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18.06.2005

Traité germano-duala : 120 années de controverse. Reflexions Kum-mouelle-nsame-ntone. 

Commémoration: Ce 12 juillet 1884 qui créa le Cameroun.

Il y a 120 ans, le sort de nos peuples basculait de manière durable sous la domination étrangère.

Par Prince Kum’a Ndumbe III


Il y a 120 ans, les rois du " Cameroons " signaient des traités avec des commerçants allemands mandatés officiellement par le Chancelier Bismarck. Depuis, le Cameroun a basculé dans un régime politique qui a scellé la domination étrangère comme système politique devenu la norme chez nous. Depuis lors, il n’a pas été vraiment possible d’avoir des gouvernements ayant les mains libres pour la politique de notre pays, sans qu’ils se réfèrent à une métropole étrangère ou sans qu’ils acceptent de manière plus ou moins nuancée la tutelle d’une puissance étrangère, de multinationales ou d’organismes internationaux dont le contrôle nous échappe entièrement. Que s’est-il passé exactement en ce mois de juillet 1884? Qui a signé quel traité, et au nom de qui? Dans les livres d’école au Cameroun, on évoque le traité du 12 juillet 1884, même la plupart des historiens ne vont pas plus loin que ce traité. Certains écrivent avec insistance que ce traité a été signé par King Akwa, et que King Bell fut seulement témoin. C’est faux.D’autres pensent que le traité fut signé plutôt par King Bell. Où est la vérité ?
D’autre part, que contenait ce traité ? Certains l’ont interprété comme étant un traité par lequel ces rois du " Cameroons " auraient vendu leur pays aux Européens. D’autres arguent que Duala Manga Bell, élevé au rang de héros national par le Cameroun indépendant, serait mort parce qu’il aurait revendiqué le respect du traité du 12 juillet. Alors, que faudrait-il retenir comme fait historique ? D’autre part, le " Cameroons " dont on parle se limitait à la côte, même si les territoires de dépendance et d’influence des rois en question s’étendaient dans des zones que l’on classifie aujourd’hui en partie dans le littoral et dans le sud-ouest. Comment se fait-il donc qu’un traité signé par ces rois à " Cameroons Town ", baptisé Douala depuis la colonisation allemande, ait pu engager tout le territoire camerounais que nous connaissons ?
Il est urgent d’engager un vaste débat national sur cette question de traité de transfert de souveraineté, sur les termes de ce traité, sur les conditions et les préalables avant la signature, sur les circonstances qui ont permis la main-mise de l’Europe, par le biais de l’Allemagne sur nos affaires, sur les mesures prises par l’occupant et qui ont permis une domination structurelle qui perdure jusqu’aujourd’hui. Lancer ce débat, ce n’est pas seulement s’interroger sur ce qui s’est passé, mais c’est surtout aussi analyser les failles de nos systèmes politiques camerounais avant la colonisation et qui ont permis la domination européenne, c’est enfin lancer un vaste débat nous permettant de trouver les moyens pour une nouvelle souveraineté qui assurerait notre capacité d’agir en tant que nation ou Etat-multinations dans un système qui se veut mondialisé.
Il n’a pas eu un, mais environ 95 traités de transfert de souveraineté

Les difficultés pour les Camerounais de comprendre ce qui s’est réellement passé proviennent de la part peu importante qu’occupent l’histoire et la politique du Cameroun dans nos programmes scolaires et universitaires. Cette histoire et cette politique restent quelque peu taboues. Les dotations financières pour la recherche scientifique sur ces sujets restent marginales ou inexistantes, il manque des laboratoires de recherche sur les différentes phases de notre histoire nationale, sur les systèmes sociaux, politiques, juridiques et économiques avant la colonisation, pendant la domination européenne et après les indépendances. Tant que tout cela restera négligé, la conscience nationale collective ne produira pas les éléments de réponse fondamentaux pour un développement durable du Cameroun. Un autre handicap, celui-ci technique, mais surmontable quand il existe de véritables structures de recherche, est que la plupart des documents sur le nouveau Cameroun né en 1884 se trouvent dans les archives et bibliothèques en Allemagne et sont confectionnés en allemand – même ceux conservés aux archives nationales du Cameroun. Certains documents essentiels sont écrits en écriture gothique allemande, soit imprimés, soit écrits à la main. Or, même les Allemands d’aujourd’hui pour la plupart ne savent plus lire l’écriture gothique allemande rédigée à la main, combien de fois donc les Camerounais scolarisés en français ou en anglais !
Le premier traité de transfert de souveraineté de la région " Cameroons " a été signé par Jim Ekwala, King Dido, soit Deido, le 11 juillet 1884. " Cameroons " désignait à l’époque la sphère de souveraineté et d’influence des rois duala. Les King Bell (Ndum’a Lobe) et King Akwa (Dika Mpondo) signeront le 12 juillet deux traités identiques, mais séparés, même si les deux rois contresignent le traité de l’autre. Tous ces trois traités ont le même contenu, seuls les noms des signataires camerounais changent, et le traité avec King Dido se limitait à son seul petit territoire, tandis que les traités du 12 juillet englobait tout le territoire sous influence des trois monarques. D´autres traités consécutifs seront signés par exemple le 15 juillet par les princes de Jeballé et Sodiko qui stipuleront qu’ils se trouvent sous l’autorité de King Bell. A Bimbia, cependant, un autre traité fut déjà signé le 11 juillet par les princes Money, Quaan, Ekongolo, etc. Il est important de noter que ce n’est pas, contrairement à une opinion très répandue, seulement le traité du 12 juillet qui a, après négociations, transféré la souveraineté des potentats camerounais à l’Allemagne. Certes, ce traité est celui qui a été le plus mûrement négocié et qui a connu les plus grandes répercussions locales et internationales.
Cependant, en dehors de ceux déjà mentionnés, d’autres traités négociés furent signés à Yoko déjà le 29 octobre 1883 (!), à Small Batanga le 18 juillet 1884, à Malimba le 20 juillet, à Ndoo et Bakundu le 5 novembre, à Kribi le 27 juillet, à Campo River le 30 juillet, à Bota le 27 juillet, à Bénita le 2 août 1884, etc. Tous ces traités ont été négociés de commun accord.
Mais il y aura aussi des traités de vente et de cession de petites parcelles de terrain, comme par exemple l’île Nicol vers Bimbia appartenant à King Bell. Sur les 95 traités recensés, 8 seulement seront des traités de vente, les autres sont des traités négociés et plus tard, dès que l’Allemagne commencera la conquête militaire du nouveau Cameroun, des traités imposant par la force des armes la souveraineté allemande seront appelés traités de paix, comme ce fut le cas pour le traité de Hickorytown (Bonabéri) le 13 janvier 1885, de Victoria le 25 mars 1895, de Banyo le 7 mai 1899, de Ngaoundéré le 20 septembre 1901 ou de Garoua le 5 et 28 décembre 1901, etc.

