Afrique des traités politiques m’enfin c’est quand même cela pour moi l’Afrique. C’est le continent premier.

Je t’ai situé maintenant entre l’île et le continent, entre ta Martinique natale et ton Afrique continen…

Idéale.

Idéale qui te continue. Où est-ce que tu es né?

Je suis né à la Martinique. Très exactement dans un petit village qui s’appelle Basse-Pointe dans le nord de la Martinique. Un paysage assez étonnant, un peu breton, d’une très haute falaise face à l’Atlantique déchaînée. C’est pas pour faire d’explication de texte à la manière de [Taine5], mais je crois que ce n’est quand même pas sans signification. Parce que la Martinique a deux visages. La Martinique a un visage caraïbe, qui est très doux, une sorte d’eau plate, c’est calme, c’est reposé et c’est un petit peu comme on imagine les îles bienheureuses.

Et puis il y a un autre aspect alors, qui est la côte nord où il n’y a pas de port. Ce sont des falaises abruptes, un rocher noir, des dacites je crois, daciltes6 et basaltes et alors une mer absolument déchaînée, extraordinaire et je suis de cette côte-là. Et peut-être que, et ça me plaît beaucoup enfin, je crois qu’il y a chez moi un côté extrêmement violent, extrêmement déchaîné. Je ne suis pas loin de la montagne Pelée. Et le motif du volcan également joue un certain rôle chez moi. Je me reconnais assez volontiers dans ce genre de paysage.

Je crois qu’on aura noté les associations telluriques que tu fais déjà. Bon, Aimé Césaire vient au monde à la Martinique, à Basse-Pointe et que faisait ton père, tes parents?

Mon père était un employé, était un fonctionnaire. Il était dans les contributions indirectes.

Et tu parles je crois quelque part de la maison natale, de ta maison avec tes frères et de tes sœurs, je crois. Alors raconte-nous ça?

Of, je ne suis pas très expansif sur ce chapitre-là. J’ai à peu près tout dit dans Cahier d’un retour au pays natal. C’est très exactement ça. Aussi loin que je remonte, je retrouve chez moi… Je crois que j’ai mêlé plusieurs choses à vrai dire. Y a une sorte de contamination qui s’est faite entre plusieurs images. C’est d’une très grande vérité, mais pas d’une vérité photographique.

Au fond j’ai mêlé plusieurs maisons qui toutes sont miennes. Et peut-être que celle que j’ai décrite c’est plus celle de ma grand-mère que ma propre maison natale. Parce que j’ai un souvenir très très fort de ma grand-mère. Et c’était une tradition chez mon père, dans notre famille, les enfants à l’âge où ils devaient aller à l’école et apprendre à lire – il n’y avait pas d’école maternelle – on les envoyait chez notre grand-mère. Et ça m’a beaucoup marqué. Ma grand-mère était une petite femme absolument étonnante et lorsque j’ai été au Sénégal plus exactement en Casamance que j’ai vu une femme absolument extraordinaire qu’on appelle la reine Sebet9 et Malraux disait en la voyant j’ai vu beaucoup de reines celle-la n’est pas la moins reine de celles que j’ai vues et bien la reine Sebet était une petite femme, une femme de petite race. C’était pas le grand nègre, c’était la race guinéenne très certainement, de petite race, une paysanne pieds nus avec une majesté extraordinaire, des yeux d’intelligence prodigieuse. Mais vraiment, je me suis cru vraiment devant ma grand-mère. Ma grand-mère était une femme comme ça. C’était une femme noire, vraisemblablement venant d’Afrique peut-être sa mère ou sa grand-mère venait d’Afrique j’en sais rien, enfin c’était vraiment un spécimen de la race noire, la petite race guinéenne, et cette femme avait très peu d’instruction enfin, cependant elle avait été à l’école et ce qu’elle avait appris elle l’avait bien appris. Elle avait été à l’école des sœurs à cette époque-là l’instruction religieuse de son temps était donné dans les villages par les Frères du Saint Esprit et par les sœurs je ne sais plus de quel ordre et elle parlait fort bien le français, elle l’écrivait fort bien. Elle ne faisait pas une seule faute d’orthographe. Et c’est elle qui nous a appris à lire. Tout cela s’est un peu contaminé chez moi et cette maison que je décris c’est un petit peu celle-la.