L’impact des traités du 11 et 12 juillet 1884

Pourquoi les trois traités du 11 et 12 juillet 1884 ont-ils eu une répercussion aussi importante dans l’histoire de notre pays? Les structures économiques et politiques de nos sociétés traversaient des phases critiques face à la mondialisation du continent africain qui a commencé avec l’esclavage et qui au 19è siècle assurait à l’Europe de la révolution industrielle des avantages exorbitants face à l’Afrique et une prépondérance certaine dans nos relations bilatérales. D’autre part, plusieurs guerres internes ébranlaient l’autorité des potentats de " Cameroons ". Ainsi, King Akwa adressa-t-il le 7 août 1879 une lettre à la Reine d’Angleterre pour demander l’application des lois anglaises avec une administration britannique sur son territoire. King Bell en fera de même le 8 mars 1881, et les deux signeront une demande commune le 6 novembre 1881. Mais les deux ne voulaient ni annexion, ni colonisation, mais un transfert de souveraineté qui n’enlèverait pas aux rois l’essentiel de leur pouvoir. Les Anglais hésiteront jusqu’à la fin, le consul britannique Hewett ne pouvant accéder aux exigences camerounaises.
Les Allemands représentés par les firmes commerciales Woermann et Jantzen & Thormählen avaient réussi à arracher une partie importante du commerce camerounais et à convaincre le chancelier allemand Bismarck d’entreprendre l’acquisition d’un protectorat chez nous. Bismarck qui initialement était opposé à toute politique coloniale, de peur de fragiliser l’unité allemande par des revendications à l’encontre de la France ou de la Grande Bretagne, finira par céder aux pressions des milieux commerciaux qui réclamaient des colonies. Il envoie donc un bon connaisseur de l’Afrique, le Dr Gustav Nachtigal, et le dote de pouvoirs plénipotentiaires pour négocier rapidement et signer des traités de transfert de souveraineté au nom du Reich allemand, afin que lui Bismarck puisse exhiber ces parchemins à la conférence internationale de Berlin sur le partage de l’Afrique qu’il préparait et qui siégea de novembre 1884 à février 1885 à Berlin.
Les Allemands connaissant la volonté des rois du " Cameroons " d’ouvrir leurs territoires à l’administration et à l’industrialisation modernes européennes accepteront rapidement les conditions difficiles des rois duala, pourvu que le traité fut signé. Le transfert de souveraineté par ce contrat fut donc soumis à des conditions limitant sévèrement le pouvoir des partenaires européens. Ce qui est peu connu, c’est qu’avant que les traités en question ne furent signés, les rois du " Cameroons " exigèrent un engagement écrit du Reich sur un document distinct du traité et signé par le consul allemand Emil Schulze, afin de s’assurer l’engagement futur du Reich pour le respect des conditions stipulées par les rois camerounais.

Les conditions camerounaises de transfert de souveraineté aux Allemands


Ce texte intitulé " Wünsche der Kamerunleute " " Souhaits des Camerounais " fut signé uniquement par le consul allemand comme garantie le 12 juillet 1884 et stipulait :
1 – Le monopole commercial restera entre les mains des Camerounais,
2 – Les Camerounais ne demandent ni protection, ni annexion aux Européens,
3- Les Camerounais demandent le respect de leurs coutumes,
4- Les terres cultivées sont inaliénables,
5- Les Camerounais ne veulent pas de douane (allemande) chez eux – Celle-ci devant rester sous l’autorité des rois,
6- Pas d’impôts sur les animaux domestiques,
7-Pas de bastonnades ou d’emprisonnement sans faute, surtout pas à propos des transactions de commerce de troc, et ceci sans décision de justice.

C’est après cette garantie allemande que le texte même du traité du 12 juillet 1884 sera signé. Dans le corps de ces traités, le transfert de souveraineté des territoires du " Cameroons " au Reich allemand sera restreint par les clauses suivantes :
1- Le territoire dénommé Cameroons est géographiquement délimité,
2- Les droits de souveraineté, de législation et d’administration sont cédés aux firmes privées allemandes – qui rétrocéderont ces droits au Reich allemand,
3- les droits des tiers sont préservés,
4- la validité des traités d’amitié et de commerce signés auparavant avec d’autres puissances étrangères est préservée,
5-le droit des Camerounais et de leurs héritiers sur les terres cultivées et habitées sont maintenus,
6- le droit de douane au profit des rois demeure,
7- le respect des coutumes camerounaises est acquis.

Une fois le traité signé avec les commerçants allemands, le consul allemand Emil Schulze signera comme témoin, celui-ci apposera un timbre fiscal allemand et enregistrera le contrat comme document officiel de relations internationales du Reich allemand. Généralement le même jour, une transaction a lieu entre les commerçants allemands et le Consul plénipotentiaire Gustav Nachtigal. Lors de cette transaction, les commerçants allemands transfèrent à l’Etat allemand tous les droits acquis et s’en dessaisissent. Le lendemain, soit le 13 juillet pour les trois traités, en présence des rois camerounais, des commerçants allemands signataires du traité et du représentant officiel du Reich, une proclamation solennelle est faite pour déclarer le nouveau territoire placé sous l’autorité allemande. C’est alors que le drapeau est hissé sous le tonnerre de coups de canon. Ce fut le cas le 14 juillet 1884 à " Cameroons town " (Douala)


Le refus de signature de Lock Priso (Kum’a Mbape) et la première guerre anti-coloniale

La population était-elle d’accord avec la signature de ce traité? Non. Le commerçant Edouard Woermann, signataire du traité et frère de Adolf Woermann, directeur de la société, notait le 9 juillet 1884, donc trois jours avant la signature officielle du traité : " Les deux rois Bell et Akwa voudraient bien signer le traité, mais leurs puissants vassaux ne veulent pas accepter et s’opposent véhément contre toute signature de contrat avec les Allemands ". Dans une note au nouveau gouverneur du " Kamerun " von Soden, l’assistant du Dr. Nachtigal et chargé des affaires allemandes au Cameroun, le Dr. Max Buchner, écrira en juillet 1885 : " Notre acquisition (du Cameroun) a engendré tellement de désagréments pour tous les rois et chefs camerounais qu’ils aimeraient, s’ils le pouvaient, annuler ces traités ".
A cause de toutes ces résistances, ces traités ne seront pas signés sur terre ferme camerounaise, mais sur le bateau de guerre allemand " Möwe ". Lock Priso (Kum’a Mbape), qui régnait de l’autre côté du fleuve à Bonabéri, fut le seul potentat à refuser la signature du Traité, le considérant comme une escroquerie monnayée.
King Bell (Ndumb’a Lobe) rassura les Allemands en disant que Lock Priso, faisant partie de sa famille, serait sous son autorité, et que la signature de King Bell engageait aussi Bonabéri. Les Allemands ne pouvant pas acquérir " Cameroons " sans l’autre côté du fleuve, Hickorytown, procédèrent après maintes hésitations à la cérémonie de hissage de drapeau allemand à Bonabéri le 28 août 1884. Lock Priso réagit le même jour, en adressant une lettre au consul allemand : " Je vous prie de descendre ce drapeau, personne ne nous a achetés, vous vouliez nous corrompre par beaucoup d’argent, nous avons refusé, je vous prie de nous laisser notre liberté et de ne pas apporter du désordre chez nous ". Comme les Allemands ne vont pas s’exécuter, le drapeau allemand est descendu du mât et arraché. Un commerçant allemand de la firme Woermann, Pantänius est assassiné en représailles par le chef Elame Joss. La guerre éclate. Lock Priso a des alliés aussi bien chez les Bonapriso, Bonanjo que chez certains Akwa et Deido. La pression est mise sur les commerçants allemands pour qu’ils ne livrent plus d’armes à King Bell. Le 16 décembre, les Bonapriso et Bonabéri mettent le feu à Bonanjo (territoire de King Bell). Le commerce import-export menace de s’arrêter complètement. La guerre n’est pas seulement entre les différentes parties duala, pro- ou contre le traité, les Allemands sont directement impliqués.
Le 20 décembre, les bateaux de guerre allemands " Bismarck " et " Olga " arrivent au secours et débarquent 331 soldats bien armés sous la direction de l’amiral Knorr. Du 20 au 22 décembre, le " Olga " bombarde Bonabéri, Bonapriso est mis à sac. Les marins allemands descendent à Bonabéri et brûlent une ville vidée de ses habitants. Le butin le plus précieux des Allemands est la proue princière, le " tangue " de Kum’a Mbape, jusqu’aujourd’hui en otage au musé ethnographique de la ville de Munich. Le premier traité de soumission sera ainsi signé le 13 janvier 1885. Après, plusieurs autres guerres éclateront un peu partout dans le nouveau Cameroun, tel que tracé à l’issue de la conférence de Berlin. Les Camerounais vont résister contre la pénétration coloniale allemande, mais les Européens avaient déjà décidé de s’entraider pour une agression militaire concertée et généralisée contre l’Afrique, et par ce biais asseoir une domination européenne de longue durée sur l’ensemble du continent africain.

Les contrats des 11 et 12 juillet 1884 ont été un marché de dupes.
Ils ont permis, ainsi que les autres contrats négociés entre Camerounais et Allemands, au Reich de Bismarck de mettre pied sur terre camerounaise sans provoquer une résistance généralisée, de s’installer et de se préparer alors pour une conquête militaire globale de tout notre pays. La dimension de la volonté européenne de se saisir de l’Afrique et de ses biens dans un style colonial a échappé à nos rois signataires qui pensaient préserver des acquis dans une situation où ils étaient eux-même déjà très fragilisés. Duala Manga Bell, Ngoso Din et les autres payeront plus tard de leur vie cette erreur d’appréciation des données internationales de l’époque.


Traité germano-duala : 120 années de controverse


Les rois duala ont-ils livré leur territoire, voire le Cameroun à la colonisation ? De 1884 à nos jours, la question divise encore l’opinion.


Deux tables-rondes animées par des universitaires de renom, dépôts de gerbes de fleurs sur les tombes de Rudolf Duala Manga et son cousin et secrétaire Ngosso Din, un culte de souvenir.

C’étaient les temps forts de la commémoration des 120 ans de la signature du traité germano-duala, le 12 juillet 1884 et de l’exécution de King Bell Rudolf Duala Manga et de son secrétaire le 8 août 1914. Curieusement, c’est à Douala seulement que la journée tragique du 8 août a été rappelée à la mémoire collective. Et pourtant le même jour, comme nous l’avons signalé dans Le Messager n° 1695 de vendredi 6 août 2004, Martin Paul Samba a été fusillé à Ebolowa, le chef Madola de Grand Batanga était lui aussi exécuté à Kribi. Les lamibé de Kalfu et de Mindif étaient passés par les armes ainsi que cinq dignitaires de Maroua. L’administration coloniale allemande n’a pas fait dans la dentelle pour montrer jusqu’où elle entendait aller pour s’imposer, mieux faire valoir la loi de la force pour taire la révolte de certains souverains locaux et de leurs populations devant la politique de bantoustans et de bien d’autres frustrations perpétrées dans le pays.
Pour relire ces pages sombres et tristes de l’histoire du Cameroun, les professeurs Narcisse Mouellè Kombi, agrégé de droit, Nsamè Mbongo, sociologue et philosophe, Kum’a Ndumbè III, historien et politologue et Martin Ntonè historien ont décortiqué “ les aspects juridiques et socio-politiques” du fameux traité qui n’a jamais fait l’unanimité. Aussi bien au moment où il a été signé jusqu’à nos jours. Le 6 août 2004, les conférenciers autour de la table au palais de Dika Akwa accorderont tout au moins leurs violons sur ce qui, du moins pour les signataires de ce traité, apparaissait comme une nécessité.