Alors par conséquent, une maison villageoise, sur une côte perdue de la Martinique et aussi loin que je remonte toujours beaucoup d’enfants, piaillant, enfin quelque chose d’extrêmement chaleureux et d’extrêmement survolté en même temps.

Quand tu dis c’est-elle qui – en parlant de ta grand-mère – c’est elle qui nous a enseigné à lire et à écrire, ce nous, cette pluralité...? Je voudrais que tu nous parles de ta petite famille.

Je pense à mes frères et sœurs et dès qu’on avait cinq ou six ans à peu près et bien on nous envoyait chez Manman Nini qui était ma grand-mère.

Manman Nini…

Oui! et qui habitait un village qui s’appelle la Grand-Anse. C’est là que nous faisions, si tu veux, notre initiation.

Très bien! Alors sorti si tu veux – pas sorti de cette maison parce que tu ne l’as jamais quittée, tu ne l’as jamais quittée puisque tu en parles encore avec autant d’émotion aujourd’hui avec exactitude en cherchant bien dans ta mémoire – sorti de cette maison que devient le jeune Aimé Césaire?

Et bien c’est comme tout le monde. Je vais à l’école primaire d’abord, d’abord dans mon village à Basse-Pointe jusqu’à dix ans à peu près, dix ans oui dix ans il me semble, dix ans à peu près; ensuite je vais à Fort-de-France car mon père est nommé fonctionnaire à Fort-de-France et là j’entre au petit lycée de Fort-de-France, en septième si je ne me trompe, je passe le certificat d’étude et j’entre à ce moment-là au lycée, au lycée de Fort-de-France où je reste jusqu’au baccalauréat.

Bon. Est-ce que tu peux par exemple, en cherchant bien dans tes souvenirs, trouver un point de repère dans cette enfance estudiantine? Est-ce que tu peux trouver quelque chose qui vraiment éclate un peu plus que tous les autres événements?

Non pas grand-chose. Je sais simplement que j’étais extrêmement turbulent pendant toute une époque de ma vie. Je me battais beaucoup. Je me battais souvent et puis brusquement il y a une conversion, je suis devenu ce qu’il est convenu d’appeler, extrêmement studieux. A vrai dire c’était pas du tout contradictoire parce que tout en étant extrêmement combatif à cette époque-là, j’aimais déjà beaucoup les livres. Mais ce trait c’est accusé au fur et à mesure et pratiquement je n’ai fait que ça. Je suppose qu’en réalité très tôt le spectacle que j’avais autour de moi me déplaisait. Je n’étais pas du tout en accord avec le milieu, sans même très bien savoir pourquoi et je me réfugiais dans l’univers des livres. Et à ce moment-là je dévorais un tout petit peu tout ce qui me tombait sous la main. L’enseignement qui m’était donné m’a pas tellement marqué, m’enfin ça été pour moi surtout l’occasion de très très nombreuses lectures. J’étais saisi d’une fringale de lectures. Je me rappelle qu’avec mon petit budget – et pourtant Dieu sait s’il était limité – je commandais des livres en France, je lisais dans les bibliothèques. Ça été le grand phénomène, le grand phénomène très marquant de ma vie à cette époque-là.

Tu lisais quoi?

Tout ce qui me tombait sous la main. Tout ce que l’on peut lire dans un pays sous-développé. Mon père était un homme qui avait fait ses études secondaires à Saint-Pierre et il avait gardé le goût de la littérature. Je me rappelle fort bien que ce que l’on lui avait appris, et ce qu’on pouvait… les classiques, il m’avait donné le goût des classiques. Il les lisait et il les lisait fort bien. Pendant un certain temps il m’a suivi dans mes études. Je suis sûr que je lui dois le goût de la littérature en partie, c’est sûr, c’est absolument sûr. C’est sûr. Et puis voilà, je me suis formé un petit peu au petit bonheur, en lisant le bon et le mauvais, et je ne pourrais vraiment pas dire à quel moment j’ai pris ce goût de l’Afrique. Je ne pourrais pas dire mais j’ai très vite senti et très tôt senti que la société martiniquaise dans laquelle je vivais je n’étais pas en accord avec elle et j’ai très vite senti que c’était un monde faux; un monde faux contre lequel vraiment je me sentais en rébellion. Et les valeurs qui étaient les valeurs morales, les valeurs ethniques, tout ce côté petite colonie m’ulcéraient à un point que je ne saurais décrire. Ce qui fait, et je ne le cache pas, je ne l’ai jamais caché c’est avec volupté qu’après mon bachot j’ai quitté la Martinique. J’ai dit ouf, enfin je m’en vais.

Pour toi Aimé Césaire, qu’est-ce que c’est que la solitude?

Ah! Qu’est-ce que c’est que la solitude? [Je ne sais pas12] très bien comment répondre à cette question. C’est que la solitude on ne la définit pas, on l’éprouve et je me suis senti et je me sens encore un homme isolé. Peut-être d’ailleurs que si j’écris c’est précisément pour sortir de l’isolement. Mais je crois que tout poète, tout homme éprouve ce sentiment-là. Je ne crois pas du tout que ce soit un sentiment qui me soit particulier. Peut-être ce sentiment de solitude, peut-être était-il plus accusé chez moi dans ma Martinique. D’abord parce que la Martinique est une île. Ce sentiment que l’île se suffit jamais à elle-même, elle appelle autre chose. Elle a besoin d’un complément. Et le fait que étant peu accessible, peu en accord avec les valeurs de la société martiniquaise, je me sentais tout à fait isolé. Ça c’est très vraisemblable.

Allons on va voir l’autre côté de la question si tu veux. Tournons le miroir. Il y avait quand même l’enfance. L’enfance est une chose extraordinaire surtout pour un homme comme toi, c’est-à-dire pour un poète. Aujourd’hui, tu m’as dit ton âge tout à l’heure, avec ta permission je vais dire que tu as dépassé largement la cinquantaine. Pas besoin je crois de jeter un regard en arrière, ton enfance t’accompagne n’est-ce pas?

Peut-être ! Sans doute, même ! Oui !

Et dans cette enfance il y a eu miracle aussi sûrement. A part cette solitude, à part ce rejet du lieu où tu étais, cette espèce de refus de ce qui étais à côté de toi, il y a eu quand même le miracle qui est inhérent à l’enfance malgré toutes les situations bonnes ou mauvaises dans lesquelles on se trouve.

Ah, je crois que ce miracle c’est que, c’est le miracle de la communion n’est ce pas, de la communion avec un certain nombre de choses. Il est clair que cet isolement ne pouvait pas être total. Je me suis identifié, je me suis raccroché à un certain nombre de choses: avec la nature, avec les paysages de chez moi, avec tout le petit peuple de la Martinique, avec le folklore martiniquais. Au fond! comment se fait-il que moi Martiniquais, dans une génération qui était entièrement coupée de l’Afrique et qui était fière de se couper de l’Afrique, qui n’avait qu’un souci c’était de se couper de l’Afrique, de tout ce qui était noir dans un monde qui se voulait complètement assimilé à la France, comment les idées qui sont les miennes à l’heure actuelle, comment ses idées-là ont-elles pu naître, ces idées qu’on a pu appeler une sorte de panafricanisme. Comment cela a pu naître au fond. C’est parce que tout simplement ma mère était une femme du peuple, ma grand-mère était une femme du peuple, j’ai baigné dans le petit peuple, j’ai passionnément aimé le petit peuple. Et je l’ai aimé physiquement, je l’ai aimé dans ses poèmes, je l’ai aimé dans son folklore…

Dans ses mots aussi.

Et dans ses mots. Et dans ses mots. Hors précisément c’est ça la chaîne peut-être. Parce que tout ce folklore et bien c’est pas un folklore français du tout. Ce folklore nous ramène tout droit à l’Afrique. On ne comprend strictement rien au peuple martiniquais, à l’âme du peuple martiniquais si on ne retourne par le biais de ce folklore à l’Afrique. Je crois que c’est une chose extrêmement importante.