Selon Kum’a Ndumbè III « Les structures économiques et politiques de nos sociétés traversaient des phases critiques face à la mondialisation du continent africain qui a commencé avec l’esclavage et qui, au 19e siècle, assurait à l’Europe de la révolution industrielle des avantages exorbitants face à l’Afrique et une prépondérance certaine dans nos relations bilatérales. D’autre part, plusieurs guerres internes ébranlaient l’autorité des potentats de “Cameroons”. Ainsi, King Akwa adressa-t-il le 7 août 1879 une lettre à la reine d’Angleterre pour demander l’application des lois anglaises avec une administration britannique sur son territoire. King Bell en fera de même le 8 mars 1881, et les deux signeront une demande commune le 6 novembre 1881. Mais les deux ne voulaient ni annexion, ni colonisation, mais un transfert de souveraineté qui n’enlèverait pas aux rois l’essentiel de leur pouvoir. Les Anglais hésiteront jusqu’à la fin, le consul britannique Hewett ne pouvant accéder aux exigences camerounaises.

Les Allemands représentés par les firmes commerciales Woermann et Jantzen & Thormählen avaient réussi à arracher une partie importante du commerce camerounais et à convaincre le chancelier allemand Bismarck d’entreprendre l’acquisition d’un protectorat chez nous. Bismarck qui initialement était opposé à toute politique coloniale, de peur de fragiliser l’unité allemande par des revendications à l’encontre de la France ou de la Grande-Bretagne, finira par céder aux pressions des milieux commerciaux qui réclamaient des colonies. Il envoie donc un bon connaisseur de l’Afrique, le Dr Gustav Nachtigal, et le dote de pouvoirs plénipotentiaires pour négocier rapidement et signer des traités de transfert de souveraineté au nom du Reich allemand, afin que lui Bismark puisse exhiber ces parchemins à la conférence internationale de Berlin sur le partage de l’Afrique qu’il préparait et qui siégea de novembre 1884 à février 1885 à Berlin. Les Allemands connaissant la volonté des rois du “Cameroons” d’ouvrir leurs territoires à l’administration et à l’industrialisation modernes européennes accepteront rapidement les conditions difficiles des rois duala, pourvu que le traité fut signé. Le transfert de souveraineté par ce contrat fut donc soumis à des conditions limitant sévèrement le pouvoir des partenaires européens. Ce qui est peu connu, c’est qu’avant que les traités en question ne furent signés, les rois du “Cameroons” exigèrent un engagement écrit du Reich sur un document distinct du traité et signé par le consul allemand Emil Schulze, afin de s’assurer l’engagement futur du Reich pour le respect des conditions stipulées par les rois camerounais. »

Mais, quelles pouvaient être les conséquences d’un traité signé d’un côté par des civilisés (les Allemands) et de l’autre par des barbares (les rois duala) ? Nous reprenons là les propos du Pr. Mouellè Kombi. Un traité signé, dit-il encore, dans un contexte de rivalité. Et Nsamè Mbongo de rappeler les idées philosophiques développées en Allemagne à cette époque. Si en Allemagne, la notion de supériorité de la race aryenne était en vogue, sur les berges du Wouri, comme partout ailleurs en Afrique, on n’entendait pas se contenter ou se complaire dans une attitude de faire-valoir. Le traité en préparation puis signé se retrouve au centre d’une contestation et d’une résistance véhémentes car pour le professeur Nsamè Mbongo, “ un traité n’est pas seulement un texte. Mais il est aussi toutes les conséquences qui en découleront “.
Les conséquences de celui en évocation ne se feront pas attendre longtemps. Kum’a Ndumbè III en rappelle les péripéties.

Un acte d’agression impérialiste

« A cause de toutes ces résistances, ces traités ne seront pas signés sur terre ferme camerounaise, mais sur le bateau de guerre allemand “Möwe”. Lock Priso (Kum’a Mbapè), qui régnait de l’autre côté du fleuve à Bonabéri, fut le seul potentat à refuser la signature du Traité, le considérant comme une escroquerie monnayée. King Bell (Ndumb’a Lobè) rassura les Allemands en disant que Lock Priso, faisant partie de sa famille, serait sous son autorité, et que la signature de King Bell engageait aussi Bonabéri. Les Allemands ne pouvant pas acquérir “Cameroons” sans l’autre côté du fleuve, Hickory Town, procédèrent après maintes hésitations à la cérémonie de hissage de drapeau allemand à Bonabéri le 28 août 1884. Lock Priso réagit le même jour, en adressant une lettre au consul allemand : “ Je vous prie de descendre ce drapeau, personne ne nous a achetés, vous vouliez nous corrompre par beaucoup d’argent, nous avons refusé, je vous prie de nous laisser notre liberté et de ne pas apporter du désordre chez nous”.

Comme les Allemands ne vont pas s’exécuter, leur drapeau est descendu du mât et arraché. Un commerçant allemand de la firme Woermann, Pantänius est assassiné en représailles par le chef Elamè Joss. La guerre éclate. Lock Priso a des alliés aussi bien chez les Bonapriso, Bonanjo que chez certains Akwa et Deido. La pression est mise sur les commerçants allemands pour qu’ils ne livrent plus d’armes à King Bell. Le 16 décembre, les Bonapriso et Bonabéri mettent le feu à Bonanjo (territoire de King Bell). Le commerce import-export menace de s’arrêter complètement. La guerre n’est pas seulement entre les différentes parties duala, pro ou contre le traité, les Allemands sont directement impliqués.

Le 20 décembre, les bateaux de guerre allemand “Bismarck” et “Olga” arrivent au secours et débarquent 331 soldats bien armés sous la direction de l’amiral Knorr. Du 20 au 22 décembre, le “Olga” bombarde Bonabéri, Bonapriso est mis à sac. Les marins allemands descendent à Bonabéri et brûlent une ville vidée de ses habitants. Le butin le plus précieux des Allemands est la proue princière, le “tangue” de Kum’a Mbapè, jusqu’aujourd’hui en otage au musée ethnographique de la ville de Munich. Le premier traité de soumission sera ainsi signé le 13 janvier 1885. Après, plusieurs autres guerres éclateront un peu partout dans le nouveau Cameroun, tel que tracé à l’issue de la conférence de Berlin. Les Camerounais vont résister contre la pénétration coloniale allemande, mais les Européens avaient déjà décidé de s’entraider pour une agression militaire concertée et généralisée contre l’Afrique, et par ce biais asseoir une domination européenne de longue durée sur l’ensemble du continent africain.»
Tirant les leçons du traité germano-duala de 1884, Nsamè Mbongo conclut qu’il nous a appris la voie de la liberté et de la libération et a fini par révéler qu’il était porteur des germes du nationalisme camerounais.

L’unique point où ce traité déclaré de protectorat semblait faire l’unanimité reste le contexte dans lequel il a été signé. La société duala était en proie à cette époque à des crises internes qui ont amené certains de ses potentats, comme nous l’avons vu plus haut à se trouver un arbitre, un protecteur puissant pour faire régner l’ordre et la paix. Force est de constater que les clauses du traité du 12 juillet 1884 se sont révélées vite comme un marché de dupes, un instrument de domination qui va déboucher sur une tragédie qui lui conféra d’ailleurs son cachet historique.

Pour le professeur agrégé de droit, Narcisse Mouelle Kombi, “ ce traité n’était pas unique en son genre dans la région”. Il étonnera plus d’un, notamment autour de la table quand il avancera qu’il s’agit plus d’un “document interne” que d’un “document international” qui 120 ans après, n’a pas encore livré tous ses mystères, étant entendu, souligne-t-il, que “les normes et les formes n’ont pas été bien comprises”. Le doyen de la faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université de Douala souhaitait disposer de cinq heures au moins pour s’étaler dans les méandres et subtilités juridiques de ce document.

Pour son aîné Kum’a Ndumbè III «les difficultés pour les Camerounais de comprendre ce qui s’est réellement passé proviennent de la part peu importante qu’occupent l’histoire et la politique du Cameroun dans nos programmes scolaires et universitaires. Cette histoire et cette politique restent quelque peu taboues. Les dotations financières pour la recherche scientifique sur ces sujets restent marginales ou inexistantes, il manque des laboratoires de recherche sur les différentes phases de notre histoire nationale, sur les systèmes sociaux, politiques, juridiques et économiques avant la colonisation, pendant la domination européenne et après les indépendances. Tant que tout cela restera négligé, la conscience nationale collective ne produira pas les éléments de réponse fondamentaux pour un développement durable du Cameroun. Un autre handicap, celui-ci technique, mais surmontable quand il existe de véritables structures de recherche, est que la plupart des documents sur le nouveau Cameroun né en 1884 se trouvent dans les archives et bibliothèques en Allemagne et sont confectionnés en allemand – même ceux conservés aux archives nationales du Cameroun. Certains documents essentiels sont écrits en écriture gothique allemande, soit imprimés, soit écrits à la main. Or, même les Allemands d’aujourd’hui pour la plupart ne savent plus lire l’écriture gothique allemande rédigée à la main, combien de fois donc les Camerounais scolarisés en français ou en anglais ». Il a proposé au doyen de la Fsjp de voir comment organiser d’ici à deux ans un colloque sur ce sujet qui passionne tant les intellectuels camerounais. La proposition semble avoir rencontré l’adhésion de Narcisse Mouellè Kombi.

La violence impérialiste explique-t-elle tout ?

On peut néanmoins se poser aussi des questions sur l’actualité de ce traité qui, sans être unique en son genre fait encore couler des flots d’encre et de salive 120 ans après . Pour d’aucuns, et le professeur Martin Ntonè Kuoh est de ceux-là, il a profondément marqué la société duala dans son essence. Il s’est d’ailleurs demandé où va la société duala aujourd’hui. Pour répondre à cette interrogation, dit-il, il faut une bonne dose d’audace et de détermination tant il s’agit d’un devoir de mémoire qui devrait nous permettre d’en tirer quelque chose pour notre société.



On peut aussi lui rétorquer que plus de 100 ans après n’est-ce pas suffisant pour tirer des leçons qui auraient permis à la société duala de se ressaisir? Les Japonais, les Coréens et les Chinois n’ont pas eu besoin d’un siècle même pas d’un cinquantenaire pour se ressaisir après 1945 pour les uns, 1952 pour les autres. Force est de constater que d’autres traités du genre sont encore signés par certains qui disent chercher de l’argent pour envoyer leurs enfants à l’école. Pire, quand certains de ces enfants achèvent plus ou moins leurs études, ils viennent liquider le reste pour végéter ou prendre le large. Les décrets allemands qui ont transformé les Duala en clercs suffisent-ils pour expliquer la boulimie de luxure et de farniente qui caractérisent nombre d’entre nous aujourd’hui ? Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.

Par Jacques DOO BELL , Le Messager, 09.08.2004








Commémoration des 120 ans de signature du traité du 12 juillet 1884 et des 90 ans de la pendaison du Roi Rudolf Duala Manga Bell et Ngosso Din Douala, 6, 7 et 8 août 2004 :

La douleur du souvenir. Comment, par les institutions européennes, l’extraversion et la domination durables ont été instaurées chez nous.

Par Prince Kum’a Ndumbe III

Dans un article précédent, j’ai lancé une discussion sur les traités de transfert de souveraineté, sur les traités de vente et sur les traités de paix imposés après les campagnes militaires européennes chez nous dès 1884. Ces traités ont scellé la défaite politique, militaire, économique et spirituelle des peuples camerounais et africains dans leur ensemble face à une Europe triomphante qui a su articuler au 19è siècle un langage commun de ses divers Etats sur l’expansion dans le monde et qui a réussi à mettre en place des stratégies politiques, militaires, économiques et culturelles de domination durable surtout envers les peules africains. La domination des Européens sur l’Amérique était déjà achevée depuis qu’au 18 è siècle les immigrants européens avaient soit exterminé les peuples originaires des Amériques, les Indiens et autres autochtones, soit ils les avaient suffisamment maîtrisés et parqués dans des réserves. Jusqu’aujourd’hui, l’Amérique est entre les mains des descendants des immigrants surtout européens qui déterminent l’essentiel du sort de ce continent. Ces immigrants européens devenus américains se sont par la suite déclarés indépendants de leur Europe d’origine pour mettre les richesses de ce nouveau continent à leur propre profit, exclusivement. La vielle Europe alors conçoit une autre stratégie d’enrichissement après l’esclavage transatlantique et la domination sur l’Amérique du nord et du sud par ses descendants et se tourne une nouvelle fois vers le continent africain. Cette fois-ci, les nouveaux américains ayant fermé leurs portes à la vieille Europe, et la révolution industrielle rendue possible par les profits exorbitants du commerce des esclaves noirs s’étant propagé aussi bien en Europe qu’en Amérique, les esclaves deviendront inutiles sur le marché et l’esclavage sera abolie.
Urgence européenne : dominer l’Afrique !