Autrement dit à côté de la culture entre guillemets «officielle» que je recevais dans les livres et dans les lycées, culture que je ne renie nullement d’ailleurs qui est une composante de moi-même, comme de nous tous d’ailleurs. A côté de cette culture livresque-là il y avait une culture plus fondamentale encore, c’était cette culture populaire qu’on appelait le folk-lore autrement dit au sens étymologique du mot la culture du peuple. Celle-là est très importante. On ne tient jamais suffisamment compte quand on parle de l’œuvre d’un écrivain. On tient trop souvent compte des sources livresques avec la bonne vieille «méthode lansonnière13». On cherche les sources écrites, mais les sources non écrites, mais les sources orales, que ne sont-elles pas plus riches et plus jaillissantes?

Nous sommes en plein je crois dans l’atmosphère où on pourrait aborder l’histoire. Que représente pour toi l’histoire? Pas seulement celle de ton pays et celle du continent qui te concerne, mais l’histoire avec un grand H, c’est-à-dire celle qui fût avant toi, celle qui est pendant que tu y es et celle qui sera peut-être après toi? Sûrement après toi? Où places-tu l’homme dans l’histoire? Qu’a-t-il à y faire?

Moi, je suis à ce point de vue-là, humaniste et volontariste. C’est pas très à la mode. Je suis très volontariste. Je crois que bien sûr, je comprends très bien, j’exagère, je simplifie, mais vraiment je crois que l’homme est le moteur de l’histoire. Bien entendu, je suis marxiste ou marxisant. Peut-être, on dira mauvais marxiste. Moi, je suis très frappé, moi, par la puissance humaine, par la volonté humaine et je crois que ce sont des choses extrêmement fondamentales. Et que finalement, malgré toutes les explications finalement, en définitive, c’est l’homme qui fait l’histoire. Ça je crois. A tord ou à raison, ça je le crois.

Alors t’ayant parlé d’histoire, puisque tu parles de cette volonté de l’homme qui manipule le temps, l’âge, le passage du temps, qu’est-ce que tu penses du destin en tant que négro-africain?

Ben! ce sont des questions que je me pose pas souvent. M’enfin, le destin est quelque chose avec laquelle on se collette, une chose avec laquelle on se bat. Ce n’est pas une chose que l’on subit. C’est pourquoi tout à l’heure je disais que je suis volontariste et pourtant Dieu sait si la race à laquelle j’appartiens est une race qui a subi les coups du sort, qui a subi le destin. Mais enfin, j’ai toujours pensé que ce destin il fallait le changer en histoire. Et si y a quelque chose que je dois, une leçon que je dois au peuple martiniquais c’est bien cela, n’est-ce pas?

Ce peuple au fond quand on regarde bien les choses. Parfois je suis un peu irrité par les défauts que je découvre à mon propre peuple, etc. Je suis tenté d’être sévère. Mais parfois aussi je suis émerveillé. C’est quand même extraordinaire que, au fond, c’est un miracle extraordinaire, que ce petit peuple, ce peuple qui a subi cette chose épouvantable qui s’appelle la traite des Noirs et dont je ressens les secousses jusqu’aux tréfonds de moi-même. Ce peuple qui a été déporté. Ce peuple qui a été parqué. Ce peuple qui a été un camp de concentration. Ce peuple qui a été mais opprimé comme on ne peut pas l’être, à qui on a pris sa langue, à qui on a pris son nom, à qui on a pris sa religion. Mais comment ce peuple malgré cela à pu survivre à une si infernale odyssée? C’est quand même prodigieux cela. C’est ça que j’appelle une leçon quand même de courage, une leçon de volonté et je suis frappé par l’extraordinaire vitalité des peuples antillais. Quels qu’ils soient.

En somme pour toi ils forgent leur destin.

Ils forgent leur destin. Ils se frayent un chemin dans la boue de l’histoire. C’est un peuple qui refuse de mourir. C’est extraordinaire.