Les machines ont besoin de produits nouveaux que sont l’huile, le coton, le caoutchouc, etc. Le marché de l’esclavage des plantations deviendra moins rentable que celui de la production industrielle qui affichera un besoin croissant de matières premières. Les Etats de la vielle Europe vont donc se lancer sur une course contre la montre pour obtenir des droits réservés sur des territoires africains et asiatiques pouvant fournir ces matières premières à l’industrie naissante. Les nouveaux maîtres blancs de l’Amérique du nord et du sud trouveront suffisamment de matières premières sur place pour l’industrie, les immenses plantations travaillées par les esclaves noirs fournissant aux machines les matières premières indispensables. Dans cette nouvelle course industrielle, chaque Etat de la vielle Europe veut produire le maximum et ne rien acheter à l’autre, chacun érige des frontières douanières excessives pour protéger sa production locale contre ses voisins européens. L’industrie a donc besoin non seulement de matières premières, mais de nouveaux marchés qui en tout cas, pour l’Europe, ne peuvent plus être en Amérique.
Qui arrivera le premier sur quel territoire africain pour arracher des contrats exclusifs de monopole aussi bien pour les matières premières que pour les marchés locaux africains ? Les Anglais ont l’ambition d’avoir l’exclusivité sur les territoires allant du Cap en Afrique du Sud au Caire en Egypte, les Français ambitionnent un territoire français allant de l’Afrique Equatoriale à l’Afrique Occidentale sans qu’une autre puissance n’entrecoupe la moindre parcelle, les Portugais rêveront de maîtriser la zone allant de l’Angola au Mozambique sans interruption, les Belges viseront un énorme territoire au Congo, les Allemands, derniers venus sur cette scène d’ambition coloniale, rêveront d’un empire d’Afrique centrale allant du Cameroun en Tanzanie, sans interruption. Sur cette course pour l’obtention de traités et de concessions en Afrique, les Français et les Anglais s’affronteront en terre africaine, le danger d’une guerre entre nations européennes pour le partage des exclusivités en Afrique menace d’éclater et d’embrasser l’Europe elle-même. Or une guerre européenne en Afrique déstabilisera nécessairement l’Europe elle-même et risquera de modifier le paysage politiques et les frontières nationales.
Or certaines jeunes nations comme l’Allemagne qui venait de parachever son unité nationale juste en 1871 dans une guerre gagnée contre la France – le Reich allemand sera proclamé à Versailles après la victoire militaire contre la France !- ne souhaiteraient en aucun cas une nouvelle guerre au sein de l’Europe car elles remettrait en cause les frontières existantes. Le Chancelier Bismarck qui dans sa stratégie visait l’équilibre des forces en Europe sans une guerre, invitera les Européens pour qu’ils s’assoient autour d’une table et s’entendent sur la navigation du fleuve Congo, axe de communication stratégique pour toutes ces puissances européennes, et en réalité sur un partage pacifique des territoires africains entre Européens. C’est ainsi qu’il conviera les puissances européennes à Berlin pour la fameuse conférence appelée "Conférence sur le Congo" ou "Conférence de Berlin" qui se tiendra de novembre 1884 à février 1885. Chaque puissance européenne s’activera alors à signer avant novembre 1884 des traités lui donnant des droits de transfert de souveraineté sur tel ou tel territoire africain afin de pouvoir les exhiber à la conférence de Berlin et de dire aux autres Européens: ce territoire est déjà français, anglais, allemand, portugais, etc., ce n’est plus la peine d’en discuter pour le partage ! C’est dans ce contexte qu’il faut placer les traités camerouno-germaniques des 11, 12 juillet 1884 et suivants. A la conférence de Berlin, les Européens s’entendront pour faire la paix en Europe, et pour diriger leur force militaire commune contre les Africains afin de les dominer de force, sans que les Européens aient à s’entredéchirer.
Le déficit de connaissances des réalités internationales chez les Camerounais

Ce qui frappe à la relecture de ces traités, c’est que les dirigeants africains de l’époque, même si certains aspiraient au développement comme en Europe, parce que eux-mêmes ou leurs fils avaient séjourné en Europe, n’étaient pas informés de la stratégie globale des Européens contre l’Afrique. Les royaumes africains eux-mêmes, détruits ou déstructurés après plus de quatre siècles d’esclavage transatlantique, ne parvenaient plus à concevoir une politique de relations internationales basée sur autre chose que le commerce avec les Européens, selon les besoins des marchés occidentaux. Les chancelleries africaines du 19è siècle d’autre part ne communiquaient plus vraiment entre elles, et seront incapables de concevoir une stratégie d’ensemble africaine ou même régionale, pouvant contrer la nouvelle stratégie européenne sur notre continent.
Au Cameroun, il n’y aura aucune stratégie commune des différents royaumes, il n’y aura pas une véritable communication ou diplomatie de défense des intérêts africains face à une Europe agressive. Chacun pensera de prime abord à ses propres petits intérêts qu’il pourrait obtenir auprès des marchands européens. En signant ces traités, les rois camerounais ne se rendaient pas compte qu’ils signaient la mort de leur propre règne et la mise sous tutelle de leurs territoires sous domination européenne. Les rois qui résisteront ne bénéficieront pas d’une alliance globale de la résistance. Ils se battront seuls face à une puissance concertée des forces européennes contre l’Afrique et seront souvent trahis par leurs propres frères voisins, au profit de l’envahisseur européen, ceux-là comptant sur le pillage des biens du frère pour s’enrichir davantage. Ils ne comprenaient pas qu’ils creusaient leur propre tombe par la trahison du frère et qu’ainsi, ils perdaient définitivement leur propre indépendance.
Comment après la signature des traités, furent-ils de transfert de souveraineté ou de paix, le Cameroun s’installa-t-il dans une domination structurelle et durable de l’Europe ? Qu’est-ce que le colon allemand mit en place de si efficace pour que jusqu’aujourd’hui nous demeurions sous la coupe de l’Europe et de leurs institutions ?

L’implantation des structures de domination politiques, juridiques et militaires

Les différents accords et traités signés avec les Anglais bien avant la colonisation, comme celui du 8 juillet 1859 abolissant tous les sacrifices humains, en vue d’un culte païen, ou de toutes autres cérémonies ou coutumes, ou l’accord anglo-duala du 13 décembre 1861 interdisant la pratique du meurtre par représailles sous peine de représailles militaires anglaises indiquent déjà la fragilité institutionnelle des rois de la côte qui ne soumettent pas ces réformes sur les us et coutumes à leurs propres institutions internes, mais à des règlements internationaux bilatéraux. Il en va de même des traités sur l’interdiction du commerce des esclaves du 10 juin 1840, du 7 mai 1841, du 29 avril 1852, de la déclaration anglaise du 25 avril 1842 menaçant King Bell (Lobe Bebe) de violentes représailles ou des conférences, accords ou traités sur le commerce, comme ceux du 17 décembre 1850, du 14 janvier 1856, etc. Nous constatons ainsi que bien avant la colonisation allemande, la juridiction du "Cameroons" était déjà assez soumise aux lois et règlements européens, parfois à travers la corruption des rois qui encaissaient de fortes sommes ou marchandises de valeur avant de signer, ou alors par la force de dissuasion des navires de guerres européens.
Après la conférence de Berlin, les traités signés par nos rois permettaient à l’Allemagne de s’installer à "Cameroons", malgré la résistance dirigée par Lock Priso (Kum’a Mbape). A l’issue de la Conférence de Berlin cependant, la carte du nouveau Cameroun était définitivement tracée, dans un compromis intra européen, sans pour autant que les rois et peuples camerounais le sachent ni soient informés. Les décisions de la Conférence de Berlin furent comme un traité international consacrant l’extension de l’Europe sur l’Afrique. La part réservée aux Africains fut celle de la soumission pure et simple. Le Cameroun allemand devint ainsi un protectorat de l’Empire, formule que l’Allemagne préféra utiliser dans toutes ses concessions coloniales. Désormais, seul l’Empereur d’Allemagne et ses représentants dont le chancelier du Reich, le Ministre des colonies, le gouverneur au Cameroun, et les chefs de circonscriptions décidaient du sort de notre pays en excluant les dignitaires africains de toute décision politique, juridique, militaire ou économique.
Les grandes décisions sur le Cameroun étaient dorénavant prises hors du Cameroun et par des non Camerounais. Aussi bien la politique que le droit devinrent des facteurs d’extraversion durables. Pour s’assurer de l’efficacité de cette mesure, et de la docilité des Camerounais qui ne cesseront de se rebeller et d’organiser des insurrections anticoloniales, la "Schutztruppe", l’armée du protectorat, sera précédée dans sa création par l’institutionalisation de la police par décision du 16 octobre 1891. Composée d’officiers allemands et de soldats noirs, au début venant du Togo, du Dahomey et d’autres pays de l’Afrique de l’ouest, et par la suite majoritairement camerounaise, la Schutztruppe achèvera la conquête militaire et assurera l’ordre colonial, quoique précaire.
La structuration de la domination économique
Pour asseoir leur domination, les Européens vont immédiatement s’attaquer au monopole commercial de l’import-export détenu jusque-là par les Duala. Ceux-ci avaient réussi à imposer pendant des siècles aux Européens de rester sur le fleuve Wouri et de ne pas pénétrer à l’intérieur du pays pour faire du commerce. Quant aux peuples de l’intérieur, les Duala avaient là aussi réussi à éloigner les autres du port. Ainsi, pouvaient-ils jouer les intermédiaires entre les Camerounais de l’intérieur et les commerçants européens bloqués sur le Wouri. Pour les obliger à céder leur monopole, les Allemands avec l’aide des Anglais vont organiser plusieurs blocus commerciaux, dont le premier aura lieu contre les Deido le 12 septembre 1884. Un autre blocus suivra en 1886 – cette fois-ci répondu par un contre blocus des Duala qui interdirent aux Européens même l’approvisionnement en eau potable et en bois de cuisine. En juillet 1889, douze sociétés allemandes et anglaises lancent un nouveau blocus de six mois contre les intermédiaires Duala.
En 1900, les Européens ont enfin pu établir 92 comptoirs à côté et à l’intérieur du pays. Le gouverneur finira par interdire purement et simplement tout commerce aux duala par arrêté du 19 juin 1895. Un autre arrêté de police du 22 mai 1895 interdisait aux Duala d’employer des ouvriers wey, disponibles dans la région. Les contrevenants étaient mis en prison. Les Européens obligeront les Duala à servir dorénavant de comptables et de vendeurs dans les comptoirs des blancs. La chasse qui rapportait beaucoup grâce au commerce de l’ivoire sera aussi interdite aux Duala par arrêté du 12 février 1890. La monnaie de troc dans les transactions commerciales, le "kroo" (kru, croo ou crew) sera aussi dévaluée systématiquement jusqu’à sa suppression et son remplacement par le Mark du Reich. En effet, le kroo se décomposait en 4 keg, 8 piggin, 16 bar et valait 20 Marks en 1884. Cette monnaie de troc exprimait les quantités de marchandises à échanger contre d’autres. Ainsi, 100 kg de palmistes, 10 gallons d’huile de palme ou 2 livres d’ivoire valaient 1 kroo. Le kroo fut très vite dévalué à 12 Mark, puis à 10 Mark, avant d’être remplacé par le Mark par un décret du gouverneur allemand du 6 avril 1894. Il en sera de même de la douane, appelée "kumi" à la côte camerounaise.
Il y avait quatre douanes qui rapportaient en 1885 à leurs rois les sommes ci-après : 10.000 Mark pour King Bell (Ndumb’a Lobe), 6000 Mark à King Akwa (Dika Mpondo), 3000 Mark à Lock Priso (Kum’a Mbape) de Bonabéri et 2200 Mark à Jim (Epee) Ekwalla de Deido. Ces douanes aussi seront progressivement supprimées et il n’y aura plus qu’une douane allemande. La puissance économique des Camerounais de la côte sera donc réduite à néant, et ces Camerounais seront mis au service d’une nouvelle économie dominée et orientée exclusivement vers la métropole coloniale. C’est ainsi que l’Allemagne va instaurer les grandes sociétés de concession, la "Société Nord-ouest Cameroun" et la Société "Sud Cameroun" qui occuperont d’immenses territoires avec des pouvoirs exorbitants sur les biens et les populations. Ainsi naîtront les grandes plantations européennes aujourd’hui connus sous le nom de CDC qui ne seront pas là pour produire des denrées alimentaires pour nos populations, mais pour produire les matières premières dont les industries européennes auront besoin : café, caco, banane, caoutchouc, huile palme, palmiste, etc. et dont nous ne maîtriseront ni la consommation, ni les prix.
Les routes et voies de chemin de fer seront construits des lieux de ces plantations ou alors des réserves minières au port de Douala pour l’exportation vers l’Europe, et le terminus de Bonabéri jouera un rôle prépondérant pour ces exportations venant du grand nord, de l’ouest ou du territoire sous mandat britannique de l’époque, donc du nord-ouest et du sud-ouest. N’oublions pas que le pont du Wouri ne fut construit que de 1952 à 1954 ! Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que le port de Bonabéri perdit au fur et à mesure son importance pour l’import-export ! Mais pour pouvoir attribuer ces immenses territoires à des firmes privées allemandes, il fallait d’abord régler la question foncière. Et ce problème devait être réglé sur l’ensemble du territoire. Les Camerounais estiment que les terres leur appartiennent et qu’il n’existait pas de terres vacantes, chaque royaume ou communauté connaissant les frontières de son territoire. Les Allemands vont cependant déclarer par " Décret de Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne du 15 juin 1896 sur la création, l’acquisition et les donations ou ventes des terres de la couronne, ainsi que sur l’acquisition et les donations ou ventes des terrains dans le protectorat du Cameroun " que les terres camerounaises vacantes deviennent terres de la couronne allemande, donc appartenant à l’Allemagne, et seuls les fonctionnaires allemands, parfois secondés par les missionnaires, statueront sur le caractère vacant des terres.
Le "Grundbuch", livre foncier, sera instauré et placé sous la juridiction allemande pour préserver des doits de personnes privées, européennes surtout, africaines dans certains cas. L’Empereur signera par la suite un autre "Décret de Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne du 14 février 1903 sur l’expropriation de la propriété foncière dans les protectorats en Afrique et dans le Pacifique". Le décret d’application sera signé le 12 novembre 1903. Dix ans plus tard, le 15 janvier 1913 à 16H50, le Chef de circonscription publiera à Douala un arrêté d’expropriation concernant 37 terrains entre Bonanjo et Akwa d’une superficie totale de 6 ha 77 a 28 m2, même les terrains de Rudolf Duala Manga, roi des Bell, ne seront pas épargnés. La réaction des rois Duala ne se fit pas attendre. Rappelant leur pétition du 8 mars 1912, ils adresseront le même jour de la publication de l’arrêté d’expropriation, donc le 15 janvier 1913, une requête en annulation de cette mesure administrative au Parlement allemand, le Reichstag, pour abus de pouvoir et violation de traité du 12 juillet 1884. Cette violation sera reprise en détail dans leur lettre de protestation du 20 février 1913. Les Allemands, devenus maîtres absolus du territoire, élimineront Duala Manga Bell et son compagnon Ngoso Din par pendaison le 8 août 1914. Nous reviendrons sur cet assassinat dans un autre article.
La leçon à retenir est que les terres, le commerce, l’agriculture, bref toute l’économie sera désormais extravertie, c´est-à-dire orientée essentiellement vers l’extérieur, vers la satisfaction des besoins des sociétés européennes au détriment des besoins locaux des Camerounais eux-mêmes et sera essentiellement dirigée par eux. Nous n’avons pas réussi jusqu’aujourd’hui, donc 120 ans après, à inverser le cours des choses, et notre économie est toujours au service des Européens d’abord.
Le contrôle et l’orientation de notre intelligence et de notre spiritualité par l’Europe