On était arrivé je crois à ton départ, bon. Tu n’étais pas content du tout du lieu où tu étais et puis tu pars. Je ne voudrais ne pas quitter tu vois la valeur de la maison. Que représente pour toi une vraie maison d’homme ? Par exemple si demain tu n’étais plus député de la Martinique. Si tu n’étais que l’homme Césaire. Non pas que je dissocie les deux mais je fais de toi un laïc total. Je te mets dans la rue, tu n’es rien d’autre qu’Aimé Césaire avec tes poèmes dans la tête, dans quelques livres éparpillés au gré du monde et je te pose la question: Monsieur, je vous donne la possibilité d’avoir une maison. Choisissez le lieu de cette maison! Choisissez la forme de cette maison! Choisissez en somme votre maison!

Mon Dieu! je n’hésiterais pas une seconde. Pour une raison très simple. C’est que quoique je vive à Paris depuis plus de vingt ans, depuis plus de trente ans puisque je suis arrivé à Paris je devais avoir 18 ans ou 19 ans et bien au fond, de toutes les maisons où je suis passé dans Paris j’ai su les transformer à ma manière et ce ne sont plus du tout des demeures parisiennes. Et bien qu’est-ce que je ferais? Eh bien, tout bêtement je vivrais à la Martinique. Je choisirais autant que possible un morne. Un bon morne de chez nous – ce qui signifie une colline – et j’espère dans un grand jardin, avec une terre bien déclive et j’aurai une bonne maison avec une bonne véranda. Je ne dis pas que je n’oublierais pas ma bibliothèque et certainement je vivrais avec les miens, quels qu’ils soient, que ce soit mes parents, que ce soit mes enfants, que ce soit simplement des gens qui passent et qui s’arrêtent chez moi, des gens que je ne connais pas et qui s’arrêtent et qui viendraient converser avec moi.

En somme, l’amitié c’est important?

Ah ! c’est extrêmement important Je crois que c’est très important et c’est une des rares choses peut-être qui font que la vie mérite d’être vécue. A Paris, on est tellement seul. Enfin c’est parce qu’il y a … C’est ce lien vivant qui nous manque le plus peut-être. C’est pas tellement le soleil. C’est l’autre soleil, l’autre soleil intérieur, qui est ça.

On peut accorder une grande valeur à l’amitié et pourtant n’avoir pas vécu de grandes amitiés. Mais toi, je crois que tu as eu de grandes amitiés.

Ah ! ça je crois que j’ai eu de grandes amitiés. J’ai eu la chance d’avoir de grandes amitiés. Je ne [dis16] pas que je suis un caractère facile, m’enfin j’ai certainement de très grandes amitiés. D’abord j’ai des amitiés très humbles. J’ai des amitiés d’hommes du peuple. De pauvres gens je sais qui tous les jours pensent à moi. Je sais que je représente quelque chose pour eux. Et si finalement je suis resté dans la vie politique – encore que tout un côté de moi-même y répugne très fortement – c’est parce que quand je te parle je vois à travers toi tel visage de pauvres prolétaires martiniquais pour qui le nom de Césaire a un sens et qui sont véritablement des amis. Et puis alors j’ai eu de très grandes amitiés, j’ai eu de très fortes amitiés de collège, de lycée, d’études, de Sorbonne. Et j’ai également de très grandes amitiés encore à l’heure actuelle. Ces amitiés-là, ne sont pas d’ailleurs toutes noires. J’ai également de très bons amis, des amis fondamentaux qui sont blancs et qui sont européens.

Quels sont ces amis. Est-ce qu’on peut les connaître? Est-ce qu’on peut être avec toi un peu?

Eh ben, si. Écoute! J’éprouve toujours une certaine pudeur à parler de ces choses-là. Enfin il est tout à fait évident qu’un homme comme par exemple Senghor a été vraiment un très grand ami pour moi. Maintenant il est devenu Président de la République, etc., enfin. Mais je dois dire que pendant près de dix ans nous avons vécu côte à côte. On s’est vu tous les jours, toutes les semaines. Et j’ai su ce qu’il lisait, il savait ce que je faisais, ce que je lisais. Nous avons échangé des idées. J’étais infiniment plus près de lui que de n’importe lequel de mes compatriotes qui parfois me faisaient des scènes de jalousie. Et c’est évident que nous nous sommes formés l’un au contact de l’autre et il m’a ouvert des horizons qui ont beaucoup compté dans ma vie. Ce qui m’a beaucoup touché dans Senghor c’est que je crois que nous nous sommes vraiment formés en même temps. Parce que on a été confronté vraiment par les mêmes événements. Et ça c’est extrêmement important, ça. Et aujourd’hui je vois un homme comme Michel Leiris c’est un ami, vraiment d’une qualité extraordinaire. Je ne saurais même pas comment définir cette amitié par des mots.

Oui je sais. Ça été la même chose quand je lui ai téléphoné un jour pour lui demander de venir parler de toi. C’était dans une émission je me souviens bien il m’a dit: Césaire c’est un ami. Et je ne sais pas comment je pourrais parler de lui. Bon nous allons si tu veux être moins indiscret de ce côté de l’amitié. Tu nous as parlé de cette maison que tu voudrais sur un morne, tu as oublié de nous dire si elle serait en dur ou en bois? Je suppose qu’elle serait en bois.

(Rire de Césaire) Je te laisse le choix du matériau mais je crois que le bois serait…

Quelle est la pièce de cette maison que tu aimerais le plus? Quel est le coin de la maison et comment tu l’arrangerais? Qu’est-ce que tu y mettrais? Quels sont…? Je voudrais si tu veux retourner un petit peu à nous; nous gens des îles, on est un peu fétichistes, au fond. Qu’est-ce que tu y mettrais Quels seraient tes objets familiers?

Eh bien je crois que le lieu essentiel c’est la véranda.

Ah oui !

Je la tournerais pas du côté de la rue. Je la tournerais du côté de la montagne, autant que possible et puis il y a la bibliothèque. Ça, c’est très important. Si toute île appelle, l’île ne suffit jamais à elle-même. Y a ces références fondamentales dans la vie d’un homme parce que bon, on est de son milieu, mais on est aussi du milieu que l’on a fait. Autrement dit j’imagine très mal une maison sans la présence de Rimbaud, sans la présence de Baudelaire, sans la présence des écrivains que nous aimons. N’est-ce pas?

Et de quoi elle est peuplée? De quoi elle serait peuplée…. Je crois que… Je n’aurais garde d’oublier puisque tu parlais des fétiches, de nos masques africains. Au fond, lorsque tu me demandes ça, tu me poses cette question-là, tu me demandes que je te fasse la description de la maison que j’habite à la Martinique quand j’y vais ces temps-ci.

Oui ! Alors là une dernière question et puis nous n’en parlerons plus enfin de cette chose-là. Quand tu dis il y aura la bibliothèque! Je te regarde et il y a vraiment beaucoup de livres dans ton regard. Et si par exemple on peut si tu veux dans une conversation – pas pour un jeu mais par nécessité pousser les choses à outrance – non pas que tu n’as pas la place mais il ne te reste qu’un seul livre à garder, n’est ce pas, tu veux un livre pour ta bibliothèque, ta bibliothèque ne possède qu’un seul livre. Tu veux garder celui-là. Et quel serait dans la vie d’Aimé Césaire le livre…?

Non, je ne crois pas que je puisse réduire l’aventure spirituelle à un livre. Ça vraiment je ne le crois pas. D’abord par définition j’aime tous les livres. En général, je ne considère pas du tout que…. y a aucune aventure spirituelle qui me laisse indifférent. Même ceux qui sont très opposés à ce que je suis, je suis curieux de les connaître. Je suis toujours curieux, quand je sens un homme, son cheminement m’intéresse. Bon, tu sais bien que les gens de ma génération à quoi ils peuvent être sensibles. Moi je suis sensible surtout aux choses qui m’ont formé, aux choses qui ont formé ma jeunesse. Les livres que nous aimons c’est pas les livres que nous lisons, c’est les livres que nous relisons. Ben, j’ai été formé par quoi? J’ai été formé essentiellement par Baudelaire. J’ai été formé par Rimbaud. J’ai été formé par Lautréamont. J’ai été formé par André Breton. J’ai été formé par les surréalistes français. C’est quand même pour moi les choses qui sont fondamentales. Bien entendu d’autres choses s’y ajoutent. Mais c’était quand même pour moi la base, la source d’éternelle jouvence à laquelle je reviens perpétuellement.
 

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