Je voudrais terminer ce regard sur notre passé par une réflexion sur l’institutionnalisation de l’extraversion culturelle et spirituelle. Les rois avaient permis aux missionnaires de s’installer avant la colonisation pour prêcher l’évangile. Les missionnaires baptistes anglais s’activaient au Cameroun depuis 1845 et le plus célèbre fut Alfred Saker. Une fois le territoire devenu allemand, ils proposèrent eux-mêmes de se retirer. A l’issue de la conférence des missionnaires allemands tenue à Brème du 27 au 29 octobre 1885 pour l’évangélisation du Cameroun, les protestants allemands demandèrent aux baptistes anglais s’ils ne pouvaient pas continuer leur mission. Ceux-ci, dans une réponse du 24 mars 1886, estimèrent que les changements politiques au Cameroun demandaient une évangélisation par des missionnaires allemands pour cadrer avec la politique générale de colonisation allemande. C’est ainsi que les protestants allemands, peu expérimentés, et craignant la concurrence catholique, demandèrent à la mission de Bâle en suisse (Basel Mission), de langue allemande, de s’engager au Cameroun.
Ils s’installèrent donc d’abord à Douala, puis sur toute la côte, comme les rapports annuels de la société des missions Evangéliques de Bâle surtout depuis 1888 l’indiquent avec force détails. En 1887 la Mission de Bâle comptait chez nous 172 chrétiens avec 96 candidats au baptême, 7 écoles et 238 élèves. En 1910, elle dénombrait 10.353 chrétiens, 2289 candidats au baptême, 247 écoles et 11785 élèves. Les catholiques, sous l’impulsion des Pères Pallotins de Limburg, s’établiront aussi au Cameroun en important eux aussi le christianisme dans son interprétation occidentale et eurocentrique. L’école laïque du gouvernement allemand débutera le 24 février 1887 avec 32 élèves sous la direction de Theodor Christaller à Bonamandone/Douala. Depuis, nous aurons parallèlement à l’évangélisation, l’école occidentale assurée par les missions et par l’Etat colonial ou postcolonial. Le contenu des enseignements, la méthodologie et l’examination des leçons assimilées restent essentiellement importés, extravertis et étrangers à notre environnement, à notre histoire politique, à notre droit, à notre philosophie, à notre culture et à nos prouesses scientifiques accumulées au fil des millénaires.
Il en est de même d’une église chrétienne qui ne s’éloigne pas de l’interprétation eurocentrique du message biblique et qui rejette avec une extrême violence les acquis de la spiritualité africaine non conforme aux visions occidentales. Mais les questions de l’acculturation de note école et de nos églises méritent un développement à part dans le cadre d’un débat à dimension nationale. Pour sortir de cette extraversion de nos structures politiques, juridiques, économiques, culturelles ou religieuses, il faudra une bonne dose de courage politique, d’unité d’action et d’invention de nouvelles voies. Sans cette espèce de renaissance, nous continuerons à patauger dans le développement du sous-développement et nous n’aurions retenu aucune leçon de l’histoire, ni de la nôtre, ni de celle de nos relations avec les autres.
 

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